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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Archéologie préventive : deuxième lecture

Par / 22 juillet 2003

par Jack Ralite

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

Au printemps dernier, lors de la première lecture, mon ami Ivan Renar et moi-même, avons expliqué l’opposition de notre groupe à ce projet de loi, que son cheminement, depuis lors, a encore aggravé. Ainsi, en fin de parcours législatif, il a deux défauts essentiels qui mettent en danger l’archéologie préventive.

Premièrement, il confie la sauvegarde des sites aux aménageurs et privatise de fait l’archéologie préventive. Le patrimoine sauvé par les aménageurs……. Entendez les points de suspension !

Deuxièmement, il décide la gratuité des fouilles pour les lotisseurs, ce qui revient à priver l’INRAP, déjà fragilisé, de 10% de son budget.
En fait, toutes les demandes des promoteurs sont satisfaites. C’est vraiment une illustration du processus de marchandisation de toute la société, de la culture, ici en l’occurrence, de la mémoire.

Je suis profondément choqué de cet abandon de l’archéologie préventive, au règne de ce que Vilar a appelé un jour la « NDP », la nouvelle doctrine du profit. L’ensemble de celles et de ceux qui pratiquent ce travail partage cet avis. Leurs actions multiples l’ont prouvé.

L’archéologie est un révélateur de la vie réelle des temps les plus reculés. L’archéologie explore le gouffre du temps. L’archéologie nous transmet les secrets des siècles par d’autres voies inatteignables.

L’archéologie rouvre ce qui s’était refermé et réveille pour nous les destins quotidiens avec leurs passions, leur noblesse.
Comment ne pas évoquer le réexamen que l’archéologie a permis de faire de « la Guerre des Gaules » de César, dont la lecture au fil des lignes maquillait l’histoire de la Gaule ? Comment ne pas évoquer le « bouger » que l’archéologie a fait faire à la connaissance, auparavant si triste, du Moyen-Age ? Comment ne pas évoquer la nature des balles, révélée par l’archéologie, qui tuèrent dès 1914 certains compagnons d’Alain fournier ?
Les archéologues « troussent » l’histoire du monde. C’est un outil anti-oubli. C’est un peu comme le tableau de Magritte « la lunette d’approche ». Avec elle, on découvre ce qu’il y a derrière.
L’archéologie, à partir de traces communes ordinaires, de traces de la vie quotidienne, éclaire ce qui était un questionnement, ou ce qui n’était pas un questionnement du tout.

Je m’étends un peu sur la nature de l’archéologie, parce que son abandon programmé aux grands intérêts privés est grave, ceux-ci se considérant comme les « derniers » de l’histoire, comme sûrs d’eux-mêmes et, de ce fait, minéralisant la pensée, notamment sociale, ce qui est une forme de despotisme, le malheur humain de masse ayant pris statut de simple pratique gestionnaire.
Comment voulez-vous que cela ne crée pas un état de gêne, un état de panne, et c’est là que gît la question culturelle, qui a fait, après un long parcours souterrain, irruption cet été sur le devant des scènes festivalières.

Georges Balandier suggère dans son livre Civilisés dit-on, que nous serions « à un passage qui ne serait pas générateur de pannes de création, mais d’incitation à gérer autrement le temps de la réflexion, à préparer une production intellectuelle et culturelle au sens large, moins répétitive, moins soumise à la stratégie des modes et des « coups », plus audacieuse dans la recherche de l’inédit ».

Oui, nous sommes engagés dans un changement d’ère. Je cite encore Georges Balandier : « Ce qui s’impose au premier rang, c’est le bouleversement continu des paysages sociaux et culturels, la complexité croissante des constructions du réel et, en conséquence, l’impossibilité d’épuiser leur interprétation en consentant à la simplification théorique ou idéologique. Dans l’exercice de sa fonction de décrypteur, l’intellectuel doit maintenant opérer chez lui à la façon de l’ethnologue au sein des sociétés mal connues : donner sens aux mutations de sa société, à ce qu’elle porte en elle d’inédit, à ce qui la rend « déroutante ».

« Dans l’immédiat, ce qui importe, c’est la reconnaissance des conditions les plus propices au changement de régime intellectuel. Prendre en charge la modernité, sans céder à la fascination des « néo » qui n’ont que l’éclat du factice et de l’éphémère, sans subir la tentation des retours nostalgiques qui n’effectuent pas la bonne réappropriation du passé, sans se soumettre à la séduction des messianismes électroniciens.
Prendre en considération la diversité des sociétés et des cultures, leur mise en relation et en solidarité, en réduisant ce qui contribue à subordonner ou à éroder leurs différences.

Se donner les moyens de faire reconnaître les recherches, les créations et innovations, les expérimentations qui sont conduites en de multiples lieux de la société, qui révèlent celle-ci dans sa vie même, dans ses mouvements en profondeur. Se donner l’obligation de traiter (et non d’éluder) les contradictions, les incertitudes, les nouvelles ignorances dont toutes les sociétés de ce temps sont porteuses. Il est, enfin, des conditions relevant de l’évidence. L’issue de ce travail dépend d’une revalorisation de la recherche (sous toutes ses formes) et de la culture (dans toutes ses expressions), d’une défense de la liberté et de l’initiative créatrice contre toutes les formes de conditionnement, d’un ravivement de l’éthique collective. Oui, c’est bien cela qui importe et à quoi tout se mesure ».

C’est exactement, et je reprends la parole, ce qui n’est pas fait aujourd’hui au niveau de l’Etat qui joue le rôle de l’Avare, au niveau du Medef qui veut faire régner l’harmonie par le calcul.

Ne cherchez pas ailleurs la raison des chocs de cet été. Le gouvernement n’aurait pas dû envisager l’agrément de l’accord du 26 juin, dont jour après jour, Monsieur le Ministre, la radiographie faite dans de multiples réunions et sur l’ensemble du territoire de notre pays, dit la nocivité, la déraison, la « déconsidération de l’art et des êtres qui le font », pour reprendre une expression de la chorégraphe Régine Chopinot.
Vous savez combien je suis attaché à la création artistique et aux questions culturelles, qui prennent de plus en plus d’importance dans notre société - je devrais dire notre humanité.

D’abord, parce que les artistes et les écrivains sont des observateurs de tout ce qui est inhabituel et inquiétant.
Ensuite, parce que notre temps est confronté à la perte de sens, pour le moins à un sens suspendu, et qu’arts et culture, par la place qu’ils tiennent dans notre imaginaire, sont irremplaçables. C’est en accueillant François Jacob, sous la Coupole, qu’un grand résistant aujourd’hui disparu, Maurice Schumann, eut cette expression : « La seule faute que le destin ne pardonne pas au peuple est l’imprudence de mépriser les rêves ».
Encore, parce que, de plus en plus, le marché et les technologies sont déclarés naturels, alors que les femmes et les hommes sont traités comme des invités de raccroc. Or, les arts et la culture sont le lieu de l’autonomie humaine.

Enfin, l’industrie du divertissement, face à la crise des façons de vivre, répand platitude et vacarme, et nous cerne avec le factuel. Les arts, eux, ne sont pas tempérés, ils convoquent la pensée, ils travaillent sur l’exception, ils sont mutins.
Bref, la civilisation n’est qu’une mince couche qui peut se rompre, d’autant que le noyau même de l’être humain est actuellement attaqué. Certains artistes vont jusqu’à dire que tout ce que nous nommons avenir est comme une roulette.

J’ai lu cette phrase d’une poétesse, qui n’accepte pas l’indifférence et l’égoïsme aveugle d’aujourd’hui : « J’ai froid autour du cerveau ».
Le mouvement de cet été, par delà les chagrins, voire les souffrances, donne chaud autour de l’esprit, de l’esprit de contenu et de création.

Vous savez que j’ai initié, avec le philosophe Jean-Luc Nancy, un texte intitulé la culture est un bien public, sa responsabilité doit l’être aussi.
Des archéologues de l’archéologie orientale, métropolitaine, environnementale, médiévale, paléoliticienne, l’on signé.

Ces femmes et ces hommes « des traces de l’histoire » rejoignent les comédiennes et les comédiens, ces femmes et ces hommes « des traces sur le sable », comme disait Antoine Vitez.
Samedi 26 juillet, à la fin de cette semaine, au Théâtre de la Comme à Aubervilliers, Didier Bezace, la municipalité d’Aubervilliers et les Etats généraux de la culture, organisent une rencontre d’action et de vigilance.

Je vous lis quelques extraits du texte que Didier Bezace nous invite à diffuser : « C’est dans cette philosophie même que le nouvel accord sur le statut des intermittents du spectacle est dangereux. Il met volontairement à mal le pacte de solidarité qui s’est construit en 1936 entre les artistes et la société républicaine démocratique.
« Il ruine toute idée de liberté et de responsabilité des artisans de l’art envers ceux pour qui ils travaillent et qui, leur reconnaissant une nécessité absolue dans l’élaboration d’une ambition culturelle indispensable à tous, leur reconnaissent aussi une spécificité et acceptent d’en payer le prix, comme nous acceptons de financer les retraites de ceux qui ont travaillé avant nous, de payer des impôts s’ils profitent à la vie collective, de soutenir les contraintes économiques liées au coût de l’éducation nationale, car nos enfants ont besoin d’apprendre, sans que cet apprentissage soit directement lié aux profits des entreprises et de leurs actionnaires, à la santé, car nous voulons être également soignés.

« C’est cet esprit mutualiste de la République qui semble gêner la « modernité » de ceux qui pourtant dès lors nous dirigent, nous frabriquent une nouvelle vie dont nous ne voulons pas.

« Continuant à lutter obstinément contre ce mauvais accord, nous souhaitons donc néanmoins élargir ce combat et commencer à reconstruire des passerelles entre tous ceux qui ont besoin de sentir ce qui les rassemble, malgré leurs différences ».

Monsieur le Ministre, mes chers collègues, je souhaite que vite, très vite, ce pays, le nôtre, réaffirme qu’il est une terre donnant asile à l’espérance, ce qui est incompatible avec l’objectif ministériel, exprimé dans un rapport récent, de faire rimer marché avec diversité et démocratie.

Samedi prochain, nous travaillerons à ce nouveau contrat entre les artistes et la société républicaine démocratique. Nous ferons de la pensée pour la nouvelle situation culturelle. Des archéologues y participeront.

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