Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Dans le département

Rencontre sur la « Loi pénitentiaire »

Par / 21 septembre 2002

L’intervention de Robert Bret lors d’un débat sur les prisons organisé par l’ACAT.

Mesdames, Messieurs,
Cher(e)s ami(e)s,

En ma qualité de parlementaire, membre la commission sénatoriale d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, c’est avec beaucoup de plaisir que je participe au débat d’aujourd’hui.
Je me félicite d’une telle rencontre, initiée par l’ACAT, dont je tiens à saluer ici les actions qu’elle mène par ailleurs.

Le présent débat a en effet comme mérite, avant tout, de relancer la question des prisons françaises notamment au regard des conditions de détention qui les caractérisent et ceci à un moment où le contexte - pourtant favorable hier - est devenu, de mon point de vue, beaucoup moins propice.
Rappelons-nous en effet - ce n’est pas si lointain que cela - de la publication au début de l’année 2000 du livre de Madame Vasseur, Médecin-chef à la prison de la Santé, qui, à l’époque, avait suscité une réelle émotion.

S’en sont suivis nombre de colloques, d’articles de presse, de documentaires traitant de ce thème.
C’est également à la suite des révélations de ce médecin que le Sénat et l’Assemblée nationale ont décidé de créer, respectivement, une commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France dont les rapports sont arrivés à la même conclusion : nos prisons sont indignes de notre pays qui se réclame pourtant des droits de l’homme.
Pour sa part, le rapport du Sénat intitulé : « Prisons : une humiliation pour la République » est particulièrement évocateur à cet égard .

Il faut noter que c’est la première fois depuis 125 ans qu’une commission d’enquête parlementaire s’attache à étudier la situation des prisons françaises.
Deux autres rapports importants ont été remis cette même année : celui de la commission présidée par Guy Canivet, premier président de la cour de cassation, portant sur l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, et celui de la commission dirigée par Daniel Farge chargée de réfléchir à la question des libertés conditionnelles.
Je ne vais pas - vous vous en doutez - faire un résumé exhaustif des 200 pages du rapport ni du compte-rendu de plus de 500 pages des auditions pratiquées par la commission.

Je vais simplement vous en donner les lignes générales qui se sont dégagées de cette enquête.
Dans le cadre de ses investigations sur les conditions de détention dans les prisons, la commission sénatoriale a pu auditionner les principaux protagonistes, responsables et acteur du monde pénitentiaire, et visiter 28 établissements : maisons d’arrêt, centres de détention, maisons centrales.
Je voudrais insister ici sur le climat de consensus républicain dans lequel s’est déroulée cette enquête, dégagé de tout parti pris, et ceci quelle que soit l’appartenance politique des membres de la commission. Ce qui rend d’autant plus incompréhensible le fait que la réforme pénitentiaire n’ait pas pu se concrétiser.
On a également assisté à l’évolution de la perception citoyenne des conditions de vie en prison.
Le monde carcéral s’est ainsi, pour la première fois, ouvert sur l’extérieur et nous avons assisté à une véritable prise de conscience collective d’un monde - celui de la prison - qu’on voulait jusqu’à présent, taire, ignorer.

On a enfin admis que la prison ne pouvait plus être déconnectée de la société dans son ensemble et qu’elle était le reflet - démultiplié et concentré - de tous les maux de notre société qu’on a trop longtemps voulu cacher derrière des murs.
La prison est enfin considérée comme un « accident » dans la vie d’une personne, qui ne doit pas rompre le fil de sa vie en société, en famille.

Il est donc nécessaire dee considérer le détenu comme un citoyen et ceci tout au long de son incarcération. C’est à mon sens un postulat indispensable.
La personne incarcérée étant destinée à réintégrer un jour ou l’autre la société, le rôle de la prison doit être de l’y conduire, de l’y préparer dans les meilleures conditions.
Il ressort des visites que nous avons effectuées qu’il est plus que temps aujourd’hui d’incarcérer moins pour incarcérer mieux, de s’interroger sur le sens de la peine, sur qui mettre en prison, et de réfléchir aux alternatives à l’incarcération, aux libérations conditionnelles, à la détention provosoire, à la gestion des longues peines, à la future réinsertion des détenus, à la lutte contre la récidive, contre les suicides en prison et j’en passe.
Le chantier est vaste et nécessite de concentrer les efforts financiers dans ces directions. Il nécessite aussi et surtout un certain courage politique.

On ne peut plus raisonner, en l’espèce, uniquement en terme de capacité d’accueil ni se cantonner par conséquent à la seule construction de prisons comme remède miracle au malaise des prisons.
Car qui dit nouvelles prisons, dit volonté de les remplir.
Or, trop de détenus n’ont d’ores et déjà pas leur place en prison.

D’autres solutions pourraient être recherchées notamment pour les personnes suivantes : les prévenus, les mineurs, les étrangers condamnés pour séjour irrégulier en France, les indigents et les précaires, les détenus « psy », les toxicomanes, les malades du sida et les détenus très âgés.
Par ailleurs, il est primordial de donner un sens à la peine qui permet au détenu de sortir dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles il y est entré.
Ce qui pose les questions de formation, tant des détenus que des personnels pénitentiaires qui ne doivent plus être alors de simples porte-clés, et de la réinsertion en vue de prévenir la récidive et stopper ainsi la spirale : sortie de prison/incarcération/etc.

Pourquoi, en effet, ne pas mettre à profit le temps passé en prison pour donner des repères à ceux qui n’en ont plus ou n’en ont jamais eu, former les individus qui ne le sont pas, soigner ceux qui en ont besoin, apprendre à lire et à écrire aux illettrés, sevrer les toxico-dépendants, etc. ? Au lieu de les laisser purger leur peine de manière aussi passive et inutile pour eux-mêmes comme pour la société.
Contrairement à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui a marqué sa préférence pour l’élaboration d’une loi pénitentiaire, celle du Sénat a voulu parvenir à des propositions concrètes susceptibles d’être mises en œuvre très vite.

Je vous ferai grâce de l’énumération exhaustive des 30 mesures d’urgence préconisées par notre commission et qui permettraient, à court terme, d’améliorer les conditions de détention et de renforcer les contrôles des établissements pénitentiaires.
Je vous renvoie pour le détail à la lecture du document qui vous a été distribué.
Ces propositions tournent autour de 6 grands axes qui sont :
1) la lutte contre la surpopulation carcérale ;
2) la remotivation des personnels ;
3) la destruction/rénovation/construction du parc pénitentiaire ;
4) les droits et devoirs des détenus ;
5) la modernisation des méthodes de gestion ;
6) le renforcement des contrôles ;

Comme vous pouvez le constater, décider de mettre en place de telles mesures permettaient d’aller vite.
Le gouvernement de l’époque a préféré suivre l’avis rendu par le rapport d’enquête de l’AN qui était d’emprunter la voie du parlement.
Afin d’élaborer cette grande loi pénitentiaire, le garde des sceaux de l’époque a mis en place un conseil d’orientation stratégique.

J’ai toujours pensé, quant à moi, que les solutions, respectivement proposées par l’une et l’autre des chambres du parlement, - à savoir : prendre des mesures d’urgence d’une part et légiférer d’autre part - n’étaient pas exclusives l’une de l’autre et pouvaient parfaitement se compléter.
En effet, s’agissant de l’application des peines, du sens de la peine dans une société démocratique, de droits nouveaux accordés aux détenus, d’une meilleure définition des missions intéressant les personnels pénitentiaires, de leur statut ou encore des grands principes d’organisation des établissements pénitentiaires, cela ne peut se décréter.

Le fait de saisir la représentation nationale de ces questions a l’avantage d’initier un grand débat national, ouvert et transparent, notamment avec la consultation des représentants des associations intervenant dans les prisons, des organisations syndicales, du conseil supérieur de l’administration pénitentiaire. Ce qui n’est pas négligeable étant donné que la dernière loi en la matière remonte à 1987.
L’option retenue fut donc, vous le savez, d’élaborer une grande loi pénitentiaire qui n’a jamais vu le jour.
Quant aux mesures qu’il était possible de prendre dans l’urgence, elles n’ont pas vu le jour non plus !
Le sujet n’a donc pas avancé malgré la mise en place du COS et l’existence d’un avant-projet de loi.

Je serai tenté de dire qu’aujourd’hui avec l’actuel gouvernement de droite, qui dispose d’une confortable majorité à l’AN, on est en train de faire marche arrière.
La question des conditions de détention, mise il n’y a pas si longtemps sous les feux des projecteurs, est en effet complètement passée à la trappe.
Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à lire l’intitulé du secrétariat d’Etat confié à M. BEDIER : « programmes immobiliers de la justice », autrement dit Monsieur « prisons ».

Et qui dit augmentation de places en prison, dit augmentation du nombre de détenus rendue possible par une aggravation de la politique pénale que le gouvernement est précisément en train de mettre en place.
Le contexte politique - propice hier à une réforme pénitentiaire - a profondément changé.

En effet, depuis notamment les événements du 11 septembre 2001 nous assistons à une inquiétante évolution sécuritaire tant au plan européen et international avec une nette restriction des libertés individuelles, dénoncée par les associations défendant les droits de l’homme, qu’au niveau national avec les dispositions contenues dans la loi « sécurité quotidienne », destinées soi-disant à lutter contre le terrorisme.
Quant aux dernières élections présidentielles et législatives, elles ont été largement dominées par le thème de l’insécurité et resteront marquées par la présence, inédite au second tour d’une élection présidentielle, d’un candidat FN.

Aujourd’hui, le gouvernement de droite « surfe » sur la vague du « 21 avril » dernier.
J’en veux pour preuve les projets de loi gouvernementaux relatifs à la sécurité d’une part et à la justice de l’autre qui ont été examinés en toute hâte cet été.
Non seulement cette politique ne rompt pas avec celles menées en la matière depuis 20 ans en France et qui ont échoué, mais elle va encore plus loin dans l’escalade répressive.

Ces deux projets de loi se complètent hélas à la perfection : durcissement du droit pénal en stigmatisant notamment les populations les plus fragilisées : jeunes, SDF, étrangers, prostituées ; renforcement de la répression des mineurs ; relance de la construction de prisons nouvelles ; retour en arrière en ce qui concerne les mesures emblématiques de loi sur la présomption d’innocence ; regroupement des condamnés en fonction de leur dangerosité etc.
C’est un bien triste projet de société que nous dessine le gouvernement pour l’avenir.

Il s’agit, en effet, d’une véritable politique de répression, d’enfermement et d’exclusion qui se profile sans aucun traitement social de fond de la délinquance alors que l’on sait que la délinquance prend racine dans l’aggravation des inégalités sociales : avec d’un côté la marginalisation, la précarisation, la dégradation de l’habitat, l’échec scolaire, la mal-vie, et de l’autre l’accumulation des richesses.
L’insécurité a- t-elle pris une dimension aussi considérable pour arriver à prendre des mesures aussi sécuritaires ? Je ne le pense pas.

Je pense au contraire qu’il convient de replacer les questions sécuritaires à leur juste place dans l’échelle des problèmes de notre société, à savoir notamment derrière le chômage et les inégalités sociales.
C’est peu de dire que la loi Sarkozy sur la sécurité nie en bloc le travail sérieux effectué respectivement par les députés et sénateurs - toutes tendances confondues - sur les prisons et qui arrivait à la conclusion, aujourd’hui vite oubliée, qu’il fallait « incarcérer moins pour incarcérer mieux ».

De même que la loi Perben sur la justice contredit les conclusions équilibrées auxquelles est parvenue la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.
Le gouvernement continue dans le tout sécuritaire, le tout carcéral, alors que ça n’a jamais donné de bons résultats en matière de lutte contre l’insécurité et de prévention de la délinquance et de la récidive. Sinon, on le saurait. Il n’y qu’à regarder du côté des USA pour s’en convaincre.
Quand l’actuel gouvernement évoque les prisons c’est uniquement sous l’angle sécuritaire : brouillage des téléphones portables, la lutte contre les évasions, empreinte biométrique etc.

Ces problèmes, certes réels, ne font en réalité qu’occulter les autres questions tout aussi réelles qui restent en suspens concernant les conditions déplorables de la vie carcérale ainsi que celles des surveillants.
C’est dire si le chemin qui reste à parcourir pour améliorer l’univers carcéral est encore long.
Je vous remercie de votre attention et reste à votre disposition pour répondre aux questions que vous vous posez.

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