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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Liberté de communication

Par / 29 mai 2000

par Jack Ralite

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici des mois qu’il est débattu, à mon avis dans des cercles trop restreints - France 2 et France 3 auraient dû organiser des débats significatifs - de l’avenir du secteur public de l’audiovisuel.

L’énoncé, déjà, interroge : " secteur public ". Pourquoi pas " service public ", même si une allusion au terme " service " est ajoutée au titre III ?

Les mots ont de l’importance. Céder sur les mots, c’est céder sur les choses !

Qui dit " service public " évoque ses valeurs constitutives.

Je me souviens à cet égard des mots prononcés par François Léotard à l’Assemblée nationale, en 1986 : " Le service public est mort. C’est un astre mort dont la lumière nous parvient encore, mais qui est mort. " Dans la foulée, il avait réduit la notion de service au mot secteur, c’est-à-dire à une signification purement économique.

Je crois que l’on ne peut bâtir un nouveau service public de l’audiovisuel sans remettre en cause la loi ultra libérale de François Léotard, qui a vendu la composante la plus forte du service public au secteur privé, sans remettre en cause les bourgeons, comme la loi Carignon créant la pérennisation de la reconduction automatique des fréquences et l’élargissement du pouvoir des groupes de communication sur les chaînes de télévision par la règle des 49 %, deux mesures que les libéraux britanniques ont caractérisé à l’époque comme une logique du " capitalisme de la rente ".

Dès votre annonce du débat, madame la ministre, les états généraux de la culture se sont sentis responsables en pensée et en actes, et ont tout de suite considéré que la première grande mesure d’une loi sur le service public de l’audiovisuel devait être l’abrogation de la loi " Léotard ", qui a formaté depuis treize ans cette belle chose qu’est la télévision, cette belle invention humaine qui est devenue essentielle à la vie sociale et culturelle de notre moderne société.

Dans le débat à l’Assemblée nationale, j’ai bien sûr trouvé, de votre fait ou du fait des parlementaires de la majorité - dont je suis activement et chaleureusement, et ce pour construire - des déclarations et des amendements traduisant les préoccupations démocratiques de celles et ceux qui considèrent l’avènement d’un droit à la communication comme la naissance d’un droit fondamental de notre société, laquelle doit maîtriser les moyens de se représenter elle-même, de communiquer avec elle-même et avec le monde.

Mais le socle étant la loi Léotard, comment ces greffes démocratiques vont-elles prendre ?

Oui, le socle doit être revu. Il n’y a pas de fatalités et les dangers potentiels de l’accord AOL-Time Warner et la dimension du nouveau groupe n’infirment pas cette position.

Non, il n’y a pas de fatale fatalité qui s’imposerait comme bornage du débat. C’est l’idée qui a guidé les états généraux de la culture dans leur travail pour une nouvelle loi.

Tout d’abord, un groupe d’étude de sept, puis de quinze personnes s’est réuni, ensuite une journée de synthèse avec
100 participants s’est déroulée ici même, au Sénat. Telle est la source du texte que j’ai déposé et qui doit faire l’objet d’une discussion.

Il ne suffit pas de mentionner ce texte, monsieur le rapporteur, pour être quitte. Ce texte est une composante de la pluralité d’approches de l’audiovisuel et il doit être pris en considération. Il est différent, c’est vrai, du texte gouvernemental. Il s’oppose à l’esprit du texte " Léotard " et à ses suites.

Il part de cinq attendus : il combat, je le répète, l’idée de fatalité, et ce qui s’est passé à Seattle est un atout de ce point de vue ; il considère la communication comme un besoin essentiel, comme un droit universel ; il appréhende la télévision comme un rapport social entre une société et son imaginaire, comme une représentation du monde que se donne, à certains moments, une collectivité - tout le contraire d’un instrument au service de pouvoirs politiques ou économiques ; il constate que la télévision, et pour longtemps encore, est la première pratique culturelle et de loisir des Français, qui lui consacrent en moyenne trois heures et demie par jour et qui, en tant que téléspectateurs, sont autodidactes ; il pointe que, aujourd’hui, la question de la régulation de la télévision se pose moins face au pouvoir politique que face au pouvoir économique - " un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se condamne à des libertés précaires ", déclaraient, dès 1987, les états généraux de la culture.

Tout cela, ainsi que la bataille pour l’exception culturelle - à laquelle vous avez tant pris part, ici et partout, avec détermination, madame la ministre - et le recul de l’idée de fatalité, poussent à poser avec réalisme la question d’un " nouveau code de la route ", d’un " code de la route de l’imaginaire des peuples ", qui a besoin d’élaboration locale, nationale, européenne et internationale, c’est-à-dire d’un
" sommet de Rio " de la pensée, de l’esprit et de la culture et je renouvelle ici la proposition que j’ai faite au Premier ministre, M. Lionel Jospin, qu’un tel sommet se tienne à Paris à la fin de 2000 ou au début de 2001.

Avant d’épeler notre texte de loi, abordons la question des nouvelles technologies, en proposant d’ailleurs de prendre la décision nationale d’entrer dans l’ère numérique.

Les nouvelles technologies occupent légitement le devant de la scène, mais aussi parfois comme un alibi.

On ne peut tout à fait légiférer sans tenir compte du numérique ou d’Internet, mais j’ai parfois l’impression d’être face à une conception téléologique de l’histoire : les technologies comme progrès continu, sans préciser de quel progrès il s’agit.

" Toujours plus fort, toujours plus loin, toujours plus vite, dans une course à la nouveauté permanente. "

" L’histoire de l’Art n’est pas l’histoire du pinceau ", disent les auteurs d’un beau et profond ouvrage, Cinéma et dernières technologies.

Les deux dimensions ne coïncident pas et l’alibi novateur de l’un sert de masque à la régression de l’autre. Les nouvelles technologies peuvent servir à l’idéologie de la table rase, à une approche magique de l’histoire balançant entre l’Apocalypse et la prophétie : les lendemains numériques qui chantent !

Je pense qu’il faut tenir le plus extrême compte des nouvelles technologies, mais les décideurs politiques que nous sommes doivent se garder d’être impliqués dans un déterminisme technique qu’ils structurent tout en le subissant : là comme en économie, il n’y a pas de fatale fatalité.

Je ne pense pas comme M. Minc, qui proclame : " Le marché est naturel comme la marée ", ni comme M. Madelin, qui déclame : " Les technologies sont naturelles comme la gravitation universelle. " Pour moi, marché et technologies sont des inventions humaines à maîtriser et non des faits surhumains à subir, et, à l’automne, les états généraux de la culture, en coopération avec le Métafort d’Auvervilliers, que vous soutenez, tiendront ici même un colloque international intitulé : " Technologies, culture et humanité ".

Alors, notre loi, qui va s’exprimer dans plusieurs amendements, en voici les grands traits.

C’est une loi en quinze articles, définissant une véritable responsabilité publique et sociale en matière audiovisuelle à tous les niveaux de la société, c’est une loi créant une dynamique de " publicisation ", construite comme une alternative à la
" mercantilisation " généralisée.

Cela signifie mixité public-privé, avec un pilotage par un puissant secteur public, par des finalités d’intérêt général et des critères d’efficacité sociale et économique appliqués à tous les acteurs, par la démocratie et la construction d’un espace public de la communication, c’est-à-dire par le mouvement social : les utilisateurs-citoyens, les professionnels, les créateurs et les personnels.

Pour enclencher cette responsabilité publique et sociale, processus éloigné de toute institutionnalisation, notre texte se veut une loi spécifique sur l’audiovisuel.

Une loi spécifique sur Internet doit venir en discussion, et le plus vite sera le mieux. L’IRIS, dans sa réunion du 27 mai dernier, a avancé des recommandations utiles, tout comme le sommet mondial de l’UNESCO, tout comme une lettre de seize importantes organisations professionnelles sur les droits de propriété littéraire et artistique, qui ne sont pas le copyright, monsieur Belot, qui rapportiez le texte au nom de la commission des finances.

Notre loi met au centre de tout les contenus et leur création, et c’est fondamental quelle que soit la technologie, la télévision comme la radio, qu’on oublie trop souvent.

L’audace de la création comme luxe de l’inaccoutumance et l’élan du pluralisme comme tension vibrante sont des enjeux de civilisation face à la situation actuelle où cette inaccoutumance, cette tension vibrante sont souvent aplaties, assagies, aseptisées, atomisées, pour ne pas dire dissoutes.

Liberté de création et de recherche - je milite notamment pour que soit stoppée la mutilation de cette dimension à l’INA... pluralisme des idées, des expressions, des esthétiques - les articles 3, 4 et 5 analysent en profondeur cette démarche comme une mission de service public, comme une exigence spécifique visant à éveiller les regards, mieux, à nourrir l’avenir du regard, avec en son coeur, pour tous, le troublant tumulte de l’histoire pluraliste des images, des connaissances, des créations et, parmi elles le cinéma, le théâtre... Tout cela contribue à créer l’espace où le " je " peut advenir un " je " se mêlant aux autres, un " je " pouvant accueillir plus d’une tendresse, en tout cas un " je " à la recherche d’un pluriel.

Nous sommes pour une télévision mutine, libérée du star system et de l’audimat. C’est à partir de cette démarche que nous voulons traiter, comme vous, madame la ministre, spécifiquement la chaîne
Sept-ARTE, expérience originale de confrontation à l’altérité, cette immense question contemporaine.

Bien sûr, tout cela implique l’exception culturelle, qui n’est pas un enfermement archaïque, mais une ouverture sans pareil, qui doit se fortifier et gagner des domaines comme la santé, l’éducation, l’environnement, le sport, le vivant, autrement dit faire passer l’homme et la femme avant le " fric " ! Mais cela implique une capacité de production et de création. C’est là qu’il faut bien mesurer les implications de l’accord AOL-Time Warner.

Ce groupe d’abonnés et de contenus à prétention et à réalité mondiales, bâti sur le péage et sur les portefeuilles de droits, a bien saisi l’importance de la question des contenus, mais à sa manière, celle du business, quitte à y ajouter des fleurs culturelles.

La France et l’Europe, trop constamment pingres jusqu’ici en ce domaine - le plan média, pour me limiter à lui, va bientôt être une " sucette " dans le contexte international - ont à faire un saut de pensée et un saut d’investissement.

Je pense d’ailleurs que M. Prodi aurait besoin de réfléchir à ce qu’il dit. Je le cite : " La force de la culture américaine est symboliquement exprimée par les mass media. Elle est en effet considérée par certains comme capable de constituer la référence unitaire de l’Europe à la recherche de son âme. Il n’y a rien de scandaleux dans cette hypothèse, notamment parce que les équilibres futurs du monde reposent sur une coopération toujours plus étroite entre l’Europe et les Etats-Unis dans les domaines de la politique, de l’économie et de la défense, ce qui présuppose une certaine affinité en ce qui concerne les grandes lignes des modèles d’intégration de la société. "

Moi, je pense avec Aragon que l’avenir
" c’est ce qui dépasse de la main tendue ", et je tends la main aux artistes américains comme aux artistes de tous les pays du monde. Mais M. Prodi, qui ignore superbement le Sud et l’Est, nous propose la politique de la main coupée, c’est-à-dire une politique sans avenir.

Je préfère m’en tenir à Lucien Febvre :
" L’Europe est une civilisation. Rien de plus mouvant sur terre qu’une civilisation, rien qui ne vive plus dangereusement. "

Vous comprendrez donc pourquoi notre article 9 est consacré au soutien de la production audiovisuelle nationale - je pense à la SFP, mais aussi à beaucoup d’autres choses - et notre article 11 à une politique européenne de la production et de la distribution.

Ici et en Europe, il faut " culbuter " les seuils de financement. Nous affirmons l’objectif d’intérêt national et d’intérêt européen de 1 % du PIB en cinq ans dans les industries du contenu. Produire des programmes audiovisuels, mais aussi des logiciels pour les programmes interactifs est un enjeu majeur, clé de l’avenir de l’audiovisuel.

Je sais, madame la ministre, que vous avez fait prendre un tournant au financement du service public. Il était en danger. Par rapport au PIB, nous étions au dernier rang européen avec la Grèce. Alors que le volume de production originale de fictions nationales diffusées a augmenté de 15 % en Allemagne entre 1996 et 1998, de 25 % en Angleterre et de 85 % en Espagne, il a diminué de 21 % en France.

Toutes les statistiques avancées lors de la réunion organisée au Sénat par nos collègues MM. Weber et Pelchat allaient dans le même sens.

Oui, vous avez commencé à corriger cette situation, mais il faut aller plus loin et plus vite, car l’annualité budgétaire précarise le service public. Je défendrai un amendement ayant pour objet de demander au Gouvernement la présentation, d’ici à un an, d’un rapport au Parlement visant à l’augmentation du financement de l’audiovisuel public. Si l’on pense au numérique, c’est décisif et incontournable.

Avant de conclure, je souhaite énumérer les dimensions de la démocratie que nous avançons : démocratisation du CSA - article 14 - en particulier de son conseil d’administration, dans lequel entreraient les artistes et les experts du quotidien ; création de comités régionaux de l’audiovisuel ; constitution auprès du CSA et des CRA de collèges consultatifs ; démocratisation des conseils d’administration des chaînes - article 13, article 8 - par la représentation des personnels, des usagers, des créateurs ; pour les sociétés privées, les salariés sont aussi représentés ; démocratisation des pratiques - article 8, article 1er, article 4. Cela va de la non-reconduction automatique - j’ai noté que vous l’aviez fait - des autorisations de conventions avec des opérateurs privés aux limitations à 25 % de la part du capital d’une entreprise du secteur audiovisuel à un même groupe, en passant par le pluralisme et ses garanties, et le bornage du droit à la concurrence par le principe supérieur d’exception culturelle.

Ajoutons le domaine du local et de ses enjeux pour la télévision en France, avec l’objectif de faire de la télévision avec les gens et non sur les gens. Dès décembre 1988, les états généraux étudiaient cette question en liaison avec leur charte de l’audiovisuel.

Le problème se pose encore plus avec le numérique hertzien. Nous devons réfléchir aux travaux de la coordination des médias libres créée en 1999, à l’expérience belge et à son articulation avec le service public. Le 31 janvier, un colloque permettra d’en débattre encore à l’Assemblée nationale. Faisons en sorte que la loi prenne en compte ce problème d’avenir en pensant à l’expérience contradictoire des radios libres, positive pour la démocratie participative et l’expression citoyenne, et négative avec la mise en réseau commerciale, ce qui implique la non-cessibilité des fréquences.

En conclusion, ma proposition de loi ose se libérer des seules règles d’un jeu qui ne serait qu’économiquement profitable et socialement tolérable, se nourrit de valeurs à l’heure exacte de la conscience, va au devant des désirs et plaisirs, des savoirs et vouloirs des citoyens et des créateurs. Elle veut que la pensée et l’imaginaire ne restent pas à quai, mais gagnent la haute mer, là où le vent est favorable à l’aventure humaine, dont la télévision est partie prenante dès qu’elle n’a pas l’imprudence de mépriser les rêves, qu’elle choisit autre chose que la morale du présent asservissante de l’énergie d’avenir. Cette proposition de loi tend à donner un départ nouveau pour la télévision.

Ces artistes des états généraux - dont je me fais le porte-parole - sont, diront certains, de doux rêveurs, des utopistes éloignés du terrain. Voilà douze ans que nos utopies reçoivent toujours confirmation du réel, dont l’une des composantes est l’action des artistes.

Mais, je le sais, cela ne peut pas venir de vous, madame la ministre.

Je me souviens, au moment du GATT, d’une délégation des états généraux au Parlement européen. Nous avions eu l’idée de reprendre la tradition strasbourgeoise du Moyen Age, quand étaient mis sur un bateau, au milieu du Rhin, ceux qui pensaient dans la marge. On appelait même ce bateau, pour fustiger ses passagers, " la nef des fous ". Vous nous aviez prêté, en tant que maire, citoyenne et militante de la culture, un bateau. Nous avions tenu colloque au milieu de l’Ill avant d’aborder le Parlement.

Aujourd’hui, au moment où s’ouvre à Biarritz le Festival international de programmes audiovisuels, le FIPA, avec la démonstration des étonnants talents qui existent dans le monde de la télévision ici et partout, par ma voix c’est un peu la même chose qui se passe et chacun et chacune sait bien que c’est la marge qui tient le texte.

Je paraphraserai Saint-Exupéry pour le mot de la fin. Si notre projet diffère du vôtre, madame la ministre, loin de le léser, il l’augmente.
Explication de vote

Au cours de la discussion du présent projet de loi, nous avons connu des moments d’intense confrontation, qui n’ont d’ailleurs pas été inutiles.

L’introduction du numérique, par exemple, a donné lieu à un vrai débat : rien n’était écrit, nous nous trouvions confrontés à un problème commun que nous avons essayé, passez-moi l’expression, de nous " coltiner ". Que nous ayons eu ce débat constitue un petit atout qui, s’ajoutant au rapport que le Gouvernement nous a transmis, facilitera l’approfondissement de la question et donc le choix des mesures adéquates au moment de la deuxième lecture.

L’idée qui constamment m’anime, c’est celle de la responsabilité publique. Incontestablement, cette notion progresse dans le monde. Par exemple, j’étais samedi et dimanche derniers - j’en ai d’ailleurs averti Mme la ministre - à la réunion qui s’est tenue à Rome et au cours de laquelle a été décidée la création d’un espace consacré au cinéma latin. Outre de nombreux pays d’Amérique latine s’y trouvaient représentés les pays de culture latine que sont la France, l’Espagne, le Portugal et l’Italie. La nécessité d’une coopération internationale ouverte et multipolaire a fait l’unanimité et le texte voté à l’issue de cette réunion y insiste ; sa régulation devrait être proposée à l’OMC après avoir été élaborée dans une autre entité internationale pour qui marchandise et culture ne sont pas une seule et même chose.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant notre assemblée l’appel de Nouméa pour la diversité culturelle, appel signé de Mme Tjibaou et de M. Vergès.

On peut y lire que la diversité, qui fait la richesse de la culture humaine au-delà des frontières et à travers les siècles est menacée ; à l’heure, en effet, de la mondialisation du marché et des échanges, l’uniformisation d’une production de masse et des modes de vie de plus en plus soumis aux contraintes du marché menacent les expressions multiples de la créativité humaine.

Puis, à l’issue de la table ronde des ministres de la culture à laquelle, madame la ministre, vous avez non seulement participé, mais dont vous avez été l’initiatrice, le texte, qui a été voté par cinquante-trois pays, reconnaît que la culture ne saurait avoir la deuxième place par rapport à l’économie.

J’évoque enfin la coalition pour la diversité culturelle au Canada, dont les conclusions sont de même nature et revêtent même une verdeur dont les trois premiers textes que j’ai cités sont dépourvus. J’ai par ailleurs relevé, dans Le Monde d’hier, dans un dossier sur le libéralisme, la phrase suivante : " philosophie de liberté, la théorie libérale souffre d’avoir oublié son éthique et d’imposer un modèle unique au mépris des cultures et des Etats ". Dans Les Echos, Oskar Lafontaine, l’un des leaders du socialisme allemand, soutenait cette même thèse.

Tout cela m’amène à penser qu’un espace public est en train de se créer dans le monde, espace qui devrait devenir une référence.

Je n’emploie pas ici le mot " libéralisme " avec agressivité. Seulement, le libéralisme a une histoire et, en ce moment, il se caricature lui-même. Ce qui m’a gêné dans notre débat - qui, par ailleurs, je l’ai dit, a été riche, et a donné lieu à l’examen d’amendements intéressants venant de différents groupes - c’est précisément que cette caricature domine et qu’elle imprègne le texte issu de nos travaux.

Par exemple, s’agissant des missions de service public, on fait du rapport entre l’Etat et le secteur public un rapport d’argent. Or, lorsqu’on parle de
" mission ", on vise un rapport d’éthique et nous sommes dans des sociétés de conscience.

A l’article 2, il n’est plus question de la constitution d’un pôle industriel permettant d’intégrer les nouvelles techniques de diffusion et de production. Cela me gêne beaucoup aussi ! Cet apport de l’Assemblée nationale m’intéressait en effet. Dans le même temps, le rattachement de la SFP
- c’est le dernier outil qui nous reste - n’est pas acquis.

A l’article 5, les missions de recherche et de production de l’INA sont supprimées.

A l’article 7, c’est le monopole de TDF qui disparaît.

Par un article additionnel avant l’article 20, il est prévu que seulement deux des six multiplex envisagés pour le numérique hertzien soient attribués au service public.

Sur l’article 26, je cite un commentaire de notre rapporteur : " dans la rédaction résultant des amendements adoptés par l’Assemblée nationale, l’article 26 du projet de loi soumet l’exploitation des réseaux câblés à un régime d’économie administrée incompatible avec le contexte fortement concurrentiel de l’économie du câble ".

En vérité, c’est ce mot " concurrence " qui ne peut gouverner le monde ! L’exception culturelle est un principe supérieur à la concurrence. La concurrence tue toujours et, en général, elle tue le petit. Or la création est toujours petite quand elle émerge.

Enfin, à l’article 28, il est prévu que le CSA a la liberté d’apprécier le degré de gravité d’un manquement justifiant le lancement de la procédure de sanction. Quand il " prend " cette liberté, le CSA, bien évidemment, apprécie la loi, mais l’expérience récente nous montre qu’il faut être ferme : il faut dire le droit.

Ce sont là des questions qui me travaillent l’esprit et des principes sur lesquels il faut fonder le débat dans ce domaine si capital.

Ainsi, le 15 février, à Genève, les négociations de l’OMC vont reprendre, et, bien évidemment, j’espère que la voix de la France, qui a tant porté à Seattle, où Mme la ministre a défendu notre dignité nationale et notre vocation internationale, aura le même écho. C’est possible si l’on en juge par le dernier amendement que nous avons examiné.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Ralite !

M. Jack Ralite. Cependant, ce soir, sa voix n’a pas beaucoup d’écho (Sourires) et je ne peux approuver le projet de loi qui nous est soumis dans sa forme actuelle.

A l’extérieur de notre assemblée, je vais, avec d’autres, me battre pour qu’il s’améliore, qu’il épouse la nouvelle technologie, mais sans se laisser maîtriser par les forces de l’argent, en oubliant les hommes et les femmes.

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