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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce projet de loi ne marque pas les ruptures attendues

Enseignement supérieur et recherche -

Par / 20 juin 2013

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la recherche et l’enseignement supérieur sont des enjeux de civilisation engageant les générations à venir et le futur de l’humanité.

Alors que le monde évolue de plus en plus vite dans une complexité croissante, il faut plus que jamais chercher, s’interroger, comprendre, inventer. Confrontés à de nouveaux défis, nous pourrons ainsi appréhender et accompagner les changements ou inventer de nouveaux horizons.

Il s’agit de donner aux jeunes générations la possibilité d’appréhender des savoirs de plus en plus complexes grâce à un enseignement supérieur de qualité, à notre société les moyens de ne pas subir ces évolutions, mais de les comprendre et de les maîtriser en développant une recherche de haut niveau.

Cela implique de ne pas imposer de manière exclusive une certaine conception de la recherche et des études supérieures, qui limiterait l’aptitude de la science à s’adapter à un avenir que personne, d’ailleurs, n’est en mesure de prévoir.

Cela implique de placer le savoir et la connaissance au premier plan, de les reconnaître comme des objectifs en tant que tels. Malmenés au cours des précédents quinquennats, ils doivent figurer au cœur de toute réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La loi LRU de 2007 et le pacte pour la recherche de 2006 ont profondément déstructurés l’enseignement supérieur et la recherche française. Plus que jamais, nous avons donc besoin d’une réforme afin de créer une rupture avec leurs logiques.

Les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ont ainsi répondu à un désir et à un besoin de la communauté scientifique et universitaire : celui d’être entendue et associée à la grande réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche annoncée par le Gouvernement.

Ces assises ont révélé les attentes immenses qui avaient fleuri après plus de dix années de mépris et de méfiance envers le monde de la recherche et de tentatives d’asservissement de l’enseignement supérieur à des objectifs de compétitivité économique exclusivement.

Cependant, aujourd’hui, la déception prévaut, car le Gouvernement n’a pas su valoriser les logiques et les besoins qui se sont exprimés lors de cette concertation. Le projet de loi ne marque pas les ruptures attendues. Alors que nous nous apprêtons à examiner ce texte, le bilan de la loi LRU et du pacte pour la recherche nous montre, s’il en était besoin, à quel point ce changement est indispensable. Ces deux textes avaient d’ailleurs suscité de fortes divergences entre la gauche et la droite au moment de leur adoption, et pour cause ! Ils étaient en effet marqués par une vision profondément utilitariste de l’université et de la recherche, répondant à des critères définis par le Conseil européen de Lisbonne de 2000 et selon laquelle l’université doit devenir un acteur incontournable de la compétitivité européenne dans l’économie de la connaissance. L’université et la recherche devraient donc viser, avant toute chose, l’employabilité et la croissance économique.

Cette vision a abouti à privilégier la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, les sciences dites « dures » au détriment des sciences humaines et sociales. L’obsession économique aboutit à une hiérarchisation des savoirs que nous ne partageons pas, car nous pensons que la connaissance doit être la première visée de l’université et de la recherche.

La recherche publique a également été asservie aux intérêts du privé. Pis, la recherche privée est désormais financée par des fonds publics. La montée en puissance du crédit d’impôt recherche, le CIR, avec ses 5 milliards d’euros d’exonérations fiscales en 2012, en est un exemple. Attribué principalement à de grandes entreprises sans être assorti des encadrements nécessaires, le CIR n’empêche pas ses bénéficiaires – Sanofi par exemple – de fermer leurs pôles de recherche et de développement. On peut légitimement s’interroger sur l’efficacité du dispositif.

Les universités et la recherche s’organisent désormais en grands pôles d’excellence : les pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, censés s’adapter et répondre aux besoins socioéconomiques spécifiques du territoire. Cette logique de regroupement a été confortée par les initiatives d’excellence, financées par le grand emprunt, qui ont fait bénéficier de financements supplémentaires les meilleurs projets élaborés au sein de l’université et de la recherche, en délaissant les établissements n’appartenant pas à un PRES.

Au sein même des pôles d’excellence, cette logique élitiste a aussi fait son œuvre. En conséquence, une véritable dichotomie s’est opérée : quelques grandes universités d’excellence – une dizaine de pôles à visibilité mondiale – reçoivent l’essentiel des moyens, tandis que les autres universités et établissements de proximité sont délaissés, bien qu’ils accueillent la majorité des étudiants. Ce système universitaire à deux vitesses a également favorisé le déploiement de partenariats public-privé. La rupture du principe d’égalité territoriale s’en est trouvée aggravée.

La loi LRU n’a donc pas permis de faire émerger des espaces de coopération et d’échanges harmonieux sur un même territoire ; elle n’a fait que créer des « super structures » étatistes non démocratiques.

Comme on le sait, la loi LRU a aussi instauré le passage aux responsabilités et compétences élargies, les RCE, réduisant la vision de l’autonomie des universités à une autonomie budgétaire et de gestion des ressources humaines. Ce transfert était censé être compensé par une dotation budgétaire de l’État, mais celle-ci se révèle insuffisante.

La précarité s’est ainsi développée, du fait même de cette autonomie budgétaire et de l’absence de compensation suffisante du glissement vieillesse technicité par l’État. Les RCE ont renvoyé aux universités la gestion de la pénurie provoquée par un budget de l’enseignement supérieur en berne : dix-neuf universités étaient ainsi en déficit à la fin de 2012 et la moitié pourraient l’être l’an prochain. Ces universités en déficit se voient contraintes de fermer des formations, en priorité en sciences humaines et sociales, et de supprimer des postes pour atteindre l’équilibre budgétaire. En guise d’autonomie, la loi LRU a confié aux établissements universitaires le soin d’appliquer la révision générale des politiques publiques à la place du Gouvernement.

La logique de financement sur projets de court terme qui guide l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, a également contribué à accroître la précarité. Celle-ci atteint des proportions extrêmement inquiétantes, avec de 30 % à 35 % de contrats précaires dans l’enseignement supérieur et la recherche, soit plus de 50 000 personnes, contre 17 % en moyenne dans le reste de la fonction publique. Cette situation est particulièrement préoccupante !

La loi LRU a également miné la collégialité des décisions et la démocratie universitaire, renforçant les pouvoirs du président d’université, diminuant ceux du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire, réduisant le nombre de membres du conseil d’administration au détriment de la représentation des étudiants et des personnels non enseignants.

Enfin, l’évaluation menée selon la logique de l’AERES est très mal vécue. L’évaluation, jusqu’alors effectuée par les pairs, est désormais confiée à des personnalités non élues et conduite selon des critères de résultats de recherche court-termistes orientés vers la valorisation économique. Les chercheurs sont soumis à des contrôles permanents, souvent redondants, qui ont pour conséquence le développement des tâches administratives au détriment de leur travail de recherche.

Alors, comment ne pas conclure à l’urgente nécessité d’une rupture claire ?

Hélas, ce projet de loi nous paraît se situer, à bien des égards, dans une certaine continuité. Loin de viser à abroger la loi LRU ou le pacte pour la recherche, il s’inscrit dans leur logique.

Tout d’abord, ce texte n’est pas une loi de programmation de moyens pour l’enseignement supérieur et la recherche. Or en élaborer une aurait dû être la priorité absolue d’un gouvernement qui affirme vouloir mettre l’éducation et la jeunesse au cœur de l’action publique. En effet, une réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche ne comportant pas ce volet ne peut qu’échouer à les réhabiliter.

La résorption de la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche ne doit pas simplement être déplorée ; elle doit être activement engagée. Pour cela, il faut des moyens supplémentaires. Le fait que soit mentionnée dans le projet de loi une future programmation pluriannuelle de moyens ne compense en aucun cas ce manque : il aurait fallu s’interroger sur les causes de l’augmentation de la précarité pour tenter d’y remédier.

Ainsi, la question de l’autonomie budgétaire des universités et des RCE et celle du développement du financement sur projet par l’ANR auraient dû être abordées.

Pourtant, cette autonomie budgétaire qui a contribué à diminuer la part d’emplois pérennes au profit d’emplois contractuels n’est ni supprimée ni amendée, et rien ne laisse à penser que les universités aient enfin les moyens de fonctionner correctement.

L’ANR, très largement contestée par la communauté scientifique, n’est même pas évoquée dans le texte. Sa suppression et la réintégration de son budget au sein de la MIRES, la Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, pour favoriser l’emploi statutaire auraient pourtant été un signe fort. Quant à la diminution de son budget dans la dernière loi de finances, elle ne remet pas en cause sa logique et sa légitimité, d’autant que les crédits n’ont pas été réduits de manière significative ni réaffectés au budget de la recherche.

Enfin, eu égard aux 5 milliards d’euros dépensés au titre du crédit d’impôt recherche pour la seule année 2012, l’argument du manque de moyens pour lutter contre la précarité ne tient pas. Il masque un choix politique que nous ne partageons pas.

Alors que la précarité ronge le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, il aurait été bienvenu de réévaluer significativement le montant du CIR et d’encadrer drastiquement l’obtention de ce financement public par les entreprises privées.

Ces 5 milliards d’euros sont autant de moyens soustraits aux laboratoires publics et aux organismes de recherche au profit d’entreprises comme IBM ou Sanofi-Aventis, qui n’hésitent pourtant pas à licencier.

Outre l’absence de programmation de moyens et d’emplois, nous déplorons le fait que le projet de loi reste ancré dans une vision utilitariste de l’enseignement supérieur et de la recherche, placés au service exclusif de l’économie. En ce sens, il va même au-delà de la logique, déjà critiquable, qui sous-tendait la loi LRU et le pacte pour la recherche.

Ce texte fixe une nouvelle mission aux laboratoires et aux personnels des organismes de recherche comme à ceux des universités : le développement du transfert économique, qui figure désormais parmi les grandes missions assignées au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

La formulation a été légèrement revue en commission au Sénat, mais le remaniement de la forme ne réussit pas à masquer le fond. Le transfert serait « au service de la société », mais surtout à celui du « développement de l’innovation et du transfert de technologie ».

Nous ne nions pas que les relations entre monde scientifique et entreprises soient nécessaires, mais elles ne peuvent devenir l’unique visée de ce service public.

L’accent est mis sur la participation des personnels de la recherche et de l’université à l’amélioration de la compétitivité industrielle française. Rappelons tout de même que la mission fondamentale des personnels des organismes de recherche est de faire non pas du commerce, mais de la recherche en vue de l’élévation du niveau des connaissances.

De cette subordination à l’impératif économique découle nécessairement une hiérarchisation des savoirs et des recherches. Cette vision privilégie la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et marginalise les sciences humaines et sociales, dont la « commercialisation » paraît utopique. Prenons garde, mes chers collègues, que l’obsession économique ne tarisse pas purement et simplement le monde de la connaissance, dont le défaut majeur est de ne pas être entièrement monétisable.

Imprégné de l’idée de compétitivité, ce projet de loi s’accompagne d’une volonté affichée de spécialisation régionale ou territoriale. Fidèle à la logique européenne de spécialisation régionale pour une compétitivité internationale, le Gouvernement supprime les PRES, mais pour mieux les remplacer par de nouvelles structures de coopération fondées sur l’idée de recentrage de l’enseignement supérieur et de la recherche sur des secteurs d’activité innovants à fort potentiel de croissance, avec des retombées mesurables et des applications à moyen terme.

La coopération territoriale est rendue obligatoire sous forme de communautés d’universités et d’établissements, d’association ou de fusion d’universités et d’organismes de recherche. Ce texte nous éloigne ainsi d’un développement équilibré des territoires qui s’appuierait sur un enseignement supérieur et une recherche de haut niveau au service des populations, et non des seules ambitions industrielles. Il ne mettra fin ni à la concurrence ni à l’inégalité territoriale qui se développent entre établissements universitaires. Il peut conduire à la casse des organismes nationaux de recherche par la mise en place d’une Europe des régions synonyme, en réalité, de compétition entre les régions.

En ce qui concerne l’évaluation, l’AERES, dénoncée par la communauté scientifique, semble épargnée. Certes, on en a changé le nom, mais les missions et la composition de la nouvelle structure sont suffisamment proches de celles de l’AERES pour que l’on puisse parler de maintien.

L’évaluation individuelle et collective est un exercice indispensable qui doit être effectué par des personnes dont la légitimité est reconnue par leurs pairs, et donc élues par eux. Or tel n’est toujours pas le cas !

L’objectif de l’évaluation devrait être l’amélioration du travail collectif de nos laboratoires et de nos chercheurs, et non le contrôle selon des critères quantitatifs non représentatifs de la qualité du travail accompli : nombre de publications, résultats transférables, etc.

Autre motif d’insatisfaction pour nous, ce projet de loi substitue à la procédure d’habilitation des diplômes celle d’accréditation des établissements, qui vaut habilitation à délivrer des diplômes. Notre inquiétude porte sur les éléments qui seront évalués : on sait seulement qu’ils devront être conformes à un cadrage national des formations qui, lui-même, n’est pas davantage défini.

Si l’on en croit le Gouvernement, l’évaluation porterait sur la capacité de mise en œuvre, et non plus sur les contenus de formation, ce qui nous paraît d’autant plus dangereux que les communautés d’universités et d’établissements créées par cette loi pourront être accréditées, alors qu’elles peuvent être constituées d’établissements tant publics que privés. Est-ce là la fin du monopole étatique de collation des grades et des diplômes ? Sur ce point aussi, nous sommes inquiets.

Madame la ministre, l’enseignement supérieur et la recherche ont besoin de ruptures claires et profondes, que ce projet de loi ne prépare pas. Nous voterons donc contre ce texte et nous défendrons des amendements qui ouvriront, eux, la voie à ces ruptures attendues, préalables à toute véritable réforme et refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

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