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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Droit d’accueil pour les élèves

Par / 26 juin 2008

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Nous entamons une nouvelle fois, aujourd’hui, l’examen d’un texte couvert par l’urgence. Il serait plus juste de parler de précipitation.

Il suffit de voir pour s’en convaincre le nombre d’amendements de détails déposés par votre majorité - 26 - pour « tenter de limiter la casse » et de rendre ce texte présentable, auprès des maires notamment. Et ceci après un travail pourtant louable de Monsieur le rapporteur.

De la même façon, ce « droit d’accueil », présenté comme une avancée pour les familles, et mis en place si précipitamment, ne s’appliquerait semble-t-il pas dans nos départements et territoires d’outre mer ? Est ce à dire que, ce que vous jugez bon pour les familles et les écoliers de métropole, ne le serait pas pour ceux de l’outre-mer ?

Précipitation quand le Président de la République annonce le 15 mai le dépôt, avant l’été, de ce projet de loi.
Au même moment des milliers d’enseignants, de lycéens, de parents d’élèves manifestaient encore contre votre politique de casse du service public de l’éducation.
Une décision prise alors même que les deux expérimentations du « service minimum d’accueil » - réalisées sur la base du volontariat des communes - ont été des échecs : 2023 communes volontaires le 24 janvier, 2837 le 15 mai, sur les 22500 communes qui disposent d’écoles sur leur territoire.

Décision prise sans aucune concertation préalable avec les organisations syndicales. Organisations à qui vous promettiez depuis un an une négociation. En guise de négociation, elle se sont vues présenter un projet de loi déjà ficelé le 4 juin dernier lors d’un comité technique paritaire ministériel qui a tourné court.

Alors autant de précipitation pour quoi faire ?

Un texte dangereux pour au moins trois raisons.

- Tout d’abord, ce texte instaure aux côtés de l’obligation et de la gratuité scolaires, un prétendu droit d’accueil, mettant sur le même plan la continuité de l’enseignement et ce qui sera une garderie.
- Ensuite, ce texte restreint le droit de grève des enseignants du premier degré.
- Enfin, il porte gravement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Prendre la responsabilité d’introduire dans le Code de l’éducation, aux côtés de l’obligation scolaire et de la gratuité, fondements de notre service public de l’enseignement, ce type de droit d’accueil, constitue une véritable régression.

Car de fait le droit d’accueil existe déjà : la loi faisant obligation à toute école ouverte d’accueillir les élèves qui lui sont présentés. C’est bien pour cela que l’usage, depuis toujours, veut qu’en cas de grève les enseignants avertissent les parents à l’avance afin de s’assurer qu’aucun élève ne sera laissé sur le trottoir.

Avec ce nouveau « droit d’accueil », vous prétendez garantir aux parents la continuité du service public de l’enseignement, vous appuyant en cela sur une aspiration bien légitime des parents à pouvoir bénéficier de cette une continuité. Et au motif de respecter leur droit au travail.
Un comble quand votre gouvernement, dans le même temps, organise la dégradation des droits et des garanties au travail.

Encore conviendrait-il de s’interroger sur les cas pour lesquels cette continuité n’est plus assurée.
En cas de grève ?
Dans le primaire en moyenne depuis 2000, on ne comptabilise pas plus de trois jours de grève par an.
Ou en cas de non remplacement des professeurs absents du premier degré ? Problème bien réel et pour lequel les parents d’élèves alertent de plus en plus souvent les inspecteurs de l’éducation nationale.
Comment en effet ne pas s’inquiéter de la dégradation des conditions de remplacements, en raison notamment des suppressions de postes !

Vous affichez dans le préambule de la loi la volonté de créer un « droit d’accueil ». Or les 10 articles du projet ne parlent que de « service d’accueil ». Il serait d’ailleurs plus juste, vis-à-vis des familles, de parler de « garderie ».

Une garderie qui - et c’est peut-être un des grands dangers de ce texte s’il est adopté - sera mise en place dans deux cas de figure :
En cas de grève, par les communes.
Mais aussi par l’Etat, lorsque les « enseignements ne peuvent pas être dispensés ». C’est l’article 2 de votre projet de loi.
C’est-à-dire, comme le précise monsieur le rapporteur, « en cas d’impossibilité matérielle de remplacer un enseignant absent ».
C’est tout simplement la remise en cause du principe de continuité de la mission de service public de l’école - c’est à dire de sa mission d’enseignement.
A l’avenir, dans une même école, des enfants se verront dispenser des enseignements quand leurs camarades, dont l’enseignant absent n’a pu être remplacé, n’auront plus le droit qu’à être gardés ! Et évidemment pas par des enseignants ! Vous inscrivez dans la loi la possibilité d’une école à deux vitesses. Quelle source d’inégalités ! Alors que nous devrions être en train de légiférer sur une grande ambition pour l’école et les élèves.

Cette nouvelle mesure est donc contraire à l’intérêt des élèves. Elle vient s’ajouter à la trop longue liste de vos réformes qui touchent aujourd’hui le premier degré - suppression de la carte scolaire, diminution des horaires d’enseignements, réécriture des programmes, formation des enseignants. Mesures, toutes prises sans une réelle concertation, qui participent au démantèlement du service public de l’Education.

Une telle logique impose bien sûr de briser toutes les résistances.
Nous arrivons donc sur l’organisation de la restriction du droit de grève contenue dans ce texte.
Sinon comment comprendre l’introduction dans le Code de l’éducation, via l’article 3, de dispositions qui relèvent du code du travail. Voilà en tout cas un bel exemple de cavalier législatif.
L’article 3 n’est en fait qu’un « copier coller » de l’article 2 de la loi du 21 août 2007 qui a instauré un service minimum dans les transports.
A l’époque, vous aviez déclaré, Monsieur le ministre, que cela ne concernerait pas l’Education nationale.

Avec cet article 3, bien que vous vous abritiez derrière la décision du Conseil constitutionnel du 16 août 2007 concernant les transports, nous pensons qu’il y a bien atteinte à l’exercice du droit de grève des enseignants du premier degré.

Votre projet de loi crée une procédure dite « d’alerte sociale ».
Cela pourrait être une bonne nouvelle tant vous ignorez les revendications des organisations syndicales, notamment sur les suppressions de postes, la réforme des programmes...
En réalité, ce processus de négociation préalable, qui ne fait aucune obligation de résultat à l’Etat en terme de prise en compte des revendications, va conduire, à un allongement du temps nécessaire pour le dépôt d’un préavis de grève : 11 jours.

L’obligation faite ensuite à toute personne exerçant des fonctions d’enseignements de se déclarer nominativement gréviste au moins 48 heures avant une grève, ne constitue pas non plus une avancée démocratique.
C’est même ignorer l’usage qui est en vigueur dans le premier degré, puisque les enseignants informent toujours les parents, au moins trois jours à l’avance, de leur intention de faire grève.

En résumer : 11 jours avant de déposer un préavis auxquels s’ajoutent les 5 jours francs obligatoires entre le dépôt du préavis et la grève...
Les enseignants ne pratiquent pas des grèves sauvages et se mobilisent toujours pour défendre une qualité d’enseignement au service de tous les élèves.
Votre objectif est, en réalité, de décourager les enseignants de faire grève en alourdissant la procédure et en accentuant la pression.

C’est tout le sens de l’article 5 de votre projet de loi qui inverse la procédure de déclaration de grève. Jusqu’à aujourd’hui, la loi veut que les enseignants informent le directeur de leur école et les parents de leur intention de faire grève. C’est ensuite à l’Inspecteur de l’éducation nationale (IEN) de leur circonscription de constater l’état de grève.

Votre projet de loi inverse totalement la procédure obligeant les enseignants à déclarer leur « intention de prendre part à la grève » auprès de leur autorité administrative.
Une question : informer son autorité administrative de son « intention de prendre part à la grève ». Cela ne veut pas dire faire grève au final.
Par contre, c’est être déclaré comme tel auprès de son IEN.
N’est ce pas là une façon de mettre dans la loi une pratique de plus en plus usitée de réaliser systématiquement en cas de grève des retenues sur salaires - à charge pour les non grévistes de prouver qu’ils étaient bien au travail ?

Les maires connaissent le haut niveau de conscience professionnelle des enseignants de leurs communes. Maires à qui vous voulez imposer la responsabilité de gérer les conséquences des conflits sociaux avec vos fonctionnaires.
Quid également du droit de grève des agents territoriaux qui vont se voir proposer d’endosser la casquette du briseur de grève.

Les expérimentations l’ont montré, les maires, de droite comme de gauche, ne veulent pas que ce service leur soit imposé.
A Saint-Quentin dans l’Aisne, commune où Monsieur Xavier Bertrand, grand militant du service minimum, est maire adjoint - le maire ne pas l’a pas organisé.

Car ce texte, les maires l’ont compris, va les mettre en danger. En danger financièrement, en danger juridiquement, les deux étant étroitement liés.

Le danger financier vient tout simplement du fait que la mise en place de ce « service d’accueil » comporte une inconnue de taille pour les communes : elles seront dans l’incapacité de savoir à l’avance le nombre d’enfants qu’elles auront à accueillir. Elles risquent donc d’engager des dépenses supérieures à la contribution que vous voudrez bien leur accorder.

Retiendrez-vous le forfait de 90 euros par tranche de 15 élèves accueillis appliqué dans le cadre du dispositif expérimenté ? C’est insuffisant vous le savez les maires ont rapidement fait le calcul. Mais nous n’aurons pas le loisir de débattre réellement de cette « contribution », ainsi nommée dans l’article 8 de votre projet de loi, puisque son montant, fonction du nombre d’élèves accueillis, et ses modalités de versement, seront fixés par décret.
Pourtant, L’article 72-2 de la Constitution, garant de la libre administration des collectivités territoriales, indique dans 3e alinéa, que « Toute création- et c’est bien ce qui nous occupe aujourd’hui - ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. » C’est-à-dire ici, par nous sénatrices et sénateurs.

Pour clarifier les choses, nous avions donc déposé deux amendements à l’article 8 en faveur du versement d’une « compensation intégrale financière » calculée en fonction du « nombre d’enseignants grévistes ». Deux amendements rejetés par la commission des finances au motif - bien pratique - de l’article 40 de la Constitution.

C’est bien là la preuve, Monsieur le ministre, que votre « contribution » ne couvrira pas la dépense que ce service occasionnera aux maires.

Après l’article 89 de la loi du 13 août 2004 faisant obligation aux communes de financer les écoles privées, le gouvernement impose le service d’accueil : c’est une double peine pour les communes, notamment pour les moins bien dotées et les communes rurales.

De plus, au motif de « laisser aux communes la plus grande souplesse possible » comme vous nous l’expliquez, il n’est fait aucune mention d’un taux d’encadrement minimum dans le projet de loi. Cela a une conséquence directe : cet accueil devra se limiter à une activité de pure garderie.

Que feront donc les enfants toute la journée ainsi accueillis ?
Le simple fait de lire un livre peut être assimilé à de l’enseignement. Jouer avec un ballon aux loisirs. Dans ce cas, le code de l’action sociale et des familles (dans son article R227-16) prévoit la présence, au minimum, d’un animateur pour dix enfants de moins de six ans et d’un animateur pour quatorze enfants âgés de six ans ou plus.

Comptez-vous appliquer ce taux d’encadrement minimum ?

Qui encadrera les enfants ?
- Des animateurs ? Pourquoi pas dans les communes qui en emploient déjà pour leurs centres de loisirs. Mais pour les autres communes, et je pense aux communes rurales qui ne disposent pas de centre de loisirs et n’auront pas un nombre suffisant de personnels.
- A des chômeurs ayant refusé plus de deux offres d’emplois raisonnables ?

Des personnels disposant de quelles qualifications, de quelles expériences, recrutés selon quels critères ?

Toute personne qui a un jour encadré des enfants sait combien il est difficile de les occuper sans un minimum de préparation et d’expérience ; de surcroît, lorsque les personnes qui auront la responsabilité de cet accueil devront s’occuper d’enfants qu’elles ne connaissent pas, dont la tranche d’âge peut aller de 2 à 7 ans.
C’est mettre ces personnels dans une situation délicate et c’est prendre le risque d’activités mal maîtrisées.

Et dans quels « locaux » seront accueillis les enfants ? Les classes ? Mais il ne s’agit pas de leur dispenser des enseignements. Dans la salle du réfectoire, dans le préau, la cours ? Sur ce point, votre texte se contente de parler des « locaux des écoles maternelles et élémentaires publiques ».

Là encore les communes rurales se trouveront dans l’impossibilité matérielle d’organiser ce service, a fortiori quand elle ne dispose plus d’école en propre sur leur territoire.

Ce qui faisait dire à juste titre à l’ancien président de l’Association des Maires Ruraux de France, Gérard Pelletier, que ce service est tout simplement « inapplicable » dans les petites communes.

Or faire basculer la mise en place de ce service avec un taux de gréviste de 10, voire de 20% c’est l’appliquer dans quasiment toutes les écoles.

Un accueil mais avec quels matériels ? Les maires devront donc investir.

Sur tous ces points le projet de loi ne dit pas un mot. Ils sont portant essentiels et ne peuvent être laissés au hasard quand on prétend « instaurer un droit d’accueil ».
Ce taux d’encadrement que vous refusez de définir dans la loi, va directement mettre en danger la responsabilité pénale et civile du maire.
Car en cas d’accident et de mise en cause devant les tribunaux, cette question de l’encadrement se posera. Et c’est le juge qui tranchera en s’appuyant sur la jurisprudence.

Les maires ont donc raison à plus d’un titre de s’opposer à ce texte.

Un texte, inutile, dangereux, démagogique, et attentatoire à ce qui fonde notre service public de l’enseignement.

C’est pourquoi mon groupe se prononcera contre ce texte.

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Bio Express

Brigitte Gonthier-Maurin

Ancienne sénatrice des Hauts-de-Seine
Vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication
Elue le 29 juin 2007
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