Qu’est-ce que la propriété dans l’art ?
Par Pierre Ouzoulias / 13 mars 2023Monsieur le rapporteur, il fallait une certaine intrépidité pour partir à l’assaut du vénérable édifice constitué par la loi Bardoux. Les premiers coups de pioche donnés, vous vous aperçûtes que ses fondations encore bien solides pouvaient expliquer la durabilité d’élévations que l’on pensait croulantes. Avec l’humilité qui vous caractérise, vous reconnaissez que la proposition que vous nous soumettez est imparfaite. Elle a néanmoins le mérite de définir le cadre utile d’un chantier de reconstruction. Il restera à Agénor Bardoux bien d’autres mérites dont celui d’avoir participé à la révision du texte de Salammbô.
La loi de 1895 intéresse le droit des contrats. Dans le domaine particulier du marché de l’art, elle apporte des garanties à l’acheteur en le préservant du dol, de l’escroquerie et de la falsification. Son objet n’est pas de protéger ni l’auteur, ni son œuvre, mais de sanctionner les tromperies sur l’authenticité d’une œuvre pour donner à l’acquéreur une assurance de délivrance conforme. Elle met en œuvre pour cela deux notions essentielles, l’intentionnalité de la fraude et l’authenticité de l’œuvre. À l’usage, ces deux principes sont parfois apparus d’établissement complexe. La question de l’authenticité recoupe souvent celle de la provenance et l’intentionnalité est quelques fois difficile à établir quand elle est l’enjeu de controverses académiques.
Le décret modifié dit Marcus du 3 mars 1981 a tenté de corriger ce défaut en introduisant des gradations dans le degré de certitude de l’authentification. Les formules qu’il propose : « attribué à », « de l’école de », du « style », du « genre de », « d’après », à la « manière de », « dans le goût de », ont eu le mérite d’offrir au vendeur la possibilité de ne pas engager totalement sa responsabilité quand il estimait que l’authenticité pouvait être discutable.
Néanmoins, de nombreuses questions restaient pendantes comme celle relative à la révision de la valeur d’une œuvre à la suite d’une nouvelle attribution. On sait que la cour de cassation, par son deuxième arrêt Poussin, a considéré qu’elle n’était pas créatrice de qualités nouvelles, mais révélatrice de qualités préexistantes ce qui permettait au vendeur de dénoncer le contrat.
Par ailleurs, la loi Bardoux était inspirée par une conception très académique des beaux-arts qui fut rapidement dépassée par l’évolution de la pratique artistique. En 1913, Marcel Duchamp expose sa roue de bicyclette et plus tard sa fontaine en posant la question « peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art ? ». En l’occurence, ce qu’interroge Marcel Duchamp c’est le statut de l’artiste et de l’œuvre et c’est dans ce questionnement que réside la démarche artistique. La notion d’authenticité n’a alors plus de sens.
Avec cet exemple est rapidement abordé le problème juridique complexe des relations entre la législation du patrimoine et celle de la propriété intellectuelle. L’auteur conserve des droits sur l’œuvre même après sa vente. Comment établir l’authenticité d’une œuvre que son auteur aurait reniée et qu’il aurait peut-être détruite ?
Monsieur le rapporteur, à plusieurs reprises dans cet hémicycle, notamment lors de la discussion sur les lois de restitution, vous avez exprimé vos interrogations sur la valeur de la notion de propriété appliquée à une œuvre d’art. Dans l’exposé des motifs de votre proposition vous considérez que l’œuvre appartient d’abord à une culture avant d’appartenir à un individu.
L’abrogation de la loi Bardoux est alors pour vous un moyen de nous inciter à une réflexion plus profonde. Pour cette première pierre d’un édifice plus vaste nous vous remercions chaleureusement.