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Dans le département

Reforme de la carte judiciaire en Seine-et-Marne : Michel Billout écrit au préfet

Par / 10 septembre 2007

Nangis, le 10 septembre 2007

Monsieur le Préfet,

Dans un courrier daté du 31 août et reçu à ma permanence en date du 5 septembre, vous me sollicitez, dans le cadre de la réflexion menée par le gouvernement portant sur la réforme judiciaire, pour livrer mes observations sur l’évolution de la carte judiciaire de mon département d’ici au 10 septembre.

Vous me permettrez de regretter tout d’abord la brièveté du délai de concertation. Comment en effet expliquer cette précipitation alors que la commission a été mise en place le 27 juin dernier ?

Certes, la réunion avec les chefs de cour est arrêtée au 30 septembre : entre les deux, de « larges consultations » des magistrats, personnels et auxiliaires de justice des juridictions du ressort des Cours d’Appel sont annoncées. Quand on connaît, par exemple, les difficultés pour réunir des assemblées plénières dans les Tribunaux, on est enclin à s’inquiéter des conditions matérielles et temporelles accordées à cette concertation.

Depuis de nombreuses années, la réforme de la carte judiciaire est dans toutes les bouches mais jamais réalisée. Pourtant, j’estime qu’elle est un des préalables indispensables à toute réforme sérieuse de notre justice.

En effet, sur le plan national, les 1120 juridictions qui existent actuellement résultent d’une organisation qui date de Napoléon Ier. Elles sont inégalement réparties et ont des niveaux d’activité peu homogènes. Le plus souvent en décalage avec les réalités démographiques, sociales et économiques, notre carte judiciaire va ainsi à l’encontre d’une justice de qualité au service de l’ensemble des citoyens.Une refonte qui donne la priorité à l’intérêt général et qui dépasse les résistances particulières est sans doute possible.

Encore ne faut-il pas penser la réforme uniquement sous l’angle gestionnaire (économie de personnels) et sous le seul angle géographique (le département) mais en fonction des contentieux. Une plus grande proximité de la justice pourrait ainsi être atteinte en rapprochant des justiciables certains contentieux (famille, instance...), et une plus grande efficacité en regroupant départementalement d’autres contentieux (grande criminalité, par exemple).

En outre, dans un souci de proximité, il est nécessaire que le judiciaire investisse plus les maisons de la justice et du droit. Elles ont, en effet, un rôle important à jouer dans le maillage social.

Or, nous savons par voie de presse et par les engagements de campagne du président de la République que le principe de cette réforme serait en premier lieu économique avec le principe de ne garder qu’un seul tribunal de grande instance par département et une cour d’appel par région. Il me semble impensable que cette réforme ait ce caractère de systématisme.

L’argument d’une économie budgétaire est difficilement compréhensible, outre le fait qu’elle n’est nullement justifiée, compte tenu du surcoût que générera nécessairement une telle réforme. Une économie sur les personnels de justice ne peut être envisagée, compte tenu de l’insuffisance numérique du personnel actuellement en place, que ce soit dans les fonctions de magistrats, de greffiers, d’assistants de justice, ou de personnels techniques.

En Seine-et-Marne, la priorité absolue doit être donnée à l’augmentation des moyens humains et matériels, non à la suppression de tribunaux. Dans un département aussi vaste, l’éloignement des lieux de justice, la complexité des procédures et la surcharge de certaines juridictions ne favorisent pas l’accessibilité et la qualité du service public de la justice -à fortiori pour les populations les plus démunies. Si, à l’origine, il y avait un Tribunal de grande instance par département, au siège du chef lieu, l’étendue de la Seine-et-Marne a justifié la mise en place exceptionnelle de trois TGI. Une réforme qui viserait à un retour en arrière ne me paraît pas compatible avec les objectifs d’amélioration de la qualité de justice rendue affichés par le gouvernement. Chacun s’accorde à reconnaître que les Tribunaux d’Instance restent ceux qui fonctionnent le mieux en termes de délais et d’accueil du public.

Dans un département aussi vaste que le nôtre, où les temps de déplacements sont longs et parfois difficiles, la suppression d’un TGI apporterait assurément une grave dégradation du service publique de la justice pour le justiciable : je pense aux majeurs protégés, aux personnes surendettées, ... autant de justiciables très rarement représentés par un conseil et qui ne pourront vraisemblablement pas effectuer de déplacements sur le territoire pour se rendre à une convocation ou à une audience à plusieurs dizaines de kilomètres de leur domicile, avec l’insuffisance de transports en commun que connaît notre département. Il est à craindre que la qualité de la justice du quotidien soit sacrifiée au nom d’impératifs ne concernant que la justice pénale (la concentration des juridictions pénales vise également à permettre une "harmonisation" de la jurisprudence, et notamment des peines prononcées) ou des contentieux complexes considérés comme plus nobles (pour lesquels une spécialisation est nécessaire).

Or, il est peut-être bon de rappeler que la justice du quotidien, qui touche par définition la plus grande partie des citoyens, est au cœur d’enjeux de société (famille, logement, vieillesse, surendettement...), jugés pour l’heure comme des questions moins sensibles et pourtant en nette augmentation dans les trois TGI de notre département.

Enfin, avant toute réforme, il faut cerner les enjeux : avant de prendre des mesures pour améliorer l’efficacité de la justice, il peut être bon de se mettre d’accord sur ce que chacun entend par « efficacité », de bâtir des indicateurs, de mesurer la situation actuelle selon les juridictions et d’analyser la cause des écarts.

Cela a-t-il été fait ? Si oui, pourquoi ne pas avoir transmis ces information lors de cette concertation ? Selon quel dogme la règle des grosses structures serait obligatoirement la plus pertinente ?

L’expérience personnelle ressentie par des avocats qu’il m’a été permis de rencontrer semble ne pas appuyer cette prétendue efficacité des grosses structures. Selon eux, des petits tribunaux ont parfois les moyens d’une justice de qualité pour rendre des décisions "sur mesure". Si certains contentieux très technique gagneraient à être réservés à des pôles ou à des chambres spécialisées (affaire économique et financière à l’instruction, départage prud’homal, voir même, pourquoi pas, droit de la construction...), ils ont pu remarquer que la plupart des autres contentieux sont traités avec une moindre qualité dans les grosses structures.

Or, ce sont pourtant ces structures que la réforme entend généraliser.

Chaque situation doit donc être appréciée au cas par cas, sans dogmatisme, selon des critères cumulatifs respectant les objectifs de qualité et de proximité souhaité par tous : le volume d’activité, l’accessibilité matérielle et l’efficacité en terme de délai et de qualité des juridictions absorbées, l’éloignement, l’encombrement et les capacités des juridictions absorbantes, sans oublier les conséquences financières sur l’économie locale de la suppression envisagée, et sur les professions judiciaires.

Encore faut-il que ce travail soit effectué avec l’ensemble des acteurs de justice concernés. Ce n’est semble-t-il pas la solution retenue au vu de la mobilisation du barreau de Fontainebleau, justement inquiet pour l’avenir de ce tribunal. Comment ne pas comprendre leurs craintes : depuis des années, la justice vit « en-dessous du seuil de pauvreté", pour reprendre les terme de Bruno Thouzellier, président de l’Union syndicale de la magistrature.

Je ne peux que me ranger aux côté de ce syndicat lorsqu’il réclame en priorité que les centaines de postes manquants dans les greffes soient pourvus, afin que les jugements puissent être appliqués. Il souligne que sur le plan national, environ un tiers des peines pénales ne sont jamais appliquées faute de moyens et que certains tribunaux ont plusieurs années de retard de saisie des jugements.

En conclusion, le retour au dogme du passé, c’est à dire un seul TGI pour notre département, aurait pour conséquence de couper les justiciables Seine-et-Marnais de leur justice, avec la mise en place de véritables "déserts judiciaires", de rallonger les procédures et augmenter leur coût en raison des frais de déplacement des avocats et enfin de diminuer les moyens accordés à la Justice alors que certains départements comme le nôtre en sont déjà en carence manifeste.

A mon sens, du fait de l’évolution croissante de la population de notre département, de l’augmentation importante des affaires traitées dans ses tribunaux, notamment en affaires civiles, le renforcement des moyens attribués aux trois TGI reste prioritaire sur toute considération de regroupement. D’ailleurs, si l’Etat lui-même a jugé utile d’ajouter trois sous-préfectures à notre département, c’est bien que l’étendue du département le justifiait.

Souhaitant avoir répondu à votre demande et contribué au débat, je vous prie, monsieur le Préfet, de croire en ma très haute considération.

Michel Billout
Sénateur maire de Nangis

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