Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Dans le département

Réforme de l’Ordonnance de 1945

Par / 5 décembre 2002

par Robert Bret

Mesdames, Messieurs,

La commission d’enquête sur la délinquance des mineurs a été créée au Sénat le 12 février 2002, soit en plein cœur de la campagne pour les élections législatives et l’élection présidentielle.

Lors des débats présidant à la création de cette commission d’enquête, j’ai donc fait part de mes doutes face à l’étude du phénomène de la délinquance juvénile dans cette période électorale marquée par l’emprise du discours sur l’insécurité.

Intervenant au nom de mon groupe, j’ai annoncé que nous ne prendrions pas part au vote de la proposition de résolution tendant à créer cette commission d’enquête.
Toutefois, soucieux de favoriser l’initiative parlementaire, nous avons décidé de participer aux travaux de cette commission sans a priori.

Ce que nous souhaitions : dépassionner le débat sur la délinquance des mineurs et tenter d’aboutir à une évaluation objective du phénomène au vu des observations des professionnels du terrain.

Après avoir auditionné 73 personnes au Sénat et procédé à 15 déplacements en métropole, en Guyane et en Guadeloupe ainsi qu’à l’étranger : au Royaume-Uni, la commission d’enquête a publié son rapport début juillet 2002.

Voici les constats qui y sont consignés :

La délinquance des mineurs n’est pas un phénomène nouveau. Si la situation actuelle est préoccupante c’est parce que cette délinquance est plus importante, plus violente, plus jeune. Entre 1992 et 2001, le nombre de mineurs a augmenté de 79%.
Il apparaît que les mineurs délinquants connaissent généralement une situation familiale difficile : absence du père ; relations conflictuelles au sein de la famille &#133. ; et sont pratiquement toujours en échec scolaire.
Leur état de santé physique et psychique est mauvais. Ils ont des conduites à risques : consommation abusive d’alcool et de drogues, notamment du cannabis.

La famille et l’école ne contiennent plus la délinquance : De nombreux parents rencontrent les plus grandes difficultés à éduquer leurs enfants et l’école n’est plus le sanctuaire à l’abri de la violence. À force de vouloir faire entrer tous les enfants dans le même moule, l’école a fini par exclure.

L’insuffisance des liens entre les institutions chargées de la prévention entraîne des ruptures de suivi nuisible à l’efficacité de cette prévention. Ainsi, trop d’enfants en difficulté sont repérés sans qu’aucune prise en charge adaptée intervienne dans un délai raisonnable.

La politique de la ville est caractérisée par un assemblage de programmes de prévention, une abondance d’axes d’action ainsi par la création sans cesse de nouveaux métiers.

La commission a reconnu que la justice des mineurs n’était pas particulièrement laxiste.

Si la justice des mineurs apporte effectivement des réponses à la délinquance des mineurs, celles-ci se révèlent cependant comme n’étant ni claires, ni rapides, ni progressives, voire pas mises en œuvre.

Concernant l’enfermement des mineurs et la possibilité ou non de conduire une action éducative en milieu fermé, la commission a mis en avant l’exemple des Pays-Bas qui ont mis en place des parcours d’éducation et de réinsertion comportant des phases de liberté et des phases de contention pendant lesquelles le travail éducatif continue.

Quant à l’administration de la PJJ, la commission a estimé qu’elle était victime d’une inertie persistante, d’une crise de vocations, en définitive d’une véritable crise d’identité.

Au terme de ses travaux, la commission d’enquête a considéré qu’une action globale conciliant l’éthique et la réalité devait être entreprise pour limiter la délinquance des mineurs.
Une telle action ne peut passer que par la conjugaison de l’éducation et de la sanction.

C’est ainsi qu’elle a proposé un certain nombre de mesures qui tournent autour de 10 grands principes.
J’insisterai davantage sur les mesures qui intéressent plus particulièrement les magistrats que vous allez devenir.

1- Mieux connaître le phénomène de la délinquance des mineurs pour une meilleure action.

2- Responsabiliser et soutenir la famille :
Outre le renforcement de l’autorité parentale, le développement des dispositifs d’aide aux parents en difficulté, le renforcement du rôle de la PMI qui est essentiel dans le dépistage précoce des enfants violents ou en souffrance et l’élargissement de son action à l’ensemble des enfants de moins de 11 ans, la mise en place d’une politique d’éducation aux médias, il est notamment proposé de renouveler la tutelle des prestations sociales enfants qui pourrait être étendue aux parents d’enfants condamnés pour actes de délinquance.

3- Diversifier l’école pour fermer des prisons :
Il est préconisé entre autre d’améliorer les dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire en renforçant le rôle du chef d’établissement.

4- Reconquérir les quartiers :
Il est notamment proposé de renforcer la lutte contre les trafics qui minent certains quartiers.

5- Être impitoyable envers les majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions :
Ainsi que vous le savez, le code pénal punit déjà le fait de provoquer un mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits. La commission propose ici
 De supprimer la condition d’habitude et de prévoir l’exercice systématique de poursuites.
 d’aggraver les peines encourues par un majeur en cas de vol ou de violences en cas de participation d’un majeur agissant en qualité d’auteur ou de complice
 de combattre les filières d’immigration clandestine qui conduisent en France de nombreux enfants et adolescents, parfois exploités par des réseaux, pour commettre des infractions ou se prostituer.

6- Redécouvrir la dimension éducative de la sanction :
Il est proposé un aménagement de l’ordonnance de 1945 en vue :
 D’élargir le panel de mesures pouvant être prescrites aux mineurs de moins de 13 ans pour prévoir la réparation, un éloignement de très brève durée, la confiscation des objets ayant servi à commettre l’infraction.
 D’autoriser le placement en détention provisoire des mineurs de 13 à 16 ans en matière correctionnelle lorsque le mineur ne respecte pas les obligations d’un contrôle judiciaire prononcé par le juge.
 D’associer le parquet à la décision de renvoyer un mineur soit devant le juge des enfants, soit devant le tribunal pour enfants.
 De créer une mesure de stage d’instruction civique ordonnée par le parquet pour les infractions les moins graves.
 D’accélérer les procédures en permettant au procureur de renvoyer un mineur déjà connu de la justice devant le tribunal pour enfants dans un délai de 10 jours à un mois aux fins de jugement.
 De développer la réparation en créant des lieux de réparation dans toutes les villes d’une certaine taille et créer une aide financière pour les collectivités locales et les organismes publics qui mettent en place des travaux d’intérêt général.
 Augmenter les moyens humains de la justice des mineurs.

7- Mettre de la contrainte dans l’éducation et de l’éducation dans la contrainte :
Considérant que certains mineurs doivent être contenus pendant un temps parce que la sécurité de la société l’impose, parce qu’ils sont ancrés dans un processus d’autodestruction qu’il faut arrêter, considérant qu’aujourd’hui l’enfermement dans les quartiers des mineurs marque un temps de contrainte sans éducation, la commission a fait les propositions suivantes :
 Création d’établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs permettant une prise en charge éducative intensive pendant l’incarcération. Ils ont vocation à se substituer peu à peu aux quartiers des mineurs présents actuellement dans les maisons d’arrêt.
 Développer des souplesses pour le passage des établissements pénitentiaires aux structures plus ouvertes et réciproquement.
 Développer des structures psychiatriques spécialisées.

8- PJJ : Privilégier l’humain sur la bureaucratie :
 Renforcer les liens entre la PJJ et les juges des enfants et remettre en cause la réforme en cours des services éducatifs auprès des tribunaux qui éloigne les éducateurs et les magistrats les uns des autres.
 Renforcer le suivi des mesures et les peines.
 Augmenter les capacités d’accueil dans les structures d’hébergement en priorisant les activités sur les murs.
 Assouplir les conditions de recrutement et d’affectation des personnels.

9- Développer des partenariats responsables.
10- Renforcer l’évaluation des actions conduites en matière de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs.

J’ai - au nom du groupe Communiste Républicain et Citoyen - regretté que les conclusions du rapport ne reflètent pas toute la richesse des auditions et en reste du point de vue des préconisations avancées à des réponses décevantes bien en-deça de l’enjeu.

C’est pourquoi, tout en saluant l’important travail réalisé par la commission, nous n’avons pas souhaité nous associer aux propositions figurant dans le rapport sur lesquelles nous nous sommes finalement abstenus.
Nous avons voulu souligner les limites tant inhérentes au rapport lui-même qu’eu égard aux annonces gouvernementales faites dans la même période que la publication du rapport d’enquête.

Nous avons tout d’abord considéré que la façon dont était appréhendée la réalité manquait de mise en perspective notamment sociologique :
L’état des lieux effectué par la commission d’enquête ne reflète pas à mon sens la complexité du problème telle que l’ont exprimée les personnes auditionnées.
J’ai notamment déploré que le lien entre l’augmentation de la délinquance des mineurs et la détérioration sociale et plus globalement la violence des rapports sociaux n’ait pas été mis en évidence.

On ne peut pourtant pas taire l’augmentation du chômage et de la pauvreté ni la détérioration du cadre de vie et singulièrement de l’habitat.

Il convient de rappeler en effet l’existence de « quartiers relégués » d’où les services publics sont absents et qui symbolise l’abandon qui n’est pas sans conséquence sur l’augmentation de l’insécurité.

Pour exhaustif que semble être, par ailleurs, le bilan de la délinquance des mineurs, il n’apporte - à défaut de comparaison avec la délinquance générale - que des enseignements limités.

Il risque de dramatiser un phénomène déjà préoccupant en occultant le fait que les formes les plus violentes de délinquance et particulièrement les homicides restent essentiellement le fait des majeurs : attaques de fourgons blindés, braquages de banques etc.).

Ensuite, nous avons estimé que la dimension éducative de l’ordonnance de 1945 avait fait l’objet d’une vision « rétrécie » :
En dépit d’un attachement affirmé aux principes directeurs de l’ordonnance de 1945, notamment dans son volet éducatif, et du ton globalement modéré du rapport, j’ai regretté que la dimension éducative de cette ordonnance ait été appréhendée principalement dans une perspective d’enfermement.

C’est ainsi que j’ai regretté la préconisation en faveur de la mise en détention provisoire dès 13 ans - même limitée au cas de violation du contrôle judiciaire.

J’estime qu’une telle mesure contredit les conclusions des rapports parlementaires d’enquête sur les prisons ainsi que l’esprit initial de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence qui voulait limiter la détention provisoire.

S’il faut se réjouir de la vocation exclusive des centres fermés dits « centres spécialisés » à se substituer aux quartiers des mineurs dans les établissements pénitentiaires dont on connaît les difficultés qu’ils engendrent, cette solution nécessiterait toutefois d’être examinée plus avant en raison notamment du flou du dispositif proposé et du danger d’appel d’air en direction de l’enfermement qui risque de se produire.

D’autre part, la proposition de spécialiser les structures d’accueil publiques sur l’enfance délinquante va, me semble-t-il, à l’encontre de l’unité de la justice des mineurs qui a en charge les mineurs délinquants comme les mineurs victimes.

Enfin, nous avons jugé que la réflexion sur les dispositifs de prévention et de réinsertion était insuffisante :
Le rapport de la commission d’enquête se termine par une énumération de propositions qui démontre l’ampleur de la tâche.

A lire les 10 points de préconisation, on mesure combien la question de la délinquance juvénile met en cause la société dans son ensemble : l’école, les parents, les quartiers, l’administration &#133

Si certaines mesures relatives à l’école et au soutien aux parents offrent d’intéressantes perspectives, en revanche il est clair qu’elles représentent un coût très élevé incompatible avec une politique de réduction des dépenses publiques.

Ne pas débloquer les moyens financiers en conséquence revient à faire de ces propositions de simples pétitions de principe.

Au-delà de ces réserves, nous avions dit notre crainte de voir les aspects positifs du travail de cette commission (analyse des problèmes, volonté d’impliquer l’ensemble des acteurs de la vie sociale : police, justice, mais aussi école, famille, santé et politique de la ville) ne pas survivre aux projets de loi d’orientation à venir sur la justice et la sécurité.

Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice, proposé par M. PERBEN et adopté dans l’urgence l’été dernier, a repris certaines des conclusions de la commission d’enquête, mais essentiellement celles relatives à la répression, laissant de côté tous les autres aspects pourtant évoqués dans le rapport sénatorial et impliquant tous les acteurs sociaux : l’école, les parents, la politique de la ville, de la santé etc.

Le dispositif proposé par le Garde des Sceaux est le suivant :

 Création de centres éducatifs fermés pour les mineurs de 13-18 ans placés sous contrôle judiciaire ou condamnés à une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve. A partir de 13 ans, le mineur pourra, en cas de fugue, être mis en détention provisoire.
 Possibilité de placer les mineurs de 13-16 ans en détention provisoire, en matière correctionnelle, mais limitée au cas de violation du contrôle judiciaire ou de fugue d’un centre de placement.
 Entre les mesures éducatives et les peines, sont créées des sanctions éducatives qui s’appliquent aux mineurs dès l’âge de 10 ans jusqu’à 18 ans. Outre la réparation, il est possible de confisquer l’objet ayant servi à commettre l’infraction ; d’interdire aux mineurs de paraître dans certains lieux ; d’entrer en contact avec la victime ; d’accomplir un stage de formation. Le non-respect de ces prescriptions peut entraîner une mesure de placement.
 Les conditions de retenue des mineurs de 10 à 13 ans dans les locaux de la police et de la gendarmerie sont assouplies (limitée à 10 heures, cette rétention peut désormais aller jusqu’à 12 heures).
 Incarcération des mineurs : soit dans un quartier spécial d’un établissement pénitentiaire, soit dans un établissement spécialisé pour mineurs.
 Compétence du juge de proximité pour les petites et moyennes infractions commises par les mineurs (contraventions des 4 premières classes).
 Création d’une procédure de jugement à délai rapproché permettant la comparution d’un mineur devant le tribunal pour enfants dans un délai de 10 jours à 1 mois.
 Possibilité de prononcer une amende civile à l’égard des parents de mineurs délinquants qui ne répondent pas aux convocations des magistrats.

A lire les différents changements apportés par la loi du 9 septembre 02 à la justice des mineurs, on constate qu’il n’a pas été tenu compte de la richesse des auditions menées par la commission d’enquête.

Axée uniquement sur l’aspect répressif et l’enfermement, cette loi va bien au-delà des conclusions de la commission d’enquête.

L’optique retenue par ce texte se situe ainsi dans une perspective exclusivement tournée sur l’emprisonnement et l’éloignement sans que la dimension éducative de la sanction soit réellement mise en avant.

Il est fait abstraction des problèmes que pose la détention des mineurs sauf à proposer des détentions spécialisées.
Il n’y a rien en ce qui concerne le suivi des mesures éducatives, sur les peines alternatives etc.

Avec mon groupe, nous avons donc voté contre ce projet de loi qui est encore moins ambitieux que le rapport d’enquête sur la délinquance des mineurs dont les préconisations nous semblaient plus équilibrées (voir la création des centres fermés qui, plutôt que de se surajouter aux dispositifs existants, auraient vocation à se substituer aux quartiers des mineurs en prison) et plaçaient la question de la délinquance des mineurs dans une réflexion d’ensemble.

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