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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette proposition de loi consacre l’aliénation des monuments nationaux

Patrimoine monumental de l’État (deuxième lecture) -

Par / 3 novembre 2011

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu même de cette proposition de loi, je voudrais brièvement rappeler le contexte de son élaboration et de son examen.

La question du transfert du patrimoine monumental de l’État émerge aujourd’hui, car la raréfaction des crédits publics et l’obsession de la réduction de la dette de l’État, dans le but de contenter les marchés financiers, se sont faites omniprésentes. Nous le voyons bien actuellement…

Le tout-économique est désormais le moteur de l’action politique. La compétitivité et la rentabilité appliquées à l’action publique deviennent, plus que jamais, les questions centrales. Les termes employés – « pragmatisme », « nécessité », « rationalité » – traduisent, sous couvert d’objectivité, une vision idéologique de la réalité, et font loi. Ils justifient la réduction, soi-disant inéluctable, du périmètre d’action de l’État. La diminution des dépenses de l’État est ainsi érigée en dogme, sans que soit envisagée, parallèlement, la possibilité d’augmenter les recettes.

De plus en plus, la culture s’inscrit dans cette vision. Il ne reste alors qu’un pas à franchir pour la considérer comme un « bien marchand » ordinaire, et donc pour renoncer à l’exception culturelle défendue depuis si longtemps, et à juste titre, par la France.

Rendant ses premières conclusions le 12 décembre 2007, le Conseil de modernisation des politiques publiques ne disait pas autre chose lorsqu’il prévoyait explicitement une nouvelle vague de transferts de monuments historiques. Mais il est vrai que cette institution a pour raison d’être de veiller à l’application de la RGPP…

Les monuments ne sont plus qu’une variable d’ajustement des contraintes budgétaires ; c’est d’ailleurs vrai pour bien d’autres secteurs.

Même si le transfert des monuments ne s’opère que sur la base du volontariat, il entérine, de fait, le recul de l’État dans ce domaine, et met en balance les collectivités qui peuvent assumer cette charge et celles qui ne le peuvent pas ; pour elles, il ne s’agit plus de « vouloir ».

Nous sommes bien loin, dès lors, de la décentralisation culturelle voulue et mise en œuvre par Jean Dasté et Jean Vilar pour le spectacle vivant, qui tendait à rapprocher la culture des femmes et des hommes, et non à transférer des compétences en augmentant les charges des collectivités et, par conséquent, celles des ménages.

La présente proposition de loi vise à permettre à l’État de transférer son patrimoine aux collectivités territoriales.

Il est vrai – vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le ministre – que ces transferts seront encadrés. Il n’en reste pas moins que ce texte consacre, tout en semblant la repousser, la possibilité d’aliéner le patrimoine de l’État.

Afin que les transferts de monuments soient encadrés, un Haut conseil du patrimoine sera donc chargé d’établir la liste des monuments transférables et de ceux restant en la possession de l’État. Des règles procédurales ainsi que le respect d’obligations culturelles doivent également permettre d’assurer une certaine régulation. Mais il ne s’agit que de mesures d’aménagement d’une rigueur budgétaire à laquelle nous sommes opposés.

Cette rigueur s’articule autour de deux axes : le transfert financier du patrimoine monumental de l’État vers les collectivités territoriales ; la possibilité de déléguer la gestion de ce patrimoine au secteur privé, auquel il pourrait même être vendu. Dès lors, les dés sont jetés, et le patrimoine devient une marchandise comme les autres.

La question du transfert financier fait tomber les masques.

De fait, le transfert aux collectivités locales de la charge des coûts liés aux monuments constitue pour l’État un moyen artificiel, mais efficace, de réduire ses dépenses.

Cette proposition de loi trouve d’ailleurs son origine dans un article d’une loi de finances, le premier de ce type inséré dans un tel texte !

Nous regrettons que la réactivation du transfert de la propriété des monuments nationaux vers les collectivités territoriales trouve son fondement, non plus dans la volonté de renforcer l’autonomie des collectivités territoriales, mais, au contraire, dans celle d’alléger les finances de l’État, quitte à transférer la responsabilité et le coût de la gestion des monuments à des collectivités qui n’ont plus les moyens nécessaires à l’exercice de leurs compétences, situation qui, hélas ! ne semble pas devoir s’améliorer dans un avenir proche.

On est loin de l’action engagée en 2000 par Michel Duffour, alors secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, qui souhaitait un véritable travail partenarial entre l’État et les collectivités, partenariat où l’État apportait son appui financier, politique et scientifique.

Or, nous le savons depuis 2004 et le constatons depuis dans toutes nos collectivités territoriales, la décentralisation ne signifie plus que transferts de compétences et économies sur les transferts de financement correspondants.

La proposition de loi telle qu’elle nous est présentée constitue un danger, car, loin d’interdire l’aliénation des monuments nationaux, elle la consacre en permettant de céder la propriété ou la gestion de ces témoignages de l’histoire au secteur privé.

Ce procédé incarne la tentation, de l’État comme des collectivités, de trouver de nouveaux usages privés, économiques et rentables, à ces monuments qui coûtent si cher en entretien et en valorisation : ces derniers ne pourraient-ils pas rapporter au lieu d’être un coût ?

Ils deviendraient alors de potentiels lieux d’attraction compétitifs pour valoriser l’économie touristique française, synonymes d’autant d’hôtels de luxe, de galeries marchandes et de lieux de restauration, qui, à défaut de garantir le respect de l’intérêt général dans l’exploitation d’un monument inscrit ou classé, auraient au moins l’avantage de ne plus grever les finances publiques.

Au-delà de la vente pure et simple des monuments existe un dispositif tout aussi dangereux : le bail emphytéotique administratif, insuffisamment considéré et encadré par cette proposition de loi, qui permet de concéder à des opérateurs privés la responsabilité financière, la gestion et l’affectation d’un bâtiment administratif, tout en maintenant la propriété de la personne publique. Si l’illusion de la responsabilité publique est maintenue, le souci de préserver l’intérêt général est en réalité bien loin !

Il est pourtant légitime de craindre que l’usage mercantile de ces lieux ne soit préjudiciable au respect du monument et, surtout, ne se fasse au détriment de tout usage culturel peu ou pas rentable.

Cette proposition de loi, telle qu’elle a été remaniée par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, n’est au fond que l’affirmation de la dissolution, voire de la disparition, à plus ou moins long terme des missions de service public de l’État dans le patrimoine national.

Elle ne saurait en l’état nous satisfaire, car elle ne fait que réguler ce qui reste une grande braderie des monuments nationaux, voués à une utilisation mercantile dont le seul but est de dégager du profit, sans garantie d’une utilisation culturelle.

Pour notre part, nous sommes des élus responsables, attachés, contrairement à ce qui a été dit en commission, au patrimoine national : il n’y a pas, d’un côté, une droite qui le défendrait et, de l’autre, une gauche qui « s’en ficherait » ! Nous avons déposé des amendements pour enrichir la proposition de loi, que nous voterons si elle est ainsi modifiée.

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