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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Mécénat culturel : deuxième lecture

Par / 21 juillet 2003

par Jack Ralite

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

Vous connaissez la position d’abstention qu’Ivan Renar et moi-même avons exprimée ici même au nom de notre groupe, lors de la première lecture du présent texte ainsi que la justification que nous lui avons apportée. Cette position ne change pas et j’en rappelle les raisons.
Premièrement, c’est une bonne chose, ô combien, de chercher à obtenir davantage de crédits !

Deuxièmement, dans un contexte de déresponsabilité publique en matière de culture et d’art - et tout ce qui se passe actuellement démontre que notre crainte exprimée en mai était fondée - ce geste positif peut se transformer en geste négatif.

L’objet du projet de loi, par delà les associations et les particuliers, vise à apporter une aide aux entreprises afin qu’elles investissent plus dans l’art.
C’est un texte fiscal, visant à une modification du code général des impôts.

C’est un texte que la commission des affaires culturelles n’a eu à connaître que du bout des lèvres, pour ne pas dire du bout de l’esprit.

C’est un texte financier et économique, ce n’est pas un texte culturel, c’est un texte visant à aider les entreprises, notamment celles qui adhèrent aux Medef, dont l’actuel pilote conduit par ailleurs à l’égard des artistes, une politique méprisante et de régression sociale.

Ainsi, d’un côté, le gouvernement fait un geste positif, que je soutiens, en direction des entreprises, avec des conséquences incertaines pour la culture. De l’autre côté et en même temps, le Medef, du haut de son ciel bancaire fait un acte à cran d’arrêt aux conséquences assurées contre les femmes et les hommes, artistes et techniciens intermittents du spectacle, qui contribuent à cette dimension essentielle de la culture qu’est la création.

Vous comprendrez donc que, si nous discutons aujourd’hui du modeste élément positif et espéré du projet de loi, je veuille pour ma part m’arrêter un vrai moment sur l’élément négatif que constitue l’accord du 26 juin sur le régime d’assurance chômage des professionnels intermittents du spectacle, y compris son avenant n° 1, signé par des syndicats très minoritaires et que le gouvernement s’apprête à agréer.

A la suite des réflexions et des actions auxquelles j’ai participé, à Paris, à Avignon et à Hérisson dans l’Allier, je suis conduit à développer six idées.
Premièrement, cet accord est mauvais. Je l’ai dit dès le début. Je vois qu’aujourd’hui nombre de ceux qui l’avaient jugé bon, reviennent sur l’idée qu’ils avaient émise en premier. Je pense à un certain nombre d’artistes qui ne l’avaient pas vraiment étudié.

Pourquoi s’agit-il d’un mauvais accord ? Je m’en suis ouvert notamment dans une lettre du 7 juillet à votre collègue Monsieur François Fillon, dont je vous ai adressé une copie la semaine dernière.

J’ai, en effet, rencontré une jeune intermittente de la région Champagne-Ardennes, Nathalie Charbaut, très fine connaisseuse et analyste des textes régissant sa profession. Après s’être entretenue avec un avocat, un juriste et de hauts responsables des administrations culturelles et sociales, elle m’a fait part d’une atteinte au principe constitutionnel d’égalité de traitement d’un homme et d’une femme dans une situation comparable.

Sur un tableau qu’elle a disposé dans la cour de la Maison Jean Vilar, elle a « décortiqué » deux cas de « créateurs lumière » ayant un statut tout à fait comparable, pour leur réadmission aux annexes VIII et X. Je parle de situations complètement comparables, car il s’agit de la même période donnée, même date initiale, même travail, même rémunération, même nombre d’heures de travail, même franchise, mêmes jours de différés, même montant du salaire journalier de référence. Elle a découvert que l’un sera réadmis avec 512 heures et que l’autre sera exclu avec 504 heures.

La raison serait que si chacun d’eux a travaillé en mars neuf jours, dont huit identiques selon le calendrier, le neuvième jour a été le 31 mars pour le premier et le 20 mars pour le second.
La question se pose donc en ces termes : est-ce dû au hasard ? Est-ce dû à un texte non maîtrisé ? Est-ce dû à une rédaction quelque peu diabolique ?

Toujours est-il qu’il y a discrimination de traitement. Dans ces conditions, le texte agréé peut être frappé d’illégalité, d’autant qu’entre l’agrément et la Constitution, aucune loi ne fait écran.
Oui, le risque de contentieux et de saisine du tribunal administratif existe. Il serait donc sage, me semble-t-il, de ne pas donner l’agrément. Tel est mon premier argument.
Deuxièmement, cet accord constitue une expérimentation préoccupante du point de vue législatif. Je rappelle qu’il s’agit d’un agrément.

Or, j’ai écouté sérieusement et avec respect l’intervention du Président de la République le 14 juillet dernier. Dans son propos, il a notamment déclaré que, pour l’élaboration des lois, il ne fallait plus procéder comme jusqu’à présent, c’est-à-dire s’appuyer - je développe sa pensée - sur l’initiative politique, qu’elle émane du législateur, de partis politiques, de syndicats ou, qu’elle soit d’initiative populaire mais, que cette élaboration devra résulter d’un accord entre partenaires sociaux. En l’occurrence, avec cet accord, nous sommes confrontés à un cas typique de cette nouvelle démarche.
Dès lors, se pose une question : quand il s’est agit de la peine de mort, ou aurait été l’accord entre les partenaires sociaux ?

Avec cet exemple, il y a basculement vers ce que l’on pourrait qualifier d’ « américanisme » qui tend à ériger le pouvoir économique en seul émetteur d’idées, voire d’idéologie. Nous sommes à un tournant historique, tel est mon deuxième argument.

Troisièmement, il me semble que c’est un nouveau pouvoir donné au Medef et à la financiarisation. A Avignon, le Crédit local de France, comme chaque année, a tenu des assises qui ont été fort suivies, avec pour thème « le politique et les marchés financiers ». J’y ai assisté.
L’orateur introduisant le débat a dit que le politique doit avoir conscience des contraintes qu’expriment les marchés financiers et doit donc en tenir compte. Par ailleurs, il a ajouté que le politique ne doit s’occuper que des questions dont les marchés financiers ne s’occupent pas.

Autrement dit, c’est l’empire de la nécessité, ce qui est tout le contraire de l’art, dont les créations visent à s’échapper de cet empire et à créer du sens.
L’affaire Vivendi Universal - ce n’est qu’un exemple - nous a rappelé qu’actuellement la financiarisation, avec l’intégration verticale et la déréglementation, c’est, en premier lieu, la capitalisation. Vivendi en était arrivée à 120 milliards de dollars de capitalisation.

En deuxième lieu, la financiarisation c’est la recherche de la valeur placée au cœur de l’activité, c’est le fameux BIDTA, c’est-à-dire les résultats d’exploitation avant intérêts, impôts et investissements.
En troisième lieu, la financiarisation c’est la concentration de valeurs aux deux pôles : portefeuille de droit d’un côté, portefeuille d’abonnés de l’autre.
Enfin, en quatrième lieu, la financiarisation c’est la concentration du pouvoir autour des actionnaires, même pas des managers (on l’a vu pour Monsieur Jean-Marie Messier) des actionnaires notamment institutionnels, les banques, les assurances, les fonds de pension.
Vous voyez qu’à partir de l’accord du 26 juin et son rejet populaire, on comprendra que pour citer l’un des fondateurs du festival d’Avignon, René Char, « La réalité ne peut être franchie que soulevée ». C’est ce qui se passe actuellement dans notre pays.

J’en viens à mon quatrième argument. L’accord du 26 juin représente une évolution par rapport aux relations entre le pouvoir et les artistes. Jean Vilar, dans une lettre fameuse à André Malraux en 1968, parlait de « mariage cruel ». Il a même utilisé l’expression « danse de mort ». Mais tenons-nous en au « mariage cruel ». Nous y sommes avec, actuellement, pour le pouvoir, un avantage, si j’ose dire : le mot « gestion » a remplacé le mot « liberté ». Le mot « gestion » pénètre, bardé de statistiques, dans les esprits comme un cheval de Troie et réussit parfois à empêcher la pensée d’une alternative. Or, il en faut une.

Et c’est mon cinquième argument. L’accord du 26 juin oblige à repenser la politique culturelle. Et c’est tout de suite, bien sûr, qu’il faut renégocier cet accord qui n’a pas, comme le dit le gouvernement, sauvé les annexes. Le Sénat avait voté, l’Assemblée nationale également, un texte de loi qui garantissait les annexes tant qu’il n’y aurait pas un accord. Mais il n’y a pas d’accord sans agrément gouvernemental. Tant qu’il n’y a pas d’agrément, il y a donc toujours un texte sauvé, si l’on peut dire.
Je veux insister là, sur la nécessité de repenser les rapports « création-société ».

Cette question est aujourd’hui au cœur de la politique culturelle. Pour me souvenir de Vilar, il était inquiet, et nous donc ! de ce qu’il appelait « l’enfarinement du savoir ». Il était inquiet de la « médecine d’un soir ». Il était inquiet du « pire et du meilleur ». Dans une lettre à André Malraux en 1968, il fustigeait cette « société triste et sans esprit, parce qu’on ne lui donne qu’à penser fric ».

C’est la question ! Nous devons dire si nous voulons ou non une société de pensée et d’imagination. Nous devons dire quel doit être le statut de l’esprit dans notre pays. C’est un problème, non pas de compte d’exploitation, mais de civilisation.

On parle beaucoup du public en ce moment, eh bien pensons-y - Spinoza disait ceci : « pourquoi les gens courent-ils vers la servitude, alors qu’ils croient aller vers leur salut ? » Immense question dans la culture.
J’en aurai fini en disant mon sixième argument, c’est une question qui porte un coup à l’exception culturelle !
On nous dit que nous avons le meilleur système du monde. Alors, pourquoi le blesser, l’ébrécher, le remettre en cause ? Je pense qu’il est le meilleur, moins par sa configuration, que par l’esprit qui l’anime.
Nous qui sommes les porte-parole de l’exception culturelle, il faut que nous soyons logiques au-dedans comme nous le sommes au-dehors.
Encore que…

Je souhaite formuler une remarque à la suite de l’intervention du Président de la République. Il s’est félicité - je serais le dernier à ne pas le faire - que la convention préfigurant la Constitution européenne ait finalement retenu le vote à l’unanimité. Encore qu’il faille un vote de confirmation des pays membres.
Je crois cependant que des garanties sont à exiger car la règle sera la majorité qualifiée. L’unanimité ne sera requise que si l’on considère que la diversité culturelle est menacée. Nous avons encore à nous battre et à travailler sur ce point. Le Sénat s’honorerait s’il organisait le débat que je demande de tenir depuis un certain temps.

En conclusion, je dirai que personne ne doit se faire d’illusion : l’unité est profonde chez les artistes et les techniciens, car elle a cheminé et s’est construite sur bien des débats. En effet, en Avignon, ceux qui voulaient arrêter ont pleuré et ceux qui ne voulaient pas arrêter ont également pleuré. Pour moi, c’est un élément de santé publique et de santé individuelle qui résiste à la désespérance.

Les artistes et les techniciens en mêlant et croisant leurs différences contribuent - c’est une de leur raison d’être - à bâtir une nouvelle responsabilité publique en culture et en art. « La culture est un bien public, sa responsabilité doit l’être aussi », disions-nous dans un texte que j’ai publié avec le philosophe Jean-Luc Nancy qui, à ce jour, a recueilli 900 signatures, dont celles de 300 universitaires.

Bien évidemment, tout cela ne relève pas du mécénat mais, n’est-ce pas une contribution au mécénat de l’esprit.

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