Bien souvent, les maires perdent de l’argent
Par Michelle Gréaume / 16 janvier 2023Interview de Michelle Gréaume dans le numéro de l’Obs du 12 janvier 2023 sur la question : "Faut-il mieux payer les maires des petites villes ?"
Près de 1 000 maires ont démissionné depuis 2020. Actuellement, 55 % des maires en fonction ne souhaitent pas se représenter, et 15 % sont encore indécis... Comment accueillez-vous ces chiffres ?
Comme je les comprends ! Etre maire pendant un ou deux mandats, c’est un investissement énorme, 24 heures sur 24 ! Il est celui qu’on appelle la nuit s’il y a un incendie ou un accident. Avec aucune reconnaissance en retour, ni financière, ni symbolique. Au contraire, l’édile est souvent perçu comme le responsable de toute la misère du monde.
Les élus municipaux ne sont pas des fonctionnaires, mais l’État leur réclame d’être de plus en plus spécialisés et transfère sans cesse davantage de charges aux communes, sans moyens supplémentaires : la dotation globale de fonctionnement des collectivités (DGF) est passée de 41 milliards à 26 milliards en dix ans ! Les maires sont donc sommés de faire des économies sur tout ! J’ai connu un maire qui utilisait sa tondeuse personnelle pour les pelouses communales. Les premiers sacrifiés sont les maires eux-mêmes. La loi prévoit, par exemple, un droit à la formation et un remboursement des frais de garde d’enfants [pour les communes de moins de 3 500 habitants, NLDR]. Mais ce sont les premières lignes budgétaires qu’ils suppriment lorsqu’ils sont contraints de réduire les dépenses.
La question des indemnités, aussi, est peut-être centrale : en 2019, vous proposiez avec le groupe communiste du Sénat d’augmenter les maires des communes de moins de 20 000 habitants.
Hélas, les sénateurs, notamment LR, ont fait tomber notre texte. La loi portée par la majorité n’a finalement revalorisé que les indemnités des maires de communes de moins de 3 500 habitants. Mais être maire d’une ville de 3 500 ou 5 000 habitants, c’est un job à plein temps ! Surtout quand la commune n’a plus les moyens de recruter, de payer du personnel pour assister les élus et garantir les services à la population... Si certains parviennent à cumuler mandat et emploi, et je leur tire mon chapeau, ils sont bien souvent obligés d’abandonner leur carrière. Avec ces indemnités, qui ne sont pas énormes (1 000 à 1 500 euros bruts pour les plus petites communes, un peu plus de 2 000 euros bruts pour des communes de 10 000 habitants), certains perdent même de l’argent ! C’est pourquoi nous proposions aussi la création d’une majoration indemnitaire pour les maires cessant leur activité professionnelle pour remplir leur mandat.
Tout cela a des conséquences sur leur carrière... et leur retraite ?
Évidemment. Il faudrait réellement compenser les pertes de salaire des maires – avec bien sûr un plafond. Actuellement, pour majorer un peu leurs indemnités [de 40 % maximum, NDLR], les maires doivent passer par un vote du conseil municipal. Ce qui est difficile à assumer politiquement pour l’édile, on le comprend, ils n’osent plus. II faudrait que ces indemnités soient gravées dans la loi, en fonction de la taille des villes.
Il est important, aussi, de fixer des montants minimums d’enveloppes pour frais de représentation, de déplacement, etc. Beaucoup, lorsqu’ils se déplacent à la rencontre d’une association, utilisent leur véhicule personnel. Qu’ils « offrent un verre » à des administrés à la ducasse [fête foraine] du coin ou qu’ils achètent le billet de tombola de l’école ou du club de gym, ils le font sur leurs deniers personnels.
Quant à la retraite, les maires cotisent de fait très peu et certains ont de bien mauvaises surprises lorsqu’ils calculent leur future pension. Plus de moyens sont enfin nécessaires pour leur permettre de réussir leur reconversion en fin de mandat. Car il faut pouvoir retourner à son activité professionnelle, sans que la parenthèse d’élu ne soit perçue comme un frein ou un obstacle. Leur formation (tout au long du mandat) devrait être obligatoire et financée par l’État, par une enveloppe en plus de la DGF de la commune, de sorte qu’elle ne soit pas la première victime des économies forcées. On touche là du doigt les limites à l’application des avancées contenues dans la loi engagement et proximité. Dans le même esprit, nous sommes favorables à ce que les dispositions permettant de concilier vie professionnelle et exercice du mandat local - je pense par exemple aux autorisations d’absence - figurent également dans le Code du Travail, pas uniquement dans le Code général des Collectivités territoriales.
Vous pensez que ces difficultés découragent les vocations ?
Sûrement ! Les maires sont désormais majoritairement des retraités, ou issus de professions libérales ou des fonctionnaires, qui pourront plus facilement retrouver leur emploi après leurs mandats - encore que se posent aussi des problèmes de déroulé de carrière. Cela a une influence sur la représentativité, la diversité des assemblées élues…
Il faut agir maintenant : c’est une mission difficile et si rien n’est fait, les gens ne vont plus vouloir se présenter ! Avec les crises qui se succèdent depuis 2020, pour lesquelles ils sont en première ligne, les maires se sentent abandonnés. C’est pourquoi nous pensons, qu’il faut les sécuriser, avec des moyens supplémentaires, mais également un véritable statut de leu municipal. Lequel serait aussi une forme de reconnaissance symbolique de leur engagement et de leur rôle indispensable pour la République et la démocratie.