JO 2024 : un premier projet de loi attentatoire aux libertés publiques
Par Éliane Assassi / 26 janvier 2023La Charte olympique prévoit que « le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ». Dans notre monde globalisé, le sport a ce pouvoir unique de rassembler les peuples et le groupe CRCE ne peut que souscrire à l’esprit des JO.
Mes chers collègues, mon groupe émettra des critiques mais en aucun cas nous ne dévalueront l’importance du sport qui est l’un des quelques domaines de l’activité humaine qui est universel. Des règles universelles mais également des valeurs universelles l’encadrent, celles du fair-play, du respect et de l’amitié qui sont reconnues dans le monde entier. Le groupe CRCE reconnait et soutien le pouvoir rassembleur et d’intégration du sport.
Néanmoins, aujourd’hui, nous ne pouvons que regretter et dénoncer un texte hautement sécuritaire, qui porte mal son nom. Il est bien dommage que ce texte nous parle moins de sport que de sécurité.
Le groupe CRCE considère que la devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort » et ici détournée pour un « plus vite, plus haut, plus fort » de sécurité et d’atteintes au droit à la vie privée, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à la liberté d’aller et venir, telle que protégée par l’article 2 et 4 de cette même Déclaration. Ce projet de loi est un cheval de Troie, les dispositions attentatoires aux libertés et droits fondamentaux qu’il comporte seront susceptibles d’être pérennes et c’est déjà le cas pour onze d’entre-elles. Ainsi, nous dénonçons un projet de loi porteur de graves atteintes à des libertés constitutionnellement garanties et le groupe CRCE se doit de tirer la sonnette d’alarme. Nous ne laisserons pas passer de telles atteintes qui gâcheront la fête.
Nous sommes bien malheureux de constater que les Jeux Olympiques de 2024 seront un accélérateur de surveillance. Certes, nous ne pouvons nier l’enjeu de la sécurité. Oui, les JO 2024 nécessitent organisation et sécurité à un niveau exceptionnel. A titre d’exemple, le quartier Pleyel à Saint-Denis a été retenu pour accueillir le village olympique en 2024. En tant que Sénatrice de Seine-Saint-Denis je m’inquiète. Le fiasco de l’organisation de la finale de la Ligue des champions en mai 2022 a mis en lumière les carences de la France à assurer la sécurité d’un évènement sportif majeur. Et pourtant, face à cet enjeu qui semble si important à vos yeux, vous nous proposez de recourir à des entreprises privées. Nous dénonçons votre réponse qui n’est pas à la hauteur de l’ambition nécessaire.
Car oui, mes chers collègues, le recours aux 22 000 à 33 000 agents de sécurité privée demandés par le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques pour encadrer les JO 2024 confirment la tendance à l’intégration de la sécurité privée en tant que force de police institutionnalisée et bras armé de l’État. Encore une fois et tout comme nous l’avions dénoncé lors de la LOPMI, la sécurité privée ne doit pas être confondue avec la sécurité étatique au risque de se solder par un cuisant échec tel qu’essuyé par les JO de Londres en 2012.
Nous ne pouvons que rappeler que cette montée en puissance dissimule également la marchandisation de la sécurité publique et la délégation des missions de services publics à des entreprises qui n’ont pour unique finalité que la recherche de la rente. Une finalité bien éloignée des fonctions régaliennes de l’État. Il y a ici un manque de cohérence en matière de politique publique que l’on avait déjà pointé du doigt à l’occasion de la loi sécurité globale de mai 2021 mais également lors de l’examen de la LOPMI.
Aussi, nous tenons à dénoncer que la gestion sécuritaire des JO se traduit également par les opérations anti-délinquance menées depuis novembre 2022 et qui continueront jusqu’au jeux. Aujourd’hui, deux opérations anti-délinquance d’envergure sont menées chaque jour à Paris et en Seine-Saint-Denis, deux par semaine dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, sans compter les initiatives de moindre ampleur, pluriquotidiennes. Entre le 7 et le 27 novembre, 235 de ces opérations ont été conduites, pour une cinquantaine de gardes à vue. Est-ce bien nécessaire ?
La LOPMI nous l’annonçait déjà, les JO seront l’illustration de la doctrine du maintien de l’ordre, répressive et sécuritaire, du ministère de l’Intérieur. Une doctrine à laquelle le groupe CRCE s’oppose fermement et à laquelle nous préférons le triptyque : prévention, dissuasion, répression.
De plus, le groupe CRCE s’oppose fermement à la légalisation de la vidéosurveillance algorithmique portée par ce projet de loi. La détection par logiciel d’événements et de comportements dits « suspects » portera une nouvelle fois une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à la liberté d’aller et venir des participants. Une légalisation qui sera une occasion pour les entreprises françaises de montrer leur savoir-faire en matière de répression, et pour le gouvernement de déployer une technologie encore illégale, mais dont les offres commerciales sont déjà très présentes.
Nous dénonçons des jeux qui sont une étape pour travailler l’acceptation par la population de telles technologies. Eh oui, l’état d’exception créé par les Jeux olympiques permet de faire passer des lois sécuritaires qui resteront par la suite. Ne nous leurrons pas.
Sur un autre aspect, tout aussi important, alors que l’Assemblée nationale va débuter l’examen de la réforme des retraites, le projet de loi prévoit un recul scandaleux de la limite d’âge des fonctionnaires occupant des emplois participant directement à l’organisation des jeux « au nom de l’intérêt du service » et ce jusqu’au 31 décembre 2024. Dans la même veine, l’ouverture des commerces de ventes les dimanches dans les communes des sites de compétition et à proximité, remet en cause le principe du repos dominical et porte atteinte au droit fondamental à la vie privée et familiale.
Par ailleurs, le projet de loi comporte un seul aspect concrètement en lien avec le sport, à savoir, le contrôle antidopage. En effet, il envisage d’autoriser, le temps des jeux, l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par ses empreintes génétiques afin de mieux réaliser un contrôle antidopage. Si cette transposition d’une norme internationale encadrant le contrôle antidopage est nécessaire au déroulement des JO mais aussi de la Coupe du monde de rugby, la CNIL et la Ligues des Droits de l’Homme dénoncent des « tests particulièrement intrusifs, qui dérogent de façon importante aux principes encadrant actuellement les analyses génétiques dans le code civil ». Là aussi, le groupe CRCE dénonce le caractère paradoxalement temporaire de cette mesure qui sera, en définitive, appelée à se pérenniser et ce alors même que celle-ci déroge de manière disproportionnée à des dispositions du code civil.
Enfin, si la tenue des Jeux olympiques et paralympiques pouvait représenter une formidable opportunité de modernisation et d’amélioration de la qualité du service du réseau francilien, il se pose aujourd’hui la question de la capacité d’Ile-de-France Mobilités à répondre aux défis de la saturation. Alors que de nouvelles lignes de métro auraient dû être prêtes pour relier les différents sites des JO et permettre le transport de 10 millions de personnes, seul le prolongement de la ligne 14 sera livré à temps. Les promesses de répondre aux besoins de mobilités générés par les jeux, et ce de manière décarbonée, auront du mal à être tenues.
D’autre part, toujours au sujet des transport, nous considérons que l’extension des images de vidéoprotection auxquelles ont accès les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP ne procède pas à une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public qu’elle poursuit et le droit au respect de la vie privée des usagers.
Pour conclure, le groupe CRCE considère que ce projet de loi, libéral et sécuritaire, ne respecte pas le juste équilibre entre sécurité et protection des libertés et droits fondamentaux. Il n’honore pas les Jeux Olympiques et porte de graves atteintes aux libertés publiques, en ce sens nous considérons qu’il est contraire au bloc de constitutionnalité.
J’aurais un dernier mot pour ceux qui sont exclus face à des prix de billets exorbitants et ne verront les Jeux Olympiques que de loin. Tout compte fait, et cela est bien dommage, les JO 2024 seront un mirage de convivialité.
Je vous appelle ainsi à voter notre motion d’irrecevabilité qui, vous l’avez compris, se justifie amplement.