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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les allocations familiales ne sont pas une récompense attribuée aux bons élèves et aux bons parents

Absentéisme scolaire -

Par / 15 septembre 2010

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’absentéisme est un phénomène extrêmement complexe, qu’il faut bien se garder de traiter à la légère, au gré des opportunités médiatiques que cela peut représenter.

Pourtant, la présente proposition de loi a été élaborée à la hâte par le député Éric Ciotti, à la suite du discours sécuritaire du Chef de l’État du 20 avril 2010. Suivant une méthode éprouvée, le Gouvernement se saisit de faits divers qui choquent à juste titre l’opinion publique et utilise l’émotion dégagée pour justifier et annoncer une série de mesures sécuritaires et répressives faisant plus partie d’un plan de communication que d’une annonce de mesures politiques.

Le 20 avril dernier, il s’agissait de profiter des dégradations commises dans un lycée de Seine-Saint-Denis pour introduire une problématique chère à la droite : la lutte contre l’insécurité. Cette annonce s’est effectuée dans la confusion la plus totale, en opérant des amalgames qui relèvent d’une vision fantasmagorique d’une jeunesse délinquante en perdition.

La violence scolaire trouverait sa cause dans l’absentéisme, qui, lui-même, permettrait à des mineurs errant dans les rues la nuit – on ne voit pas bien le rapport avec l’école – d’être utilisés par des trafiquants...

De cette confusion volontairement simplificatrice, on aboutit à l’annonce de la mesure simpliste dont nous discutons aujourd’hui, car c’est ce discours qui annonce la suspension systématique des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répété.

En tant que législateurs, nous avons avant tout le devoir de lever une telle confusion sémantique et de réintroduire de la complexité. Non, le phénomène d’absentéisme scolaire n’est pas simple, et le problème ne pourra pas se résoudre par ces manipulations !

Jusqu’à présent, aucune étude n’a établi le lien entre absentéisme et violence scolaires. Même si la violence à l’école existe, elle n’est – heureusement ! – pas aussi généralisée qu’on voudrait nous le faire croire et relève d’une problématique distincte de celle de l’assiduité scolaire.

Aucune étude non plus n’a fait le lien entre absentéisme scolaire et basculement dans la délinquance. Bien au contraire, la fameuse étude de 2003 de M. Luc Machard a fait la démonstration inverse. Le lien entre absentéisme et délinquance est si faible que le premier volet ne peut être considéré comme un facteur déterminant du second.

Si cette annonce avait eu une visée autre que de jouer sur une problématique chère à la droite, en instrumentalisant l’émotionnel à des fins électoralistes, alors, au lieu de commencer par un discours véhiculant l’idée qu’un élève absent est un délinquant violent aux parents démissionnaires, on aurait plutôt évoqué le fait que l’absentéisme, loin d’être un fléau rongeant notre société, reste un phénomène marginal.

En effet, contrairement à ce qu’on nous indique, l’absentéisme est relativement stable depuis des années. Du mois de septembre 2003 au mois d’avril 2007, le phénomène est évalué autour de 6 % par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale. Sur la période 2007-2008, il est estimé à 7 %, ce qui constitue, certes, une augmentation, mais relative, et dont la tendance demanderait à être confirmée plus largement dans le temps.

Évidemment, nous partageons l’objectif affiché dans la proposition de loi, qui est d’augmenter au maximum l’assiduité scolaire de tous les élèves. Mais il faut le faire sans amalgame ni confusion.

Ainsi, ce taux de 7 % cache une grande disparité. Les collèges sont moins touchés que les lycées, qui sont eux-mêmes confrontés différemment à l’absence répétée des élèves. Les lycées généraux sont ainsi plus épargnés que les lycées professionnels. S’il est évident que le type d’établissement influe sur l’absence des élèves, peut-être serait-il bon de s’interroger sur les raisons d’un tel phénomène.

Comment expliquer que l’absence des élèves dans les lycées professionnels soit supérieure à la moyenne nationale, atteignant près de 10 % ? Il serait probablement temps de revaloriser les lycées professionnels, qui sont souvent considérés comme des voies de relégation d’élèves en difficulté, orientés par défaut dans des filières qu’ils n’ont pas nécessairement choisies.

Il faut donc aussi nous interroger sur les causes de l’absentéisme. Les élèves absents, loin d’être des délinquants livrés à la loi de la rue, sont souvent en grande difficulté. En difficulté scolaire, mal orientés, ils préfèrent fuir des situations d’échec douloureuses, d’autant que certaines voies de relégation sont dévalorisées, à tort, et présentées comme des voies menant au chômage.

C’est le cumul des difficultés sociales, familiales et scolaires qui peut favoriser l’absentéisme, parfois le décrochage. L’exercice d’une activité professionnelle en parallèle des études ou la nécessité d’assumer des responsabilités familiales dans des familles décomposées, recomposées ou dont les conditions et les horaires de travail précaires des parents ne leur permettent pas toujours d’être aussi présents qu’ils le voudraient, peuvent également en être la cause.

Pour résoudre le problème de l’assiduité scolaire, dont la complexité est ici volontairement ignorée, cette proposition de loi institue donc une sanction : la suppression des allocations familiales afférentes à l’enfant absentéiste.

En réalité, une telle mesure n’est pas tout à fait nouvelle. En effet, dès la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, avait été mis en place le contrat de responsabilité parentale, dont le non-respect pouvait déboucher sur la suppression des allocations. Sauf qu’il s’agit aujourd’hui de systématiser cette suppression…

Les présidents de conseils généraux ont, en effet, eu le mauvais goût de faire le choix de ne pas sanctionner en ne supprimant pas les allocations. Il est vrai que les exécutifs départementaux, qui ont pour mission d’exercer des compétences sociales, sont peut-être un peu trop bien placés pour ignorer les dégâts sociaux immenses que ne manquerait pas d’occasionner l’application de la mesure prévue.

Du coup, cette tâche incomberait désormais à l’inspecteur d’académie, qui aurait, lui, l’obligation et non la possibilité, après un premier avertissement, de sanctionner les familles. Je signale, d’ailleurs, au passage, que cette mesure a été unanimement dénoncée par les syndicats des inspecteurs d’académie, mais également par les associations de parents d’élèves, les syndicats enseignants ou encore ceux des caisses d’allocations familiales qui mettent en œuvre au quotidien cette sanction.

On ne peut que s’étonner de l’entêtement du Gouvernement face à une condamnation aussi unanime. Pour ma part, je ne m’en étonne guère, car cette mesure n’est au final qu’un simple maillon dans un grand plan de conquête électorale qui s’appuie avant tout sur des effets d’annonce et de communication.

Ainsi, le fait d’introduire une mesure foncièrement inconstitutionnelle ne pose pas de problèmes aux rédacteurs de la proposition de loi. Leur texte crée pourtant une véritable inégalité dans et devant la loi, car il ne pourra s’appliquer qu’aux seuls bénéficiaires des allocations familiales, à savoir qu’aux seuls parents ayant plus de deux enfants, à l’exclusion des familles n’ayant qu’un seul enfant et ne touchant donc pas d’allocations.

M. Sarkozy se livre donc à une véritable guerre contre les pauvres alors qu’il devrait être le garant de l’intérêt général. Les « classes dangereuses » font un retour en force dans le discours de la droite. En filigrane, se dessine l’idée selon laquelle les parents des quartiers populaires seraient le plus souvent de mauvais parents, ne se souciant pas de la réussite scolaire de leurs enfants, des parents démissionnaires, alors que ceux des beaux quartiers sont, c’est bien connu, très occupés…

Ce mépris social se transforme en « machine à claques » pour les pauvres. C’est insupportable ! Soutiendriez-vous une proposition de loi supprimant les exonérations patronales pour le patron dont l’enfant serait absent en classe ? C’est donc bien une mesure contre une classe en tant que telle et, comme toujours, il s’agit de la classe des défavorisés.

D’ailleurs, le Gouvernement n’hésite pas à se contredire lui-même. Je rappelle, pour situer la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, que le même chef de l’État qui appelle aujourd’hui de ses vœux une telle disposition a, en tant que ministre de l’intérieur, participé au gouvernement de 2004 ayant abrogé le mécanisme de sanction de l’absentéisme par la suppression des allocations familiales, le qualifiant alors par des termes aussi peu équivoques que « inutile » et « inefficace » ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

Après l’abrogation décidée en 2004, il aura suffi de deux ans seulement à l’exécutif pour changer radicalement d’avis sur la question et rétablir la sanction sous la forme d’un contrat de responsabilité parentale.

Inégale, injuste, inefficace, la suppression des allocations familiales est, de surcroît, inutile pour combattre l’absentéisme, car il existe déjà un arsenal suffisant pour lutter contre ce phénomène et la prétendue défaillance parentale qui en serait à l’origine.

Des moyens pour sanctionner l’absentéisme scolaire et ce que l’on considère comme des manquements graves au devoir d’autorité parentale sont déjà prévus. Les sanctions des manquements à l’obligation scolaire peuvent répondre à deux incriminations pénales comme contravention et comme délit. L’article R. 624-7 du code pénal punit le fait de ne pas imposer à un enfant l’obligation d’assiduité scolaire d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.

L’article 227-17 du même code condamne les parents dont la négligence a entraîné des atteintes à la santé, à la sécurité, à la moralité ou à l’éducation de leur enfant. La peine peut alors aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. Les sanctions pénales des carences de l’autorité parentale sont lourdes à mettre en place et mal adaptées au seul suivi de l’assiduité scolaire.

Des dispositifs existent, propres aux deux objectifs que s’assigne la proposition de loi : sanctionner financièrement le manquement à l’obligation scolaire que constitue l’absentéisme et sanctionner l’absence d’exercice de l’autorité parentale.

À la lecture de ces deux articles du code pénal, on mesure combien la proposition de loi instrumentalise la question de l’absentéisme scolaire en la dramatisant. Si l’assiduité scolaire est évidemment primordiale, associer l’absentéisme scolaire de manière systématique à une carence d’autorité parentale est totalement abusif. Les deux aspects sont différents et relèvent logiquement de deux articles distincts.

Les allocations familiales ne visent à récompenser ni le bon élève ni les bons parents ; elles ont simplement pour objet de compenser une partie des coûts induits par la charge de l’enfant. Tout se passe comme si les allocations familiales étaient devenues de véritables primes au mérite alors qu’elles ne sont que des mesures sociales et familiales.

En outre, la suppression des allocations à toute une famille à la suite de l’absentéisme d’un seul enfant réintroduirait une punition collective à l’échelle d’une famille, notion disparue depuis la Révolution française, et aurait des conséquences néfastes imprévisibles sur l’équilibre psychologique et éducatif déjà précaire de nombreux foyers. C’est tout l’art de maintenir sous l’eau la tête de ceux qui suffoquent déjà…

L’invention du mauvais usage des allocations familiales et la stigmatisation du mauvais parent font porter la faute du dysfonctionnement à la sphère privée de la famille, alors qu’il relève, en réalité, de la responsabilité étatique et publique.

Il est plus facile pour le Gouvernement de prétendre traiter une crise de la famille plutôt qu’une crise de l’école. Dénoncer les parents démissionnaires ne sert, en réalité, qu’à cacher son incapacité profonde à régler la question de l’absentéisme scolaire.

Pis, cette mesure dont la droite sait, elle-même, l’inefficacité – pour cause, elle l’a dénoncée avant de l’abroger ! – sert à faire oublier la responsabilité du Gouvernement face à cette question. En dénonçant et en s’indignant, ce dernier veut convaincre qu’il est étranger à ce phénomène alors même qu’il n’a cessé, et ne cesse encore, de l’alimenter.

Je veux bien que nous parlions de lutte contre l’absentéisme scolaire. Cependant, faisons-le en traitant ce phénomène non comme un problème extérieur, exclusivement familial et privé, mais comme une question relevant de l’ordre scolaire, de l’éducation nationale.

Quoi qu’il en soit, la stratégie mise en place par le Gouvernement permet de faire diversion et d’occulter les véritables causes de l’absentéisme, alimentées par la droite.

Aucune mesure, encore moins celle-ci qui augmentera la gêne sociale de familles déjà en difficulté, n’aura de poids dans la lutte contre l’absentéisme scolaire tant que le Gouvernement ne sortira pas de sa logique de destruction de l’éducation nationale. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, en réduisant chaque année de manière drastique le nombre d’enseignants, ne favorise ni les conditions d’un enseignement de qualité dans des classes aux effectifs adaptés ni celles d’un temps d’écoute individualisé, dont l’efficacité est probante en matière d’absentéisme.

Comment croire à l’utilité, voire à la sincérité d’une telle mesure quand on sait que les postes d’enseignants du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, ou RASED, sont également menacés ?

Comment ne pas évoquer la suppression progressive des conseillers d’orientation psychologues, celle des médecins scolaires, des conseillers d’éducation, des assistantes sociales, bref, de tous les personnels accompagnants qui resserrent tout au long du parcours scolaire le lien entre l’élève et l’école ?

Nous disposons de tous les moyens pour lutter efficacement contre l’absentéisme scolaire, lutte qui, à mon sens, cadre davantage avec des objectifs de réussite scolaire pour tous qu’avec la réduction d’une délinquance de mineurs prétendument livrés à la loi de la rue. Mais encore faut-il ne pas détruire, un à un, tous les accompagnements existants au nom d’une nécessaire économie budgétaire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne pouvons que nous opposer à cette proposition de loi, dont les moyens ne sont pas adaptés aux objectifs fixés. Aucune mesure de suppression des allocations familiales ne résoudra le problème de l’absentéisme. C’est pourquoi nous demandons l’abrogation de tous les dispositifs actuels et antérieurs qui mettent en œuvre ce principe. Je pense au contrat de responsabilité parentale, mais également à la création d’un fichier informatisé recensant nominativement les manquements à l’obligation scolaire.

Nous voterons donc contre ce texte dangereux parce qu’inégalitaire, « stigmatisant » et répressif, et nous n’aurons de cesse de réaffirmer la nécessité de mettre en place une véritable politique de l’éducation nationale, qui, loin de réduire les moyens financiers et humains, leur donnerait la place qu’ils peuvent et doivent jouer dans la lutte contre l’échec et l’absentéisme scolaires.

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