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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Modernisation audiovisuelle et télévision du futur (2)

21 novembre 2006

À l’heure où l’image occupe une place grandissante dans notre quotidien, les aspects techniques de ce projet de loi - T.N.T., haute définition, télévision mobile personnelle - ne doivent pas masquer les conséquences qu’il emportera au plan culturel, économique et politique. S’il est toujours bon de chercher à améliorer l’efficacité des « tuyaux », la question de leur contenu reste primordiale. Parce que la télévision influe sur notre perception de la réalité et participe à la construction de la mémoire collective, c’est à la qualité et aux conditions de création du patrimoine audiovisuel que, placé devant un défi majeur, le législateur doit veiller. Ce projet de loi devrait ainsi chercher à consolider l’exception culturelle, menacée par les lois du marché.

Aussi, plutôt que de légiférer dans l’urgence, il eût été nécessaire de prendre le temps de la réflexion pour élaborer une loi vraiment porteuse d’avenir. Rien ne justifiait que le gouvernement déclarât l’urgence sur ce texte, pas même l’Union européenne qui a fixé à 2012 le passage à la diffusion numérique. La France n’est pas en retard. Pourquoi ne pas avoir engagé auparavant un débat public sur la question sous la forme d’assises réunissant tout les acteurs concernés et débouchant sur la création d’un observatoire national du multimédia et de l’audiovisuel du futur, comme l’a préconisé M. Ralite ? Face à la complexité des enjeux, le législateur doit prendre le temps de l’analyse et veiller à ce que la technique ne l’emporte pas sur la pensée, la quantité des contenus sur leur qualité et les intérêts des puissances financières sur l’intérêt général.

On dit parfois du petit écran qu’il est une fenêtre ouverte sur le monde et ce monde, comme disait Sartre, « peut-être en est-il des plus beaux mais c’est le nôtre ». Il y a mille façons de l’observer et de le décrypter. C’est cette pluralité dont nous avons besoin pour construire une société plus humaine. Or de rachats en fusions, nous assistons à un processus de concentration dans le domaine des médias. Objet des manœuvres des grands groupes financiers, la télévision est de plus en plus destinée à gagner de l’argent grâce aux recettes publicitaires et à la vente des produits dérivés. Est-ce une fatalité qu’elle soit vouée à « vendre du temps de cerveau disponible » ? Non ! Malheureusement, le projet de loi n’est pas suffisant. Il favorise les grands opérateurs et leur logique de l’audience. Ces grands groupes qui tirent leur pouvoir financier de la manipulation des pulsions, dans une sorte de populisme industriel. Et pourtant l’État s’engage à accorder une chaîne supplémentaire à TF1, Canal + et M6, les chaînes qui se sont pourtant battues avec le plus d’acharnement contre le passage à la T.N.T. Cadeau scandaleux, d’autant que ces chaînes privées réaliseront de substantielles économies grâce au nouveau mode de diffusion numérique.

À terme, ces « canaux bonus » deviendront des « canaux malus » pour le pluralisme et la diversité, l’attribution de ces chaînes supplémentaires fragilisant la situation économique des nouveaux entrants et du service public.

Le monopole dans le domaine des médias constitue un danger pour la démocratie. Or, les verrous anti-concentration sont quasiment absents de ce texte.

Comme l’observe le philosophe Bernard Stiegler, il revient aux citoyens de court-circuiter le règne de la « télécratie », de réhabiliter la valeur esprit.

La question des contenus est au cœur de toute politique audiovisuelle digne de ce nom. Or, le gouvernement, en se bornant à offrir plus de chaînes gratuites aux téléspectateurs avec le passage au numérique, privilégie la quantité, comme si elle garantissait à elle seule le pluralisme et la diversité ! L’ambition de ce texte est de faire de la France « l’un des pays les plus avancés dans le domaine numérique ». Mais quel intérêt y a-t-il à diversifier les modes de diffusion si c’est pour servir aux téléspectateurs de tristes produits de consommation ? La course effrénée à l’audience est synonyme de censure, censure de l’imaginaire, de l’innovation, de l’audace, de formatage de la pensée. Einstein ne disait-il pas : « Pour marcher au pas, le cerveau est superflu, la moelle épinière suffit » !

La multiplication des canaux va pousser les chaînes de la T.N.T. à une guerre sans merci pour s’arracher des parts d’audience, et la dictature de l’audimat va conduire à un appauvrissement des contenus.

Rien n’indique que les opérateurs privés auront la volonté d’investir dans de nouveaux programmes et ce texte n’institue aucun cadre visant à promouvoir une création audiovisuelle féconde, audacieuse et plurielle.

Plus grave le droit d’émettre sera prorogé pour les chaînes qui acceptent une abrogation anticipée de leur autorisation analogique. Cette condition n’est assortie d’aucune obligation quant aux contenus des programmes.

Ainsi, les mots « fictions françaises et européennes, documentaires, films, création, auteurs, artistes, spectacles vivants » sont absents de ce texte alors qu’ils devraient en être le cœur vivant, le cœur battant. Notre premier devoir n’est-il pas de protéger les œuvres et de consolider les sources de financement ?

Le groupe France télévisions possède de réels atouts : les citoyens sont attachés au service public audiovisuel qui possède un inestimable savoir-faire dans la production culturelle et artistique. Face à des opérateurs privés, l’engagement de l’État actionnaire est déterminant et, sans volonté politique, le groupe risque la marginalisation. Il ne s’agit pas de jouer les Cassandre. La difficulté avec laquelle le contrat d’objectifs et de moyens de France télévisions a été bouclé n’est pas pour nous rassurer. Le projet de loi de finances pour 2007 confirme l’insuffisance des moyens alloués au secteur public de l’audiovisuel.

Comment imaginer une télévision du futur sans service public fort, offensif, capable de rivaliser avec les grands groupes privés ? La généralisation du numérique, dans le cadre d’une Union européenne acquise aux principes du libéralisme, ne représente-t-elle pas un réel danger pour le service public ? La nouvelle directive européenne « télévision sans frontières » qui vise à assouplir les règles sur la publicité confirme cette menace. La télévision de service public reste une référence.

Les débats à venir concernant le projet de loi de finances pour 2007 - le développement de la T.N.T. ; le surcoût de la couverture des zones d’ombre ; l’équipement pour la haute définition et le rendez- vous stratégique avec la télévision mobile personnelle ; l’inflation du prix des contenus comme le sport et le cinéma - mettront en relief cette logique de restriction budgétaire qui conduit à l’asphyxie du service public.

La redevance audiovisuelle, la moins élevée d’Europe, n’a pas été augmentée, elle est même en diminution du fait de la non compensation par l’État des différentes exonérations. De plus, le service public souffre d’un rendement moindre depuis que cette redevance est adossée à la taxe d’habitation. À quoi bon être un pays pionnier dans le numérique, si on laisse dépérir notre audiovisuel, le service public ?

Le passage à la T.N.T. pourrait offrir une occasion de rattraper le retard important que nous connaissons en matière de télévisions locales. Or le projet de loi ne prévoit rien !

En ne favorisant que les grands opérateurs, vous nous invitez à un véritable retour en arrière, au temps où les radios et les télévisions libres n’existaient pas. Le marché, lui, est complètement libre !

Ce que vous nous proposez, c’est tout simplement le renard libre dans un poulailler libre ! (Sourires au banc des commissions.)

La priorité devrait au contraire aller au développement des chaînes de proximité indépendantes, associatives, locales.

À cet égard, les propositions de M. de Broissia - dont je salue le travail, même si je ne suis pas toujours d’accord avec lui ! - vont dans le bon sens. Il est temps, en effet, de donner un nouvel élan au tiers- secteur audiovisuel. À cet égard, la création d’un fonds de soutien va dans le bon sens car c’est un gage de diversité culturelle... et économique, face aux mastodontes médiatiques, Bouygues, Vivendi, Bolloré, etc.

Je pense qu’il est également urgent d’apporter des solutions aux télévisions locales des zones frontalières - telle Canal 9 dans la métropole lilloise. Les négociations bilatérales transfrontalières sont bloquées, alors que le Conseil européen préconise le passage à la T.N.T. de tous les réseaux de l’Union.

Il est également surprenant qu’une loi consacrée à la télévision du futur ne parle pas non plus de la vidéo à la demande, ni d’internet. Ne serait-il pas judicieux, pourtant, d’envisager que les distributeurs de télévision par A.D.S.L. soient associés au financement de la production cinématographique et audiovisuelle ? Le secteur public et le secteur privé indépendant percevraient alors le dividende numérique. Et toutes les chaînes de la T.N.T. naîtraient libres et égales en droits.

Face à un déploiement aussi gigantesque de l’appareil médiatique, une question éthique se pose : comment l’esprit humain pourrait-il absorber le flux d’informations qui lui est offert par les nouveaux médias ? Ce que nous devons assimiler ne peut être que lacunaire, approximatif, superficiel.

Le rapport avec la vérité qui exige recul et réflexion, maturation devient incertain ; la grande machine informationnelle, loin de nous raccorder au réel, nous en éloigne toujours davantage. Condamnés au flux, nous ne parvenons plus à gérer ce stock intériorisé qui définit la culture.

Notre culture, si claironnante et péremptoire, menace de devenir une sous-culture. Les sociétés humaines n’ont jamais été autant informées - mais jamais aussi peu cultivées. Cet avilissement n’est pourtant pas une fatalité et la puissance publique française pourrait mobiliser les moyens, pour réinjecter du sens et un esprit démocratique dans la production audiovisuelle.

Je parle ici d’éthique ; n’oublions pas que la philosophie s’est constituée en Grèce contre la sophistique, qui abusait des possibles offerts par le discours pour séduire les foules. Contre cette démagogie s’est érigé un nouveau modèle de civilisation du savoir. Nous vivons une situation comparable. Il est temps pour l’opinion de se mobiliser contre la dictature des audiences, afin de faire émerger une société fondée sur l’intelligence.

Je voudrais enfin, par une distanciation toute brechtienne, répondre au bondissant rapporteur, rejoint en cela par le ministre, et qui, dès la septième ligne de son rapport n’hésite pas... à citer Karl Marx, pour dans un raccourci saisissant, affirmer que la télévision est le nouvel opium du peuple. Permettez au marxiste, tendance Groucho que je suis parfois, de vous rappeler que le propos de Marx était plus riche et plus nuancé : « la religion, disait-il, est l’opium du peuple, le soupir de la créature accablée, et son cri de protestation ».

Quant à Groucho, devant le corps inerte, il déclare « ou cet homme est mort, ou ma montre est arrêtée ». Il y a des moments où tout réussit : il ne faut pas s’en étonner, cela passe. Il est indispensable de reporter ce texte, afin de lui donner une orientation plus conforme à l’intérêt général.

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