Un nombre minimal de soignants par patient ?
Par Laurence Cohen / 3 février 2023Notre collègue Bernard Jomier, à l’initiative de ce texte, reprend ici une revendication portée par des collectifs de personnels soignant·es depuis plusieurs années. En France, il existe déjà des ratios de patient·es par soignant·es dans des services très spécifiques tels que le bloc opératoire, la réanimation et la dialyse.
Je tiens tout d’abord à remercier le travail de la rapporteure Laurence Rossignol sur cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste qui vise à instaurer un nombre minimal de soignant·es (infirmier.es et aides soignants) par patient·e hospitalisé.
Instaurer des ratios à chaque spécialité et activité de soin permettrait une amélioration des conditions de travail et contribuerait à un peu plus d’attractivité pour les personnels. Ce serait également la garantie d’une meilleure prise en charge des patient·es.
La politique de réduction des dépenses de santé et de non-recrutement de personnel hospitalier a mécaniquement entrainé une augmentation du nombre de patient·es sous leur responsabilité. On le sait, l’une des causes majeures des difficultés de recrutement et de la fuite de personnel soignant, en particulier infirmier, est, plus encore que la faiblesse des salaires, l’augmentation de la charge de travail due au manque d’effectif.
Cette question est d’autant plus importante qu’une étude, parue dans la revue scientifique The Lancet, a démontré qu’en améliorant le ratio soignant/patient on diminuait la mortalité, les réadmissions et la durée de séjour.
L’idée est donc fort séduisante. Malheureusement, mes cher.es collègues, cette proposition de loi ne présente pas que des avantages. En effet, dans le contexte actuel de pénurie, cette proposition risque plutôt de produire des effets pervers non désirés. Sans recrutement supplémentaire et à moyens constants, mettre en place des seuils minimums induit forcément de prendre des effectifs dans tel service pour renforcer tel autre service. Autrement dit, déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Nous avons été alertés par des soignant.es qui s’inquiètent d’une possible concurrence entre les services pour obtenir des ratios plus importants, d’une guerre entre chef·fes de service.
En l’état actuel des choses, ce dispositif peut donc contribuer à accélérer la fermeture de lits, voire remettre en cause les 35 heures. C’est la raison pour laquelle nous estimons que l’instauration des ratios soignant·es/soigné·es doit aller de pair avec une hausse massive des moyens alloués à l’hôpital !
Madame la Ministre, vous vous êtes bien gardée de vous engager sur ce terrain ! Vous avez effectivement fait l’éloge des personnels mais actuellement le gouvernement n’entend pas les revendications.
Dans une tribune au Monde, la sociologue Dominique Méda estimait que la mise en place de tels ratios nécessiterait l’embauche de 100 000 infirmières et infirmiers supplémentaires pour un coût de 5 milliards d’euros. Madame la Ministre, la balle est dans votre camp !
Tout en reconnaissant les contraintes imposées aux propositions de loi, nous regrettons donc que la proposition de loi ne cible pas des sources de financement comme par exemple la suppression des 75 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales.
Enfin, nous regrettons le choix de ne pas associer les organisations syndicales à la définition des besoins afin de fixer ces ratios, aux côtés de la Haute Autorité de Santé et de la Commission Médicale d’Établissement.
Par conséquent, la proposition de loi du groupe socialiste dont nous partageons l’objectif s’arrête au milieu du gué en prenant le risque d’accompagner les politiques de réductions de lits, et le groupe CRCE s’abstiendra. Mais je trouve que c’est un appel que le gouvernement doit entendre.