Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Audiovisuel public : renvoi en commission

Par / 8 janvier 2009

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à en croire les partisans de la dernière réforme de la Constitution, l’année 2009 devait être celle du renforcement des pouvoirs du Parlement !

Les deux projets de loi et les conditions de leur examen par notre assemblée en sont un criant démenti. Quelque chose de profond est en train de changer dans le caractère constitutionnel de notre pays.

En effet, nous débattons de deux textes, dont le projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Ce dernier étant directement issu de la révision constitutionnelle arrachée au forceps, à une voix près, au mois de juillet dernier, réforme pour laquelle la commission des lois du Sénat avait été saisie au fond, il paraît ahurissant que cette commission ne soit même pas saisie pour avis aujourd’hui ! Parmi les cinquante-sept députés membres de la commission spéciale instituée à l’Assemblée nationale pour examiner ces deux projets de loi, onze étaient issus de la commission des lois.

À lui seul, un tel élément pourrait justifier la motion tendant au renvoi à la commission, que je vous demande d’adopter.

Tout comme la justifiait l’ordre de nos débats. Sans le changement intervenu à la dernière minute, nous aurions d’abord examiné le projet de loi ordinaire.

Cela signifie que les articles 8 et 9 auraient été soumis au vote avant même l’adoption du projet de loi organique, dont l’article unique dispose ceci : « La nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France est soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. » Il s’agit là non pas de détails de procédure, mais des règles et de l’ordonnancement qui rendent possible l’expression de la démocratie.

D’autant qu’une autre aberration, et de taille, vient s’ajouter à cela. Fait unique : la suppression de la publicité sur France Télévisions est déjà effective, alors qu’elle n’a même pas été examinée, et encore moins votée, par notre assemblée ! Quel bel exemple de renforcement des pouvoirs du Parlement !

L’exécutif ordonne la suppression de la publicité sur la télévision publique, et comme le Parlement ne s’exécute pas assez vite, on le zappe ! Et de quelle manière ! Pour inaugurer les nouveaux liens qui uniront le Président de la République au président de France Télévisions, ce dernier se voit sommer d’entériner lui-même la fin de la publicité.

Cette méthode humiliante est inadmissible et proprement antidémocratique, car elle réduit le Sénat au rôle de chambre d’enregistrement. Nous sommes loin de l’idée que l’on pourrait se faire d’un Parlement représentant du peuple, et non du chef d’un parti, d’un Parlement soucieux d’élaborer la loi pour l’intérêt général, et non au service d’intérêts très particuliers.

À moins que le respect de la séparation des pouvoirs ne soit désormais classé au rang des « immobilismes qui emprisonnent la France » évoqués par le Président de la République le 23 juillet 2008, au moment de sceller la loi constitutionnelle.

Encore une fois, le Gouvernement a imposé l’urgence, une urgence devenue la règle sur quasiment tous les textes. Et quand l’urgence n’existe pas, on la fabrique de toutes pièces, par exemple en décidant que la réforme entrera en vigueur au mois de janvier 2009, et non plus au mois de septembre.

Depuis son origine, cette réforme se fait à marche forcée. Décrétée le 8 janvier 2008, concrétisée par la présentation de deux projets de loi en conseil des ministres le 22 octobre, elle sera effective dans quelques semaines, sans que le « grand débat national » promis par Nicolas Sarkozy ait jamais eu lieu.

Mes collègues Jack Ralite et Ivan Renar ont participé à la commission pour la nouvelle télévision publique, dite « commission Copé ». Il ne devait pas, paraît-il, y avoir de tabous. Mais des interdits ont été immédiatement dressés par le Président de la République. Mes collègues ont dû se résoudre à la quitter, lorsque celle-ci a été de fait « démise » par le chef de l’État.

Alors que les travaux de la commission Copé n’avaient débuté que depuis deux mois, le Président de la République l’a désavouée par deux fois. La première fois, il s’est déclaré opposé à toute augmentation de la redevance, même si celle qui était envisagée par la commission était très raisonnable. La seconde fois, il a annoncé l’octroi d’une deuxième coupure de publicité aux chaînes de télévision privées. Tout aura donc été ficelé en à peine un an, alors que la dernière réforme de la BBC, réalisée en 2007, a été conduite après quatre années de débats !

Tout comme le coup de force réalisé sur la publicité, les conditions dans lesquelles ces textes sont examinés sont inadmissibles.

Le texte issu des débats à l’Assemblée nationale n’a été officiellement transmis à notre assemblée que le 17 décembre, soit quatre jours avant la suspension de nos travaux.

Cela impose de fait des délais très courts pour examiner en profondeur et amender ces projets de lois, dont l’un est passé de cinquante-six à quatre-vingt-quatre articles.

À tel point que le délai limite pour déposer les amendements a dû être repoussé jusqu’à l’ouverture de la discussion générale.

Et que dire du travail en commission, réduit - il faut bien le dire - à la portion congrue ?

Alors que l’examen de ce projet de loi a duré plus de quatre-vingts heures à l’Assemblée nationale, la commission des affaires culturelles du sénat n’y a pour l’instant consacré que quatre heures ! Les travaux de nos rapporteurs, qui comportent 542 pages, ne sont consultables que depuis hier midi.

À l’heure où je vous parle, la commission des affaires culturelles n’a consacré qu’une toute petite heure à l’examen, il est vrai à vitesse TGV, des amendements déposés par les groupes.

Les conditions minimales nécessaires pour mener un travail législatif sérieux et de qualité sont donc déniées. Et je pense également aux conditions de travail des personnels du Sénat.

Si ce type et ce rythme de travail sont ceux qui prévaudront à l’issue de la réforme du travail parlementaire, c’est le droit d’élaboration et le droit d’amendement du législateur qui seront remis en cause.

Revenons au texte qui nous intéresse aujourd’hui. Il ne manque pas de chausse-trappes. Et je voudrais m’arrêter plus précisément sur le cas de France 3.

Telle que la suppression de la publicité est appliquée depuis lundi, elle a déjà fait une victime sur les antennes de France 3 : le décrochage local de 19 heures 57. Purement et simplement supprimé, ce décrochage a été remplacé - ironie du sort - par de la publicité, et ce trois minutes avant le couperet fatal de 20 heures. Un scandale doublé d’une incohérence totale, inexplicable aux yeux des téléspectateurs, pour une entreprise où l’on va supprimer la publicité !

Désormais, les journaux locaux ne seront plus diffusés qu’à 18 heures 40. Or, et les personnels qui se sont mis en grève lundi le savent bien, ce n’est pas à cette heure-là que les téléspectateurs sont les plus nombreux devant la télé.

Pourtant, ces journaux locaux réalisent de bons taux d’écoute.

À titre d’exemple, le journal local de neuf minutes qui couvre toute la Basse-Normandie réunissait 66 000 spectateurs et était l’un des plus regardés de la station.

Ce texte n’a donc même pas encore été voté qu’apparaissent déjà ses premiers effets pervers, en forme de « boomerang » pour les rédactions locales de France 3.

La programmation des décrochages locaux à une heure de moindre écoute laisse craindre aux personnels la disparition à terme de cette manière de faire de l’information, non pas exclusivement centrée sur la parole institutionnelle, mais privilégiant celles d’acteurs locaux et régionaux.

La disparition de la deuxième diffusion a aussi des conséquences sur la qualité de l’information : il ne sera plus possible de réactualiser les sujets entre deux diffusions.

Un horaire de diffusion avancé à 18 heures 40 signifie que les journalistes pourront couvrir moins de sujets et qu’ils auront moins de temps pour les fabriquer.

Un comble pour une entreprise dont le nouveau cahier des charges, rattaché à la loi, réaffirme que « France 3 s’attache à développer l’information régionale et locale et à accroître le nombre d’éditions de proximité. » C’est en effet l’inverse qui est en train de se produire.

Certes, il existe internet. Mais, à titre d’exemple, à Perpignan, le journal local réunit 67 000 personnes par jour sur le Premium, contre seulement 300 clics sur internet. Et les personnels ne sauraient tolérer que leur travail soit réduit à un produit d’appel pour la web TV.

La disparition de cette rediffusion est donc vécue par les personnels concernés, c’est-à-dire plus de 400 personnes, comme une mort à petit feu.

Ainsi fragilisés, ils craignent de s’entendre dire dans six mois ou un an que l’information locale coûte trop cher pour pas grand-chose, puisqu’on aura organisé la fuite du téléspectateur.

Cela revient de fait à les affaiblir face à la concurrence des télévisions locales privées. Or, derrière ces télévisions locales privées, ce sont les grands groupes de la presse quotidienne régionale qui sont aux manettes.

Alors que le Président, en inaugurant les états généraux de la presse, s’est clairement exprimé en faveur d’une plus grande concentration des médias, la pluralité de la presse se verrait un peu plus mise en danger.

On nous explique que France Télévisions n’a plus besoin de la publicité et que son financement sera garanti à l’euro près, sans toutefois nous le démontrer. On nous assure supprimer la publicité sur les chaînes publiques pour vouloir mettre fin à la « schizophrénie » dont souffre la télévision publique.

Ainsi, madame la ministre, lors de l’examen de ces deux textes à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré ceci : « On ne peut pas demander à la télévision publique de proposer des programmes qui rassemblent quand la publicité oblige à viser des cibles, des segments de population. On ne peut pas lui demander de prendre des risques quand l’audimat impose ses règles. On ne peut pas lui demander d’offrir des programmes exigeants à des heures accessibles quand ces plages horaires - les plus rentables - sont supposées précisément accueillir de longs tunnels de publicité. »

Or, c’est très exactement ce qui se passe sur France 3 pour les décrochages locaux, du fait de l’application de la loi avant même son vote et sa promulgation : un programme d’informations locales diffusé à une heure de grande écoute et regardé par un large public est déprogrammé au profit de la publicité ! On marche sur la tête !

On ne peut pas continuer à tenir ce double langage sur la publicité. On ne peut, d’un côté, estimer qu’elle est nocive pour la qualité des programmes du service public et, de l’autre, prendre une décision qui mettra finalement en péril la qualité de ces mêmes programmes tout en contribuant, par le biais de ce projet de loi, au développement du parrainage et du placement de produits, c’est-à-dire à une publicité qui ne dit pas son nom.

Certes, la présence de publicité a des conséquences. Mais son absence en a tout autant !

Une publicité que vous n’avez eu de cesse de diaboliser depuis le 8 janvier 2008, alors que le candidat Sarkozy pendant la campagne pour l’élection présidentielle envisageait d’augmenter la part de publicité pour aider un service public sous-financé !

Ce texte aurait pu être, au contraire, l’occasion de réfléchir sur la notion même de publicité, sur sa forme, sa place et son rôle dans le service public. C’est là un débat que vous avez confisqué.

En raison de toutes ces confiscations qui entachent notre débat parlementaire, je vous demande instamment, mes chers collègues, de saisir cette porte de sortie honorable pour notre assemblée en soutenant notre motion tendant au renvoi à la commission.

Les dernieres interventions

Affaires culturelles Les bénévoles méritent bien une loi

Proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et simplifier la vie associative - Par / 12 mars 2024

Affaires culturelles L’angoisse de Parcoursup

Débat sur l’équité et la transparence de Parcoursup - Par / 6 mars 2024

Affaires culturelles DES JO sans transports ?

Débat sur la préparation des JO en France - Par / 4 mars 2024

Affaires culturelles Vive le cinéma !

Conforter la filière cinématographique en France - Par / 15 février 2024

Affaires culturelles Nous aurions dû aller plus vite, plus loin, plus fort

Démocratisation du sport : explication de vote - Par / 19 janvier 2022

Affaires culturelles Une proposition de loi poids plume

Démocratisation du sport - Par / 18 janvier 2022

Affaires culturelles L’existence de ces objets et de ces œuvres ne commence pas avec leur exhibition

Circulation et retour des biens culturels appartenant aux collections publiques - Par / 10 janvier 2022

Affaires culturelles La pérennité des bibliothèques est assurée

Bibliothèques et développement de la lecture publique (deuxième lecture) - Par / 16 décembre 2021

Affaires culturelles Les directeurs ne veulent pas être une courroie de transmission hiérarchique

Fonction de directrice ou de directeur d’école (conclusions de la CMP) - Par / 25 novembre 2021

Affaires culturelles La concentration dans les médias nuit à la diversité et au pluralisme des idées

Oeuvres culturelles à l’ère numérique : conclusions de la CMP - Par / 21 septembre 2021

Affaires culturelles La stratégie de la concentration est forcément perdante

Protection et accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique - Par / 20 mai 2021

Administration