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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La fin de la publicité diurne organise le déficit du service public

Sauvegarde du service public de la télévision -

Par / 20 mai 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en rappelant les propos que j’ai tenus ici même le 10 mai dernier. Je le fais notamment parce que, ce jour-là, nous étions peu, très peu même. Or j’aime l’information et la pensée débattues, « disputées ». Je vous sais en attente d’un diagnostic. Le mien, partagé par nombre de parlementaires de tous bords, était le suivant :

Premièrement, le 4 avril 2007, lors de la rencontre « Mon engagement pour la culture » organisée par Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, celui-ci déclarait : « Il faut être ambitieux pour notre télévision, et notamment pour les chaînes publiques. C’est un fait, l’audiovisuel public est actuellement sous-financé. »

Deuxièmement, le 21 mai 2008, j’affirmais, devant la commission Copé, à laquelle je participais avec mon collègue Ivan Renar, mais que nous avons quittée : « Au plan financier, la télévision publique n’est pas assurée de son avenir. C’est comme si les parents d’un enfant avaient décidé de ne plus le reconnaître. Aucune entreprise privée n’accepterait la situation faite à France Télévisions. »

Troisièmement, le 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a validé la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, sous la réserve expresse, mentionnée au considérant 19, que la suppression de la publicité sur France Télévisions soit compensée chaque année, sous peine d’affecter son indépendance.

Quatrièmement, le 14 octobre 2009, la Cour des comptes a estimé que « la situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est donc très fragile ».

Cinquièmement, le 7 avril 2010, la nouvelle commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a organisé une table ronde très suivie, et à laquelle j’ai d’ailleurs assisté ; les propos qui y ont été tenus rejoignent, dans leur majorité, mes conclusions.

Sixièmement, le 10 mai 2010, lors du débat sur l’application de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, notre collègue Hervé Maurey, qui appartient au groupe Union centriste et qui a voté cette loi en 2009, déclarait : « En ce qui concerne la question des financements, qui nous inquiétait voilà un an, la situation est, me semble-t-il, beaucoup moins satisfaisante. »

Ce même jour, notre collègue socialiste David Assouline, qui n’avait pas voté la loi, intervenait fermement sur la situation financière de l’audiovisuel public, incontestablement et gravement fragilisée...

Tout cela explique certainement que les engagements gouvernementaux de créer un comité de suivi de la loi et un groupe de travail sur la modernisation de la redevance n’aient pas été honorés.

Le diagnostic est clair, le financement de la télévision publique ne peut rester en l’état et appelle des décisions immédiates. Car mon propos s’appuie non pas sur des impressions, mais sur des réalités.

Tout d’abord, Bouygues-TF1, malgré un vrai redressement, continue de contester la taxe sur la publicité et a saisi les instances européennes.

Ensuite, l’Europe a tout contesté : la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques, qui représente 400 millions d’euros ; la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d’euros attribuée, rapporteur. par l’État à France Télévisions en 2009 ; le régime de TVA appliqué à Internet, une taxe qu’elle souhaite voir passer de 5,5 % à 19,5 %, notamment dans le cas des abonnements triple play, ce qui priverait la création audiovisuelle française de 60 millions à 100 millions d’euros ; enfin, l’aide envisagée par l’État pour le développement du global media, sous prétexte qu’il s’agit d’un marché concurrentiel dont les ressources doivent être de caractère privé.

Bref, l’ensemble – j’y insiste – des modalités de compensation de la publicité est contesté. L’État lui-même a réduit de 35 millions d’euros les 450 millions d’euros que nous avions votés, sanctionnant ainsi, au lieu de les récompenser, les performances réalisées par France Télévisions.

Or c’est sur ce terrain financier, entièrement fragilisé – 800 millions d’euros à 1 milliard d’euros sont en question ! –, qu’interviendra le plan dit de « non-rigueur » de MM. Sarkozy et Fillon. Sera-t-il appliqué à France Télévisions en 2011, et comment ? Un exemple : le Sénat a décidé, et il a été suivi, d’une indexation de la redevance. Que va-t-il se passer ?

On nous dit qu’une mission animée par Catherine Morin-Desailly rendra un rapport pourvu de toutes les couleurs, le mien étant pâlot, insuffisant ! (Sourires.) Encore faudrait-il que cette minutie prospective n’ait pas, en d’autres temps, choisi un chemin moins exigeant, voire complaisant !

En effet, comment s’expliquer qu’il faille faire un travail de chercheur, pour envisager, au centime d’euro près, de ne pas supprimer la publicité diurne, alors que, à peine intervenu le vote de la loi, il a suffi au lobby Bouygues-TF1 de quelques interventions autoritairement pleureuses pour que la taxe d’émanation gouvernementale ratifiée par le Parlement passe de 3 % à 1,5 %, puis à 0,5 % ? Et tout cela alors même que TF1 gagnait, en vertu de la loi, une deuxième coupure publicitaire, le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge, une durée de neuf minutes par heure contre sept auparavant, ainsi que la possibilité de racheter deux chaînes de la TNT à des prix défiant toute concurrence !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !

M. Jack Ralite. Comme le disait La Bruyère, au chapitre VI des Caractères, intitulé Des Biens de fortune, « s’il est vrai que les riches soient colères, c’est de ce que la moindre chose puisse leur manquer, ou que quelqu’un veuille leur résister. »

Il y a aussi des personnes qui ne veulent pas revenir sur la suppression totale de la publicité. Étant donné son omniprésence antérieure, qui aboutissait à une insatiable mercantilisation des programmes, on peut s’expliquer ce parti pris. C’est un vieux débat.

À l’article 6 d’une proposition de loi relative à l’audiovisuel enregistrée à la présidence du Sénat le 22 avril 1999, portant ma signature, et élaborée pendant six mois par une trentaine de personnes faisant et aimant la télévision, on peut lire : « les missions spécifiques du service public constituent le fondement d’un financement mixte dont bénéficie le service public de l’audiovisuel.

« Le financement public et pluriannuel du service public de l’audiovisuel est assis sur la redevance et des aides publiques décidées en fonction de contrats d’objectifs conclus entre l’État et le service public de l’audiovisuel. » […]

« Le financement privé du service public de l’audiovisuel repose sur les ressources publicitaires et la création de nouveaux services.

« Afin de garantir l’indépendance et le respect des missions du service public de l’audiovisuel, l’organisme collecteur de ressources publicitaires est séparé des services de programmation […].

« Les clauses contractuelles des contrats de publicité ne peuvent être fondées sur l’audience des émissions mais seulement sur des critères prenant en compte l’heure de diffusion.

« Pour l’ensemble des sociétés de programmes du service public de l’audiovisuel, le temps consacré à la diffusion de messages publicitaires ne peut être supérieur à 5 minutes par période de 60 minutes. La perte de recettes est intégralement compensée par l’État. »

Ainsi, pour les auteurs de cette proposition de loi, qui n’a d’ailleurs eu droit qu’à un examen de trois minutes au Sénat, la publicité participe à un financement croisé qui, plafonné et régulé strictement, devient même partie prenante de la garantie de liberté et d’indépendance dont doit bénéficier l’audiovisuel public.

Mais il faut aller plus loin pour analyser le blocage fondamental que nous connaissons aujourd’hui sur le maintien de la publicité diurne, c’est-à-dire sur les finances de la télévision publique. Pour ce faire, il suffit de rapprocher deux déclarations.

Dans son rapport du 14 octobre 2009, la Cour des comptes, ne se contentant pas d’évoquer la situation financière difficile de la télévision publique, précisait : « Les questions liées au périmètre du groupe, au nombre des chaînes publiques et aux genres qui y sont représentés ne sauraient être exclues de l’évaluation de la réforme […]. »

Dans son livre intitulé Libre, publié en 2001, Nicolas Sarkozy écrivait : « La question du périmètre du service public est, elle, bien réelle. Je suis convaincu que nous ne pourrons maintenir tout à la fois : France 2, France 3, Arte et la Cinquième. Pas moins de quatre chaînes nationales de service public, qui pêchent souvent par un grave déficit de complémentarité et d’identification. Cette abondance quantitative met en jeu la pérennité du service public, car elle se construit au détriment de la qualité, parce que ces chaînes se concurrencent entre elles sur le terrain de l’audience et parce qu’elles s’épuisent à se partager un budget qui n’est forcément pas extensible à l’infini. C’est dans ce contexte que doit être évoquée la question de la privatisation de France 2. »

Sur cette problématique, on peut utilement lire le Livre blanc de TF1, paru à la fin de l’année 2007, le rapport de Danièle Giazzi intitulé Les médias et le numérique, remis, en septembre 2008, au Président de la République, et le livre d’Alain Minc intitulé Le média-choc, publié en 1992, qui traite de la régulation audiovisuelle, qualifiée de « remède de cheval, version droite ».

À la lecture de ces déclarations néolibérales, on peut légitimement se poser la question suivante : la raide résistance constatée ici et là au maintien de la publicité diurne, donc le déficit programmé, assuré, organisé de la télévision publique, ne cache-t-elle pas une volonté de privatisation d’une partie du secteur, sous une forme qui reste à débattre, mais qui pourrait passer par la « coopération entre le privé et le public », pour reprendre une expression aujourd’hui à la mode, pendant que se développe une politique de soutien au déploiement de grands groupes audiovisuels privés français, promus « groupes champions » ?

C’est Jean-Marie Messier, échouant dans une quasi-faillite, qui a montré la voie. À cet égard, je rappelle d’ailleurs à la Haute Assemblée l’opposition de la majorité à toute enquête sur les raisons de la chute de J6M, entraînant, chez Vivendi, la cascade de difficultés que l’on a connue.

Mais, surtout, se précisait alors la définition, aujourd’hui affinée, de la « politique historique », comme la nomme Nicolas Sarkozy, des « champions nationaux », lancée sous le gouvernement Balladur de 1993, à travers la loi Carignon de 1994, que Nicolas Sarkozy, chargé d’exercer les fonctions de ministre de la communication, mit en œuvre durant une année.

L’universitaire Pierre Musso, grand spécialiste de toutes ces questions, commente ainsi cette évolution : « Cela revient à distinguer d’un côté un secteur public géré comme une entreprise, mais connoté par l’emprise politico-étatique, et de l’autre un secteur privé considéré comme un champion partant à la conquête des marchés extérieurs. Le néolibéralisme sarkozien a pour nœud gordien cette nouvelle dialectique de l’État et du marché : un État géré comme une entreprise et des entreprises champions soutenues par l’État néolibéral sur un marché mondialisé. »

Le philosophe Pierre Legendre a bien raison d’affirmer que « la paix gestionnaire est une guerre », dans laquelle « le droit des affaires est une pointe avancée du management. »

Mais je ne résiste pas à illustrer ainsi le compagnonnage État-marché que l’État actuel – Élysée et Gouvernement – s’évertue à cacher, en faisant du marché un deus ex machina, au lieu d’avouer qu’il est quasiment membre du Gouvernement, lequel travaille pour lui, tout en décochant de temps à autre des flèches verbales à son endroit. Je trouve à la limite de l’impudeur la petite phrase gouvernementale rencontrée partout : « C’est pas moi, c’est pas nous, c’est le marché ! » Je trouve cela insultant pour les citoyens !

Je connais mon oncle, ma cousine, mon voisin, beaucoup d’entre vous, chers collègues sénateurs, j’ai même bien connu Georges Marchais, mais je n’ai jamais rencontré le marché, qui n’est pas, comme disait Karl Polanyi dans La Grande transformation, « un état de nature, mais une pure construction de la société ».

Et je fais mienne cette remarque de Myriam Revault d’Allonnes : « Ce qui caractérise le néolibéralisme, c’est que l’économie de marché n’est plus un principe de limitation de l’État, mais le principe de régulation interne de bout en bout de son existence et de son action, en sorte que l’État est sous surveillance du marché et non l’inverse. »

J6M disait adorer cette phrase de René Char : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. » Non, nous ne nous habituerons jamais !

M. Bernard Vera. Très bien !

M. Jack Ralite. C’est pourquoi nous demandons un vote ! Oui, un vote, et pas une esquive, ce que serait un renvoi en commission, sur le maintien de la publicité diurne et sur cinq autres objectifs garantissant au niveau nécessaire les financements du service public et son indépendance !

À cet égard, j’ai appris ce matin dans le Bulletin quotidien que nous recevons les uns et les autres que l’ancienne directrice de cabinet de M. Sarkozy vient d’être nommée PDG d’une société dont l’essentiel de l’activité concerne la production audiovisuelle. « Indépendance » n’est donc pas un mot coquin ; c’est un mot réel !

Étant donné la gravité de la situation, le maintien de la publicité en journée ne saurait, à lui seul, garantir un service public de l’audiovisuel digne de ce nom. Aussi est-il indispensable de solliciter d’autres leviers de financement.

Cela implique d’agir sur la contribution à l’audiovisuel public en rétablissant l’assujettissement des résidences secondaires à cette contribution ; tel est l’objet de l’article 5 de cette proposition de loi, et vous vous en souvenez, mes chers collègues, le Sénat s’était d’ailleurs prononcé en ce sens.

En outre, notre démarche de sauvegarde du service public de la télévision ne saurait faire l’impasse sur la participation des chaînes de télévision privées, dont le taux de taxation des revenus publicitaires serait porté à 5 %, aux termes de l’article 6 de la proposition de loi. Tout cela implique bien sûr la suspension immédiate de la privatisation de la régie publicitaire, suspension prévue à l’article 3, que le conseil d’administration de France Télévisions a majoritairement, parlementaires compris, et donc sénateur compris, déjà reportée, suivant en cela les décisions du Conseil constitutionnel.

Enfin, et c’est l’objet de l’article 4, l’indépendance décisionnelle, éditoriale et de programmation de la société France Télévisions implique qu’aucune instruction écrite ou orale ne puisse être adressée par le pouvoir exécutif à France Télévisions qui arbitre seul et librement de ses décisions en conseil d’administration, ce dernier désignant seul son président, et il faudra bien revenir un jour sur ce point.

C’est pourquoi nous demandons un vote : oui, un vote osant une télévision publique dont le sens profond est de se libérer des seules règles d’un jeu qui ne serait qu’économiquement profitable et socialement tolérable ; une télévision publique qui se nourrit de valeurs à l’heure exacte de la conscience, qui ne laisse aucun problème sur la touche, qui va au-devant des désirs et plaisirs, des savoirs et vouloirs des citoyens et des créateurs. Cette télévision veut que la pensée et l’imaginaire ne restent pas à quai, qu’ils gagnent la haute mer, là où le vent est favorable à l’aventure humaine, dont la télévision est partie prenante dès qu’elle n’a pas l’imprudence – ou l’impudence – de mépriser les rêves, qu’elle choisit autre chose que la morale du présent asservissante de l’énergie d’avenir, qu’elle refuse d’ignorer que « la pensée, avant d’être œuvre est trajet », et que « l’universel, c’est le local sans les murs ».

Nous voulons contribuer à donner un départ nouveau à la télévision, à l’image de ce que disait Arthur Rimbaud : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. »

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