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Les débats

La situation doit-elle rester figée dans des schémas coloniaux ?

Coopération des outre-mer dans leur environnement régional -

Par / 23 novembre 2016

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les « quatre vieilles colonies » que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion doivent faire face à un double défi : s’insérer, d’une part, dans l’ensemble français et européen et, d’autre part, dans leur environnement régional.

Cette insertion, voulue tant par la France que par l’Europe et, bien sûr, par les outre-mer, n’est pas facile. En effet, leur statut – région monodépartementale ou collectivité unique – n’est pas celui de leurs voisins géographiques, qui sont tous des États.

Le premier écueil est de nature juridique. Le deuxième, de nature économique, est l’écart de développement. Et le troisième est historique.

À cause de leur statut de colonie, la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane échangeaient uniquement avec la France, puis avec l’Europe. Les économies ultramarines du XXIe siècle en portent encore les traces : la France est le premier fournisseur et le premier client des outre-mer. Ainsi, près des deux tiers du commerce de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane et plus de 50 % de celui de la Réunion et de Mayotte se font avec la France métropolitaine et l’Union européenne.

Pourtant, les pays proches de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de la Réunion et de Mayotte sont des « pays émergents ». En 2015, selon des sources diplomatiques, le taux de croissance était de 6,3 % au Mozambique, 7,6 % en Inde, 6,8 % en Chine, 1,33 % au Brésil, 3,3 % au Surinam, 1,9 % à Antigua et 4 % à Cuba.

Un nouvel équilibre mondial est donc en train de se dessiner, les ex-« pays du tiers-monde » étant en passe d’être le moteur de l’économie mondiale. Sans compter que tous ces pays émergents n’ont pas fini leur transition démographique : leur population va encore augmenter dans les trente ans à venir, ce qui renforcera leur dynamisme.

La croissance de l’Afrique peut profiter à la Réunion et à Mayotte ; celle de l’Amérique du Sud à la Guyane, celle des pays de la Caraïbe à la Guadeloupe et à la Martinique – c’est cette vision que défendait le sénateur Paul Vergès.

Face à ce bouleversement mondial, devons-nous rester figés sur les schémas économiques et commerciaux issus de la colonie ? N’est-il pas temps, notamment pour les outre-mer, de passer de la politique de coopération régionale à la diplomatie économique territoriale ? D’enclencher des opérations offensives et non de se contenter d’actions défensives ? Je pense, notamment, aux questions sanitaires et, malheureusement, migratoires.

Pour nous, la réponse est oui, sans l’ombre d’une hésitation : il faut continuer ce qui a été lancé, en 2000, par la loi d’orientation pour l’outre-mer, la LOOM, qui a offert aux outre-mer les capacités juridiques d’être activement présentes dans leur bassin géographique et de figurer dans des regroupements déjà très actifs dans les trois océans. Si les structures existent, il n’en reste pas moins que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion n’ont pas la capacité d’y être pleinement adhérentes.

Cette reconnaissance des outre-mer dans leur environnement passe, notamment, par la reconnaissance de ce qu’elles peuvent proposer. Et c’est l’objet du chapitre III de ce texte : donner la possibilité aux exécutifs d’outre-mer – région comme département, ou collectivité unique pour la Guyane et la Martinique – d’établir un programme-cadre d’actions extérieures, qui porte sur plusieurs thématiques. Ils auront ainsi la possibilité de négocier et de signer les accords de coopération dans ces domaines ; ceux-ci sont d’ailleurs mieux définis dans le chapitre Ier du texte.

Néanmoins, encore faut-il que ce qui a été acquis ne soit pas remis en question. Je pense notamment à la Réunion, où s’est tenu, en février dernier, le 31e conseil des ministres de la Commission de l’océan indien, la COI, structure qui regroupe Madagascar, Maurice, les Seychelles et les Comores, ainsi que la France via la Réunion et Mayotte. En effet, pour la première fois depuis l’adhésion de la France-Réunion à la COI, les élus réunionnais ont été relégués au rôle d’observateurs, celui de chef de file étant occupé uniquement par le ministre Vallini. Pourtant, l’idée lancée par M. Fabius était, au contraire, celle d’une coopération et d’une diplomatie économique territoriale…

Cette reculade on ne peut plus regrettable aura eu pour conséquence de saper le travail mené par la Réunion pendant des années et de lui faire perdre un peu de crédibilité aux yeux de ses partenaires mauriciens, seychellois, malgaches et comoriens.

Toujours est-il que la présente proposition de loi comprend, outre la création de programmes d’actions extérieures, une autre avancée importante : un élargissement de la notion de zone de voisinage. Jusqu’ici, en effet, la Réunion et Mayotte pouvaient conclure des accords avec les pays de la COI, mais pas avec l’Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, la Chine, l’Inde ou l’Australie, tous pays avec lesquels, pourtant, le potentiel d’échanges est considérable.

Madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi marque une avancée réelle pour les outre-mer. Elle élargit le champ des possibilités d’exporter : savoir, savoir-faire et connaissances, dans les domaines de la santé, de l’énergie et de la lutte contre les changements climatiques, entre autres.

Les outre-mer, en négociant directement avec les pays de leur environnement géographique, couperont le cordon économique avec la France hexagonale. Par exemple, en matière d’accords commerciaux, la Réunion pourra acheter des produits alimentaires provenant de son environnement, à moins de trois heures de vol, et non de Paris, à douze heures de vol, ce qui contribuera à faire baisser le coût de la vie tout en améliorant le bilan carbone.

Tout n’est pas pour autant résolu. Ainsi, les accords de partenariat économique, les APE, signés entre l’Europe et ses anciennes colonies ont été ratifiés sans qu’une étude d’impact sur les économies d’outre-mer ait été menée ni que les outre-mer aient été consultés. Quant à leur contenu, il reste, comme celui du TAFTA, soigneusement protégé.

Ces accords auront pourtant des conséquences catastrophiques sur les économies ultramarines. Aussi demandons-nous un moratoire ou la mise en place de clauses de sauvegarde automatiques avant leur application dans les outre-mer, comme nous demandons que les outre-mer soient partie intégrante de la délégation française chargée de les négocier.

Aujourd’hui, certains pays d’Afrique ne souhaitent pas ratifier les APE, s’interrogeant sur l’impact réel de ceux-ci sur leur économie. Ne serait-il pas temps de stopper cette machine infernale ?

Cette proposition de loi jette les bases d’un nouveau contrat économique entre la France et ses anciennes colonies, qui permettra à celles-ci de poursuivre leur démarche de décolonisation. Elle entrouvre une porte pour le développement économique des outre-mer dans leur environnement proche. C’est pourquoi nous la voterons !

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