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Activité des sénateurs

Le squelette de Descartes

Par / 14 juin 2023

La loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain a introduit dans le Code civil un nouvel article 16-1 ainsi rédigé : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

Il a été complété par la loi du 19 décembre 2008 et l’article 16-1-1 qui stipule : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Nous devons à notre collègue le questeur Jean-Pierre Sueur cet ajout important. Sa proposition de loi déposée en 2005 fut une contribution majeure à la législation funéraire et à la définition du statut juridique de la dépouille mortelle. En une dizaine d’années, la loi a considérablement évolué sous l’influence de réflexions éthiques devenues prépondérantes. Le corps humain post mortem est devenu un objet de droit particulier qui ne peut être possédé et qui doit être traité avec dignité.

Les collections publiques renferment des milliers de restes humains collectés en France métropolitaine, dans les territoires de ses anciennes colonies ou dans des pays étrangers. Leur traitement ne pouvait continuer à ignorer les évolutions éthiques et législatives qui ont conduit à la modification de notre Code civil.

Ces vestiges humains ont été intégrés aux collections publiques à la suite de processus historiques, politiques et muséographiques d’une grande variété. Permettez-moi d’en présenter deux exemples.

Le crâne de René Descartes, aujourd’hui conservé au Musée de l’homme, fut acheté lors d’une vente par le chimiste suédois Berzelius qui le remit à Cuvier en 1821. Les autres os de son corps ont été déposés dans une chapelle de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. On doit sans doute cette disjonction du chef du philosophe à l’indélicatesse du capitaine des gardes chargé de la première exhumation avant 1667. Est-il justifié que le squelette de Descartes repose ainsi dans deux lieux différents ?

J’aimerais ensuite évoquer le destin d’un autre pensionnaire du musée de l’homme, celui de l’assassin du général Kleber en 1800, au Caire, Soleyman El-Halebi. Empalé, il mourut dans d’atroces souffrances. Son squelette fut montré pendant de nombreuses années. Cette exposition prolongeait en quelque sorte son supplice public. Reconnaissons que cette monstration avait quelque chose de monstrueux.

Il m’est agréable de souligner que c’est depuis le Sénat, en la personne de notre collègue Catherine Morin-Desailly, que s’imposa l’idée que nous ne pouvions plus traiter les restes humains du passé avec l’indignité que nous refusons désormais aux morts du présent. Son action en faveur de la restitution des têtes maories a été exemplaire et décisive. Une méthode a été alors mise en œuvre et elle inspire aujourd’hui la présente proposition.

Elle repose sur trois principes que je résume. La demande doit être instruite d’État à État, elle doit être fondée sur un travail scientifique transparent et collégial et les vestiges restitués sont destinés à recevoir un traitement funéraire.

Ces principes avaient été énoncés, en 2010, par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans un avis consacré aux problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale. Il est regrettable que les institutions muséales aient tant tardé à s’en inspirer.

Gérer les collections publiques ne peut se faire sans réflexion éthique. En 2005, Messieurs Collinet et Metzger ont rendu au ministre de la culture et de la communication, Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres un rapport dans lequel il préconisait la création d’un comité d’éthique consultatif et indépendant rattaché directement au ministre. Après la suppression de la Commission scientifique nationale des collections, une instance de ce type pourrait sans doute assurer une réflexion pérenne sur la gestion des restes humains par les services patrimoniaux.

Dans le même rapport, il était recommandé de mettre en œuvre un plan ambitieux de récolement des collections. Près de vingt ans plus tard, il manque toujours un inventaire précis de tous les restes humains conservés dans les collections publiques. La Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art a compétence pour s’assurer de la mise en œuvre de l’obligation du récolement décennal prévu par l’article L. 451-2 du Code du patrimoine. En élargissant quelque peu ses missions, il serait peut-être judicieux de lui confier une mission de contrôle et de coordination de l’inventaire des restes humains conservés dans les collections publiques.

La loi votée, il restera, Madame la ministre, un grand chantier afin que votre ministère mette en œuvre tous ses principes.

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