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Lois

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette jurisprudence, qui reste à confirmer, porte en germe le risque d’une interdiction d’accès à de nombreux sites naturels

Droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public -

Par / 31 janvier 2018

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, la question soulevée ce soir n’est pas nouvelle.

Le régime de responsabilité des propriétaires de sites naturels avait déjà été débattu en 1984 lors de la discussion du projet de loi relatif à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, en 2005 dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et, plus récemment en 2006, lors de l’examen du projet de loi relatif aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux.

Toutefois, cette proposition de loi a le mérite d’aborder le paradoxe entre la demande croissante d’accès à des sites naturels préservés d’un point de vue écologique et paysager, et une moindre acceptation, supposée, des risques que cela comporte.

Du fait de leur faible aménagement, voire de l’absence de tout aménagement, ces sites comportent des risques naturels qui leur sont inhérents : chutes de pierres, affaissements de terrain, circulation d’animaux sauvages, tous ces risques sont propres à la vie d’un site naturel.

Or le propriétaire ou le gestionnaire d’un site naturel ouvert au public peut être reconnu responsable, sur le fondement de l’article 1242, alinéa 1, du code civil, si un dommage est causé lors de la circulation du public sur sa propriété, qu’il l’ait ou non autorisée, s’il n’a pas explicitement défendu l’accès à son terrain.

Cette responsabilité de l’article 1242, alinéa 1, du code civil est une responsabilité sans faute, dite « responsabilité objective ». Du seul fait de son caractère de gardien de la chose, le propriétaire pourra être reconnu responsable d’un dommage.

C’est sur le fondement de cet article, dans un jugement datant de 2016, que le tribunal de grande instance de Toulouse a déclaré la Fédération française de la montagne et de l’escalade entièrement responsable d’un accident grave causé par la chute d’un bloc rocheux sur un site naturel d’escalade survenu en 2010 et l’a condamnée solidairement avec la compagnie d’assurance à verser aux victimes une somme de 1,2 million d’euros à titre de dommages et intérêts.

Cette jurisprudence a suscité un émoi certain dans mon département. Si elle devait être confirmée, elle porterait en germe le risque d’une interdiction d’accès à de nombreux sites naturels. C’est pourquoi il nous est proposé de préserver l’accès à ces sites naturels au travers d’une modification, un allégement du régime de responsabilité que peuvent encourir leurs propriétaires ou gestionnaires.

Si nous partageons les craintes du rapporteur, il faut noter que cette jurisprudence n’est pas stabilisée, puisqu’il s’agit d’un jugement de première instance. D’ailleurs, le 2 février 2017, dans une autre affaire où la responsabilité de l’Office national des forêts était recherchée sur le même fondement de la responsabilité sans faute, à la suite d’un accident dont fut victime un adolescent alors qu’il pratiquait le VTT sur un circuit « sauvage » dans une forêt domaniale, la cour d’appel de Versailles a, au contraire, confirmé le jugement en première instance déboutant la victime et ses parents.

Dès lors, l’examen de cette proposition de loi peut sembler prématuré, car il y a très peu de contentieux et de condamnations sur le fondement de l’article 1242. En outre, cet article n’implique pas une responsabilité automatique du propriétaire ou du gestionnaire, car le juge va se livrer à un examen approfondi des circonstances dans lesquelles s’est produit l’accident, pour décider si le propriétaire est ou non civilement responsable.

Ainsi, si elle semble extrêmement extensive, la responsabilité du fait des choses est toutefois encadrée par le juge, comme le souligne un rapport un groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur la responsabilité civile : « Les juridictions ne font pas un usage abusif de la responsabilité du fait des choses, qui reste encadrée par certains garde-fous. »

De plus, nous ne pouvons éluder la question de l’opportunité de légiférer pour infléchir un jugement de première instance, qui n’est donc pas définitif. Certes, le rapporteur précise qu’il s’agit d’anticiper de futurs problèmes. Toutefois, cela peut sembler précipité, car lorsque le législateur intervient pour remettre en cause une politique jurisprudentielle, il s’agit généralement d’une jurisprudence confirmée en cassation.

Enfin, il est très difficile d’appréhender la réaction des assureurs face à une responsabilité fondée sur la faute. À l’opposé de l’objectif, ne risque-t-on pas de voir se multiplier des mouvements de sécurisation des sites naturels pour éviter une telle responsabilité ? De même, pour reprendre les mots de chercheurs sur la question, « la notion de faute est par ailleurs évolutive dans le temps et l’espace : elle ne peut ainsi être engoncée dans un texte trop précis, sa silhouette se dessinant au gré des décisions de justice et des évolutions sociétales ».

Ainsi, de nombreuses interrogations demeurent même après le passage en commission. Toutefois, la question de la confiance des propriétaires et de l’accès aux sites naturels est une véritable problématique des zones de montagne et la crainte des propriétaires et des gestionnaires après la condamnation de la FFME en première instance est réelle et peut renforcer les difficultés déjà existantes d’accès aux sites naturels privés.

Pour ces raisons, l’amendement du Gouvernement nous paraît un bon compromis. Cependant, dans l’intérêt général, et malgré ces nombreuses interrogations, nous voterons cette proposition de loi réécrite par la commission.

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