L’élargissement de l’Otan n’est pas un gage de paix
Le parlement a adopté l’élargissement de l’Otan à la Suède et la Finlande sous fond de guerre en Ukraine -
Par Pierre Laurent / 3 août 2022Conséquence de l’agression de Poutine contre l’Ukraine, deux pays ancrés de longue date dans la neutralité, intègrent l’Otan. Pour mieux les protéger ? Pour mieux nous protéger ? Ou pour servir les intérêts américains et d’abord de leur industrie militaire ?
Les discussions au Sénat sur l’élargissement de l’Otan à la Suède et la Finlande sont menées au pas de charge. Le Gouvernement a ajouté ce projet de loi à l’ordre du jour le 16 juillet dernier. Nous avons voté 5 jours plus tard. Une procédure exceptionnelle, expéditive, dans un hémicycle peu garni, pour une décision pourtant de portée majeure dans le contexte de guerre actuel. Ce n’est ni sérieux, ni responsable. On nous demande de ratifier les adhésions de ces deux pays, déjà validées au nom de la France au sommet de l’OTAN le 28 juin, sans aucun débat approfondi ni évaluation parlementaire préalable sur la nouvelle doctrine révisée de l’OTAN à Madrid dans laquelle ces adhésions s’inscrivent.
Il est vrai que l’agression inacceptable de la Russie contre l’Ukraine et les crimes qu’elle entraîne depuis ont ouvert une nouvelle page dangereuse de l’Histoire des relations internationales. Parmi toutes ces conséquences dangereuses pour la paix du monde, elle provoque aujourd’hui le basculement historique de deux pays ancrés de longue date dans la neutralité, vers le ralliement à une logique du bloc militaire atlantiste, au moment même où celui-ci durcit sa logique agressive. Qui peut sérieusement y voir une bonne nouvelle pour la sécurité internationale ?
On joue sur les peurs, mais comme membres de l’UE, la Suède et la Finlande pouvaient déjà faire appel aux clauses d’assistance mutuelle des traités européens. Leurs armées sont déjà interopérables avec celles de l’OTAN dans le cadre du partenariat euro-atlantique. Plus que sécuritaire, la décision est donc politique et géostratégique. Ce qui change, c’est leur intégration systémique dans un dispositif sous commandement otanien, autrement dit sous commandement américain. Seront-ils mieux protégés, ou sommes-nous en train de les transformer en première ligne de front potentielle entre l’OTAN et la Russie, donnant ainsi comme il est dit, « de la profondeur stratégique à l’OTAN » ? Nous prétendons les protéger, quand nous les exposons encore plus au danger. D’autant que si l’installation de bases militaires sur leur sol est aujourd’hui écartée, elle pourrait advenir à tout moment à l’avenir.
Parce que, sous impulsion américaine, la doctrine révisée par l’OTAN à Madrid assume un tournant particulièrement inquiétant. Elle va pousser à un surarmement massif dans toute l’Europe, et renforcer la logique mondiale d’affrontement de blocs militaires.
Quand les grands défis de sécurité mondiale sont alimentaires, énergétiques, climatiques, sociaux, des centaines de milliards d’euros supplémentaires vont être engloutis par les pays européens membres de l’OTAN dans les dépenses militaires, alors que l’OTAN représente déjà plus de la moitié des dépenses d’armement du monde, trois fois plus que la Russie et la Chine réunies ! Ces dépenses profiteront, pour au moins les deux tiers, aux industries d’armement américaines. Pour toutes ces raisons vous le comprendrez, nous nous sommes opposés à ce nouvel élargissement de l’OTAN.
Tout semble se résumer à préparer la guerre. Nous attendons pour notre part du gouvernement l’ouverture de débats urgents sur la relance de voies nouvelles vers la paix, celles de l’indépendance et de l’autonomie stratégique, celles de nouvelles architectures de sécurité collective, incluant la solution politique des conflits intra-européens toujours non résolus, je pense à Chypre et aux Balkans, celles de la relance du désarmement multilatéral. La France doit écouter la voix du monde, pas celle du bloc atlantiste.