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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Avec cette loi, les monuments ne sont plus qu’une variable d’ajustement des contraintes budgétaires

Patrimoine monumental de l’État -

Par / 26 janvier 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État ne semble pas, à première lecture, soulever un grand courroux. En effet, le travail accompli à partir du rapport d’information de Mme Françoise Férat intitulé « Au service d’une politique nationale du patrimoine : le rôle incontournable des monuments nationaux », déposé le 30 juin 2010, vise à assurer la sauvegarde du patrimoine monumental.

Cependant, elle ne saurait non plus susciter notre acquiescement tant elle ne permet pas, malgré ses intentions, d’enrayer la colère légitime provoquée par l’article 52 de la loi de finances pour 2010, qui relançait le transfert du patrimoine monumental de l’État vers les collectivités territoriales, sans restrictions et sans limite de temps, un article que la majorité du Sénat avait malheureusement adopté.

Si je suis satisfait que le Conseil constitutionnel ait censuré cet article, chacun sait qu’il l’a fait en raison de sa forme « cavalière » et non de son contenu.

L’État n’était pas content et voulut reprendre la main, comme en témoignent les six amendements qui nous ont été présentés ce matin et qui concernent les finances, dans la partie tant fonctionnement qu’investissement, les personnels, le Haut conseil du patrimoine, et, me semble-t-il, un cavalier, les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et les SDAP défunts, les services départementaux de l’architecture et du patrimoine.

Or il trouva sur son chemin le rapport de Mme Férat, qui, à l’évidence, ne considère pas que la question des monuments nationaux, du point de vue de la propriété, se résume au seul droit commun : j’achète ! Je vends ! J’achète ! Je vends librement, comme dans les affaires !

Pour ma part, l’art – et les monuments nationaux en font partie ! – n’est pas une marchandise comme les autres ; il a une spécificité incontournable. Le rapport de Mme Férat aborde cette spécificité en appliquant le principe de précaution : en principe, on peut vendre, mais la vente est encadrée. Ma position part de cette spécificité, mais dans un sens inverse : on ne peut pas vendre par principe, d’où la notion d’inaliénabilité à inscrire dans la loi, avec de possibles dérogations très encadrées.

La préparation de cette future petite loi, qui, les jours passant, se fait grande, est, au surplus, fortement marquée par son contexte d’élaboration, véritablement inquiétant. Une proposition de loi trouvant son origine dans une loi de finances, ce n’est pas le fruit du hasard ! C’est porteur de sens. C’est une réactivation du transfert de la propriété des monuments nationaux de l’État vers les collectivités territoriales, sans référence à leur autonomie, comme dans la loi de 2004 sur les premiers transferts.

Aujourd’hui, c’est sous le seul angle budgétaire – alléger les finances de l’État – que sont envisagés les transferts. Peu importe que les collectivités locales, qui ont tant et si bien fait pour les monuments, n’aient plus les moyens de faire face et risquent d’être mises dans l’obligation par le Gouvernement de sacrifier certains monuments nationaux. C’est potentiellement le feu vert à leur braderie ! Et c’est déqualifier ainsi une grande tradition, dont il n’est pas question de faire table rase !

Songez à ce qu’il faut appeler « l’inadmissible scandale de l’hôtel de la Marine », que des historiens, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Le Goff, Pierre Nora, Alain Decaux, Mona Ozouf, Régis Debray, Michel Winock, Olivier de Rohan-Chabot, le président de l’association des Amis de l’hôtel de la Marine, ou encore Edouard Balladur ont condamné. Je suis avec eux, et plus encore depuis la visite, avec quelques sénateurs, aux engagements pluralistes, que nous avons pu faire, hier, place de la Concorde, à Paris.

Comme la vente possible des monuments historiques choque, a été inventée une vente que l’on peut qualifier de « masquée », au travers des baux emphytéotiques administratifs adoptés en juillet 2010 à cet effet, au détour de la loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. Ainsi sont méthodiquement mis en place tous les moyens de céder la responsabilité financière, mais aussi l’utilisation et l’affectation à des opérateurs privés peu soucieux de l’intérêt général.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jack Ralite. Grâce à ce subterfuge juridique, l’hôtel de la Marine, lieu chargé d’histoire, pourrait être transformé pendant une durée de 99 ans, en hôtels de luxe, restaurants, galeries d’art et autres magasins !

M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jack Ralite. À cet égard, quelques interviews de ceux qui le souhaitent ont été publiées dans la presse, dans son ensemble.

Même si la propriété demeure d’État, comme l’a indiqué le président Nicolas Sarkozy, avec le bail emphytéotique administratif, l’affectation et la gestion du monument ne relèvent plus de l’État ni des collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Voilà !

M. Jack Ralite. Alors que l’inaliénabilité des monuments nationaux ne figure pas dans le code du patrimoine, la loi a pour conséquence de consacrer légalement la possibilité d’aliénation, tout en ayant l’air de l’encadrer. Difficile, à ce propos, de ne pas se rappeler l’étymologie latine du verbe « aliéner », qui signifie « rendre autre » ou « rendre étranger ». René Char dirait : « C’est la supercherie qui relate la fatigue du siècle. »

Permettez-moi d’apporter deux éclairages justifiant ma distance au fur et à mesure de l’analyse de la proposition de loi.

Premièrement, la création d’un Haut conseil du patrimoine est une bonne chose : il établira, certes, la liste des monuments transférables, mais n’a pas le pouvoir de s’opposer à un quelconque transfert. Le ministre peut donc outrepasser son avis. Nous pensons que ce conseil devrait être saisi sur l’ensemble des questions et devrait donner un avis conforme.

Deuxièmement, le transfert vers les collectivités territoriales est gratuit lorsqu’un projet culturel est établi. Mais que doit-on entendre par obligations « culturelles » ? Certains peuvent malheureusement se satisfaire du minimum : ouverture au public lors des Journées du patrimoine...

Voilà deux réticences à l’adoption de cette proposition de loi, qui deviennent, au gré des jours, des convictions. Je le dis avec force, même si je suis satisfait de l’existence de l’article 3, encore perfectible, relatif au Centre des monuments nationaux.

En effet, avec cet article, on inscrit dans le code du patrimoine la notion de péréquation, de juste répartition des moyens de fonctionnement entre les monuments les plus connus, souvent dits « rentables » et les autres, non moins beaux et aux murs pareillement frottés d’histoire, mais plus éloignés de la convoitise touristique.

Avec cette loi, les monuments, comme bien d’autres secteurs, ne sont plus qu’une variable d’ajustement des contraintes budgétaires. L’État s’est engagé dans l’accroissement de la vente de son patrimoine via France Domaine, afin de contribuer à la réduction du déficit budgétaire.

M. Roland Courteau. Eh oui !

M. Jack Ralite. Éric Woerth l’a confirmé au Figaro, le 4 janvier dernier, en justifiant la vente d’un terrain de la forêt domaniale de Compiègne : « Cette vente doit être replacée dans son contexte : celui de la politique immobilière de l’État, que j’ai complètement renouvelée avec l’accord du Président de la République et du Premier ministre lorsque j’étais ministre du budget. [... ] France Domaine est le bras armé de cette politique aux objectifs ambitieux [...]. La vente de la parcelle [...] s’inscrit pleinement dans ce cadre. »

Cette proposition de loi n’est, au fond, que l’affirmation d’une grave tendance à la dissolution, voire à la disparition des missions de service public de l’État dans le patrimoine national, au profit d’une gestion et/ou d’une possession privée. C’est une application du rapport Jouyet-Lévy, qui refait curieusement surface, après avoir cheminé clandestinement, et dont j’ai d’ailleurs retrouvé une mise en perspective juridique, économique et politique, « une recomposition des attributions gouvernementales », dans un article d’Olivier Henrard, tout nouveau conseiller culturel de Nicolas Sarkozy, publié dans le numéro d’octobre 2010 des Cahiers de la fonction publique et de l’administration.

Pour conclure, je citerai Jacques Rigaud, qui, dans les conclusions de son rapport sur l’inaliénabilité des collections publiques des musées, publié le 20 janvier 2008, et soutenu alors par Mme Albanel, qui l’avait missionné, affirmait : « Avant de parler de sa valorisation économique, songeons que ce bien commun est au cœur même de ce que l’on a longtemps appelé “le génie de la France”. En une époque où tout est chiffres, se vend, se paie et se mesure, n’oublions pas les folies, les rêves, les caprices et les extravagances à qui nous devons cette fabuleuse richesse matérielle et immatérielle. Il ne faudrait pas commettre l’erreur de réduire l’exigence d’une gestion modernisée de ce trésor à des pratiques ou à des recettes commerciales, si recommandables que puissent être certaines d’entre elles, dès lors qu’elles sont des moyens et non des fins. »

C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne votera pas cette proposition de loi. Personnellement, je ne le ferai pas en raison de mon attachement aux monuments historiques, attachement que je partage avec des centaines de milliers de Français et d’étrangers qui s’y pressent au gré des jours, mais aussi en tant que membre heureux du CMN que je fus.

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