La question des super profits a surgi dans nos débats
Intervention général d’Éric Bocquet sur la loi de finances rectificative 2022 -
Par Eric Bocquet / 3 août 2022Rehaussement du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires, rien sur les superprofits, suppression de la redevance audiovisuelle, monétisation des RTT, la loi de finances rectificatives aura néanmoins montré, s’il le fallait, la collusion du gouvernement avec la droite sénatoriale.
Au soir de sa victoire le 24 avril dernier, le Président de la République avait eu ces mots : « Ce vote m’oblige pour les années à venir, cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève. La colère et les désaccords doivent aussi trouver une réponse, il faut enfin considérer toutes les difficultés des vies vécues et des difficultés qui se sont exprimées ».
Nous voici trois mois plus tard en séance pour débattre d’un projet de loi de finances rectificative qui aurait dû marquer le début de cette ère nouvelle qui nous fut annoncée par l’oracle de l’Elysée. Du discours aux propositions formulées, le gouffre est béant.
Pendant les deux campagnes du printemps, les fractures profondes qui minent notre société sont clairement apparues et parmi les préoccupations de nos compatriotes, s’est exprimée très fortement la question du pouvoir d’achat. Ainsi, ce sont 40% des Français qui ne partent pas en vacances cette année dans notre pays, pourtant sixième puissance économique mondiale. Celles et ceux qui partent constatent la hausse vertigineuse du prix du carburant qui les privera des petits plaisirs des vacances, la sortie au restaurant en famille ou la crème glacée aux enfants au soleil de la canicule.
Sans doute ces automobilistes, ont-ils apprécié d’apprendre que le groupe Total Energie a réalisé un bénéfice net de 17,7 milliards d’euros pour le premier semestre 2022 et que, de surcroît, ce groupe n’a pas payé d’impôt en France en 2020 et 2021.
La Fédération Française des Banques Alimentaires a réalisé il y a quelques semaines une étude visant à mesurer l’impact de l’inflation (qui vient de franchir la barre des 6% en un an) sur les personnes accueillies dans le réseau des banques alimentaires, premier réseau d’aide. Les banques alimentaires viennent en aide à 2,2 millions de personnes en situation de précarité. Je relèverai trois des constats que cette étude met en évidence, d’abord, une hausse du budget alimentation pour la moitié des foyers interrogés, ensuite une hausse des prix qui affecte davantage les familles avec enfants, enfin un report massif sur les produits les moins chers.
De l’autre côté du spectre, nous évoquions la santé économique Total Energie, un groupe qui n’est pas une exception, l’ensemble des groupes du CAC 40 ont dégagé collectivement, quelque 174 milliards d’euros de bénéfices, du jamais vu dans le capitalisme français et une hausse de 70% par rapport au précédent record. Rapporté à une échelle plus humaine, plus accessible au commun des mortels, les groupes du CAC 40 ont gagné 5517 euros chaque seconde !
Ainsi donc, la question des super profits a-t-elle légitimement surgi dans les débats.
Le cas de Total Energie a été cité, nous pourrions tout autant citer Engie qui a engrangé des profits records l’an dernier avec 3,7 milliards. Le logisticien CGA-CGM qui transporte des conteneurs a réalisé 18 milliards de profits en 2021 et en a déjà encaissé 7,2 milliards au premier trimestre 2022.
L’Italie et le Royaume-Uni ont tous deux mis en place une taxe sur les super profits des énergéticiens de 25%, d’autres Etats européens ont suivi le même chemin. A l’évidence, en France, les actionnaires sont cajolés, dorlotés, chouchoutés.
Dans le quinquennat précédent, vous aviez fait ce choix de baisser la fiscalité du capital avec la suppression de l’ISF et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes.
Ces choix n’ont eu comme effet que de concentrer davantage encore la richesse, puisque les 10% les plus riches détiennent la moitié des actifs qui financent l’économie.
Y a-t-il eu un effet sur l’investissement ? On peut en douter.
M. le Ministre, vous appelez régulièrement à la modération en matière de distribution de dividendes ; s’agissant du pouvoir d’achat, vous demandez aux entreprises qui le peuvent de faire un geste. A l’évidence, ces gestes ne sont que des signaux faibles, très faibles.
Total a annoncé une remise d’été de 12 centimes par litre, valable uniquement en juillet et en août et seulement sur les autoroutes !
La compagnie de conteneurs CMA-CGM offre de son côté une ristourne de 500 euros sur les conteneurs de l’Asie vers la France à partir d’août et ce, pour un an.
Entre temps, nous apprenons que le PDG de cette compagnie, M. Rodolphe SAADE, figure désormais à la cinquième place du classement annuel des grandes fortunes publié par le magazine « Challenges », grâce à une augmentation de sa fortune de plus de 30 milliards d’euros.
La source de ces énormes profits n’est pas, on le sait, dans l’invention d’un produit révolutionnaire, l’entreprise bénéficie simplement d’une situation anormale, hors marché de pénurie. Et nous devrions nous interdire de taxer ces super profits ?!
Ce projet de loi de finances rectificative, c’est le gras pour les uns et quelques miettes pour l’immense majorité des autres.
Notre société est fracturée, nous l’avons dit, pour combattre le cancer des inégalités, vous prescrivez l’usage du paracétamol.
Le groupe CRCE votera contre ce projet de loi de finances rectificative