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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Liberté des universités

11 juillet 2007

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Chers Collègues,

On peut s’interroger sur le caractère prioritaire de ce projet de loi. Avant même de se pencher sur les questions de l’organisation et de la gouvernance de l’université, il aurait été bon que le Parlement puisse débattre des finalités et des enjeux de l’enseignement supérieur. Ces questions essentielles, qui dépassent très largement le seul cadre de l’université, méritaient d’être au centre des réflexions. Autrement dit, il aurait été sage de définir le fond avant la forme... Même si la forme, c’est le fond qui remonte à la surface.

Par ailleurs, le premier problème de l’enseignement supérieur ne me paraît pas être son mode d’organisation mais bien le taux élevé d’échec à l’université. Aussi la première « brique » législative de la vaste réforme de l’université annoncée par le gouvernement aurait dû être consacrée aux réponses susceptibles d’améliorer significativement les chances de succès de chaque étudiant. La priorité des priorités reste le traitement de l’échec.
Sans oublier l’ampleur et la diversité des problèmes auxquels est confrontée l’université : taux d’échec élevé des étudiants en premier cycle, difficultés d’insertion professionnelle pour de nombreux jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, baisse significative des effectifs dans les disciplines scientifiques, insuffisance du nombre d’inscrits en master recherche - ce qui est particulièrement préoccupant pour l’avenir de notre pays -, manque de visibilité au niveau international, sans parler de la vétusté de ses locaux ou de l’indigence de ses moyens. Tout cela nécessitait des mesures d’urgence.

Pour répondre à la crise du système de l’enseignement supérieur et de recherche, il fallait une réforme ambitieuse capable d’impulser un nouvel élan au service public des universités. Le gouvernement s’était d’ailleurs engagé à faire de cet enjeu, je le cite, « la réforme la plus importante de la législature ». Force est de constater que nous sommes encore bien loin du compte même s’il est vrai que ce projet de loi comporte quelques dispositions intéressantes. Toutefois, ce texte n’est pas anodin. Il s’inscrit pleinement dans une perspective de refonte de l’enseignement supérieur et de la recherche s’appuyant sur une vision étroitement utilitariste que dessinait déjà le Pacte pour la recherche.

Cela dit, l’autonomie fait partie des éléments qui peuvent contribuer à l’émergence d’une université du 21ème siècle. Encore faut-il que cette autonomie ne contredise pas la gestion collégiale et démocratique de l’université. De même, l’autonomie des établissements ne doit-elle pas exister dans un cadre national où chaque université est soumise aux mêmes règles et dispose des moyens nécessaires lui permettant de mener ses missions à bien ? Si le terme « autonomie » fait consensus, pour les universités comme pour les organismes, le contenu que chacun y met est très variable...

Renonçant à élaborer, avec l’ensemble de la communauté universitaire, un projet global intégrant toutes les composantes de l’enseignement supérieur (universités, grandes écoles, IUT, STS) et de la recherche (universités et organismes de recherche), le gouvernement a choisi de soumettre au Parlement plusieurs textes thématiques. Le premier, consacré à la gouvernance et aux nouvelles compétences de l’université et rebaptisé, en dernière minute, PJL relatif aux libertés des universités, a, de toute évidence, été rédigé à la hâte, sans donner du temps au temps. Et que dire de l’urgence déclarée pour ce texte... On est loin de la volonté affichée de revaloriser le rôle du Parlement.

La détermination de la CPU, des étudiants et des personnels de l’université aura permis d’amender significativement un texte qui, dans sa première mouture, était totalement désastreux en même temps qu’il était révélateur : l’autonomie optionnelle telle qu’elle se profilait aurait indéniablement renforcé les disparités dans un système d’universités déjà à plusieurs vitesses. Le paysage universitaire aurait alors été constitué de quelques rares pôles d’excellence, richement dotés, existant aux côtés de nombreux établissements de second rang contraints, au quotidien, à gérer la pénurie.

Si l’émergence d’un système extrêmement concurrentiel demeure toujours possible, l’intervention de la communauté universitaire aura permis de placer quelques garde-fous pour prévenir d’éventuelles dérives vers une telle organisation de l’enseignement supérieur. Elle aura permis d’en préserver le cadre national et le caractère indivisible. Le monde universitaire aura réaffirmé avec force que, pour reprendre les termes de la CPU, « toutes les universités ont vocation à atteindre l’excellence ».
Ceci étant, on ne répétera jamais assez que l’un des enjeux de toute réforme de l’université, c’est la réussite des étudiants. Je regrette que cette question, par ces temps de révolution conservatrice, n’ait pas été traitée de manière prioritaire. Combattre l’échec à l’université suppose de mener une politique éducative ambitieuse dans l’enseignement supérieur mais aussi dans le premier et le second degré. L’université constitue en effet l’ultime maillon d’une chaîne qui commence dès la maternelle. Assurer l’égalité des chances de chaque jeune, lui permettre d’accéder à l’enseignement supérieur et créer les conditions pour qu’il y obtienne un diplôme nécessite d’engager un effort considérable pour l’Education nationale, à tous les niveaux. Ces derniers jours, le Président de la République a déclaré : « la grande priorité, c’est le défi de la connaissance, c’est l’éducation ». Dans les faits, c’est la logique comptable qui prévaut et non l’analyse des besoins et des missions. C’est ainsi qu’à la rentrée 2008, 10.000, voire 17.000, postes supplémentaires seront supprimés. L’Etat s’engage encore un peu plus sur une voie dangereuse pour l’avenir : les économies, entre guillemets, réalisées aujourd’hui, la Nation risque de les payer cher demain.
J’en reviens au texte. Celui-ci prévoit une systématisation du contrat pluriannuel d’établissement. Cependant, aucune disposition ne garantit que l’Etat demeurera le principal financeur de l’université. A l’inverse, de nouvelles mesures visent à encourager le mécénat d’entreprises. Les universités sont donc fortement incitées à recourir à l’aide du secteur privé. Le président de la République est sur ce point très clair : il indiquait en janvier dernier que la réforme avait notamment pour objectif d’« associer directement l’entreprise à la gouvernance et au financement des universités ».

Si l’ouverture au secteur privé est en soi acceptable, et je dirais même souhaitable, elle ne peut s’accompagner d’un désengagement de l’Etat et surtout venir au secours des fins de mois difficiles d’un Etat nécessiteux. Toute remise en cause du financement public engendrerait une concurrence exacerbée entre établissements. En outre, l’université, devenue dépendante de l’aide financière des entreprises, courrait le risque, à brève échéance, de voir celles-ci exercer un droit de regard sur le contenu des formations et sur l’orientation des étudiants. Un désengagement de l’Etat se traduirait également par l’assèchement progressif de la recherche dans un certain nombre de disciplines, en particulier dans les sciences humaines et sociales qui apparaissent comme les moins rentables d’un point de vue économique. Car toutes les disciplines ne sont pas à égalité lorsqu’il s’agit d’attirer des investissements privés...

L’indépendance de l’université, l’enseignement par et pour la recherche, dans toutes les disciplines, à chaque cycle, dépendent bien du soutien de l’Etat. Pour être ambitieuse et répondre aux problèmes des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, l’autonomie doit s’accompagner d’un effort financier sans précédent de l’Etat leur permettant d’assurer leur mission première de production et de diffusion du savoir scientifique. Et cet investissement massif dans notre enseignement supérieur devrait se concrétiser dès cette année ; la mise en place d’un collectif budgétaire est indispensable de même qu’une véritable loi de programmation pluriannuelle des moyens de l’université.

Autre disposition du projet de loi qui suscite les plus vives critiques de la communauté universitaire : le recrutement des enseignants- chercheurs, en un mot, la création, par le conseil d’administration, de comités de sélection. Selon la conférence permanente du conseil national des universités, la mise en place d’un tel système, je la cite, « porterait atteinte au principe du recrutement par concours, de la collégialité et au principe constitutionnel d’indépendance des professeurs d’universités ». On peut en effet s’interroger sur la légitimité du recrutement opéré par des comités créés par des CA qui ne pourront compter des spécialistes de chaque discipline.

Seule une structure, reconnue dans chaque discipline, est en mesure d’opérer le recrutement des futurs enseignants-chercheurs sur la base d’une évaluation objective de leurs qualités universitaires.
Nous ne pouvons certes nous satisfaire de la procédure actuelle qui connaît de nombreux dysfonctionnements. La majorité des enseignants - chercheurs souhaite réformer un système marqué par l’endogamie excessive des commissions de spécialistes qui engendre parfois des comportements clientèlistes.
Ne serait-il pas judicieux de créer des commissions spécialisées à un niveau inter-régional. De telles commissions, composées en grande partie d’enseignants de la même discipline que le postulant, présenteraient le double avantage d’atténuer le localisme tout en restant proche du terrain.

Autre question de fond soulevée par ce texte : l’avenir du statut de l’enseignant-chercheur qui, à l’heure actuelle, demeure un agent de la fonction publique d’Etat. La « liberté » de recrutement d’agents contractuels pour des emplois d’enseignement et de recherche accordée au président ouvre la porte à la remise en cause progressive de ce statut. D’autant que ces contractuels pourront être embauchés en CDD mais aussi en CDI... De plus, dans un contexte de non remplacement des fonctionnaires qui partent en retraite, cette possibilité de recruter des agents contractuels laisse craindre, à court terme, une réduction de la dotation des universités en personnels.
Il ne s’agit pas là d’une question secondaire, d’ordre corporatiste : le statut des enseignants-chercheurs garantit leur indépendance intellectuelle et scientifique. En outre, face à la tentation permanente de vouloir dissocier recherche et enseignement supérieur, il est indispensable de maintenir la double qualité de ces personnels : ceux-ci sont à l’origine de la production de nouvelles connaissances et ont vocation à diffuser le fruit de leurs travaux.

Par ailleurs, la stabilité offerte par le statut de fonctionnaire de l’enseignant - chercheur contribuait à rendre ce métier attractif. La disparition progressive de ce statut risque d’entraîner les plus brillants à se détourner de la recherche universitaire, déjà peu gratifiante du point de vue du revenu.
Outre ces nouvelles prérogatives en matière de gestion de ressources humaines, les présidents d’université disposeront de pouvoirs étendus dans le cadre de la rénovation de la gouvernance. Si certaines dispositions sont recevables, d’autres contredisent ouvertement les principes de collégialité et de fonctionnement démocratique de l’université. Ainsi en est-il par exemple de cette espèce de droit de veto conféré aux présidents en matière d’affectation des personnels. L’autonomie ne saurait en aucun cas s’accommoder d’un renoncement à la démocratie universitaire. De même, l’université ne peut se définir contre ses étudiants et ses personnels. Dans cet esprit, il est souhaitable que les conseil scientifique et conseil des études et de la vie universitaire voient leur rôle propositionnel maintenu. Il est indispensable que le conseil d’administration soit représentatif de toute la communauté universitaire et que le président demeure élu par les trois conseils, ce qui lui confère une plus grande légitimité.

Avant de conclure, une remarque sur la carte universitaire, totalement absente du PJL. Dans le cadre d’une grande réforme, il aurait été pertinent de créer les conditions d’une réflexion sur l’éclatement du paysage universitaire. Nombre d’établissements n’ont pas la masse critique leur permettant d’échanger, dans les meilleures conditions, avec les universités étrangères. N’était-ce pas là l’occasion de penser à une réorganisation, sous forme de pôles régionaux (indépendamment des PRES) qui favoriserait l’émergence d’universités, couvrant tous les champs disciplinaires. Une telle concentration aboutissant à une rationalisation, notamment de la carte des formations, ne constituerait-elle pas une amélioration dès lors qu’elle n’engendrerait pas de difficultés d’accès pour les étudiants. Cela contribuerait à renforcer la visibilité du système d’enseignement supérieur et de recherche national tout en mettant fin aux rivalités qui s’expriment entre les établissements co-existant sur un même territoire. Il est vrai que la communauté universitaire demeure divisée sur cette question. Une chose est sûre : elle doit être consultée préalablement à toute réforme dans ce domaine.

Madame la Ministre, nous estimons qu’il est grand temps de rendre à l’enseignement généraliste, scientifique et humaniste, dispensé par l’Université, toute sa place dans notre pays. La richesse et la diversité de la formation initiale, en lien permanent avec la recherche, constituent en effet des atouts majeurs face aux défis que suscite un environnement économique en permanente transformation. Le XXIème siècle réclame des jeunes dotés d’une culture large et pluri-disciplinaire. L’autonomie de l’université, mise en oeuvre dans un cadre national est plus que souhaitable. Elle doit se fonder sur un mode de gestion collégial et démocratique, dans un réel esprit de service public qui a toujours fait sa grandeur. La responsabilité publique nationale doit être pleine et entière. C’est dans cet esprit constructif que le groupe CRC a déposé des amendements. Il faut cesser de chanter tels les choeurs de l’opéra « Marchons, marchons » tout en restant sur place. Notre vote dépendra du sort réservé à ces amendements. Pour le moment, disons que notre position est plus que réservée.

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