Tous connectés ou tous rentables ?
Par Marie-Claude Varaillas / 3 mai 2023Avec ses aspects techniques et l’imaginaire futuriste auquel il renvoie, le tout numérique fait l’objet de critiques parfois légitimes, notamment lorsqu’il s’agit des installations et de la couverture réseau qui en découle.
Alors que la presse grand public évoque désormais régulièrement les avancées de l’intelligence artificielle et ses potentialités, positives comme négatives qui s’ouvrent à nous, pour une partie de nos concitoyens le haut débit se fait attendre.
L’objectif de nous voir toutes et tous connectés se heurte à l’objectif de rentabilité et à la politique du chiffre qui cause de nombreux désagréments sur le terrain.
Malfaçons, raccordements ratés, débranchements intempestifs, les collectivités et les usagers sont face à de graves difficultés lorsqu’il s’agit de désigner un responsable à ces manquements. Selon l’AVICCA qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique c’est près de 75 % des raccordements réalisés en mode STOC (sous-traitance opérateur commercial) qui présentent des défauts. Le phénomène n’est pas nouveau, les appels à la vigilance des opérateurs récurrents mais les contrats STOC V.1 -V.2- V.3 n’y ont rien changé.
La proposition de Loi que nous examinons aujourd’hui a le mérite, dans un contexte où les usagers, les installateurs ou les installations font l’objet d’un mauvais traitement de mieux encadrer le déploiement par les opérateurs privés guidés par la rentabilité, la quantité des foyers raccordés primant sur la qualité du réseau.
Je salue le travail de nos collègues Patrick CHAIZE et Patricia DEMAS qui pose des limites à une forme de désordre que nous avons pu être amenés à constater dans nos départements qui ont du, en zone rurale, déployé un réseau d’initiative publique (le RIP) faute de manifestations d’intérêt de la part des opérateurs privés par défaut de rentabilité et de ce fait consacré un budget important au déploiement haut débit.
La forte hausse des alertes constatées par l’ARCEP en 2022 est révélatrice des difficultés rencontrées par les utilisateurs. La médiatrice des communications électroniques évoquait « les naufragés de la fibre » dans une rapport de 2021 en soulignant les dysfonctionnements occasionnés par des installations bâclées.
Alors que le réseau cuivre, dit « réseau historique » d’Orange, devrait être démantelé d’ici 2030, il est légitime d’exiger des opérateurs les garanties nécessaires pour permettre le basculement vers la fibre dans les meilleures conditions pour les usagers.
La sous-traitance qui devait être dérogatoire pour le raccordement final de la fibre au domicile est devenu la règle, et c’est précisément cette sous-traitance en cascade qui génère des désordres sur le terrain avec des cadences qui se font au détriment des installations, mais aussi parfois au détriment de la sécurité des installateurs souvent mal formés.
Je pense aux sous-traitants des sous-traitants, à celles et ceux placés dans une forme d’ubérisation qui les pousse à faire plus de raccordements sans en avoir véritablement les moyens et surtout mal rémunérés.
La mise en place d’un guichet unique pour assurer la prise en charge des difficultés sur le terrain et le certificat de conformité sur le modèle des raccordements de gaz ainsi que la mise en place d’un contrat de sous-traitance élaboré par l’OI (opérateur d’infrastructure) et soumis à l’ARCEP participent des améliorations nécessaires et en mesure de corriger la situation existante.
Les droits des consommateurs sont par ailleurs renforcés et des sanctions sont prévues en cas d’interruption du service.
Cette proposition de loi pourrait aller plus loin en remettant en cause le modèle même du déploiement de la fibre. Je pense notamment à ce que nous avons su faire pour nos réseaux de télécommunications historiques, celui du gaz et de l’électricité. ERDF, GRDF, FRANCE TELECOM. Ces noms résonnent comme des vestiges après tant d’années de déstructuration et de privatisation.
Les opérateurs publics sont pourtant des gages de réussite, de durabilité et d’efficacité pour un déploiement qui est avant tout, et bien avant le profit, un enjeu d’intérêt général.
A l’heure où nous donnons au numérique une place de plus en plus importante dans nos vies, avec une dématérialisation qui poursuit son chemin y compris en matière de services publics, cette proposition de Loi, de par les objectifs qu’elle affiche, participe de la réduction de fracture numérique, lorsque l’on sait que 13 millions de nos concitoyens sont en situation d’illectronisme.
Parce qu’elle permettra une amélioration concrète, visible et attendue sur le terrain, notre groupe CRCE votera donc en faveur de ce texte.