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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Non, la culture n’est pas un marché où tous les coups sont permis

Vente à distance des livres -

Par / 8 janvier 2014

« Il n’y a jamais trop de livres ! Il en faut, et encore, et toujours ! C’est par le livre, et non pas l’épée, que l’humanité vaincra le mensonge et l’injustice, conquerra la paix finale de la fraternité entre les peuples. » Ainsi, s’exprimait Émile Zola. Il avait raison : il n’y aura jamais trop de livres, et nous n’en ferons jamais trop pour le livre.

La proposition de loi que nous examinons ce soir est bienvenue. Elle permettra de conforter une loi majeure, la loi du 10 août 1981 instituant le prix unique du livre. Les forces du libre marché, qui se moquent de protéger la création et la diversité culturelles, n’ont jamais vraiment renoncé à la mettre en cause. Mais, si nous n’y prenons pas garde, la modification profonde des usages et des comportements culturels liés à la prolifération du numérique pourrait leur en offrir l’occasion.

En effet, le numérique bouleverse les équilibres économiques et interroge tous les dispositifs juridiques en place.

Face à la révolution des formats et des usages numériques, à l’apparition du livre numérique et à l’émergence de nouveaux acteurs de commercialisation du livre papier par e-commerce, il est urgent de trouver des solutions législatives appropriées pour protéger la diversité et faire respecter les droits d’auteur.

Comme de nombreux orateurs l’ont déjà souligné, la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre a favorisé le maintien sur tout le territoire français d’un réseau dense et diversifié de librairies ; elle a garanti l’existence d’une librairie indépendante face aux grandes surfaces et soutenu une large création littéraire à côté des best-sellers.

Reposant sur l’idée juste que la concurrence par les prix déboucherait sur un amoindrissement de l’offre, cette loi a instauré le principe d’un prix unique, fixé par l’éditeur, qui s’impose à tous les détaillants. Elle a encadré les rabais en les limitant à 5 % de ce prix.

Grâce à elle, la librairie française, qui compte 25 000 points de vente de livres, dont 2 500 vendent principalement des livres, se compare avantageusement à celle d’autres pays. L’Angleterre, par exemple, qui n’a pas jugé utile de légiférer sur le prix du livre, a vu le nombre de ses librairies diminuer d’un tiers en dix ans et les grandes chaînes asseoir leur domination dans le même temps.

Or cette loi est aujourd’hui indirectement remise en cause par le développement du commerce du livre en ligne. Elle doit donc être complétée, sous peine de devenir obsolète.

De fait, la vente en ligne de livres papier se développe rapidement : alors qu’elle représentait seulement 3,2 % du marché du livre en 2003, elle en représentait plus de 13 % en 2011. Cet essor met en danger les libraires, dont la marge est extrêmement faible et l’existence fragile.

C’est d’autant plus vrai que les grandes multinationales de la vente de livres en ligne pratiquent des conditions commerciales qui relèvent d’une concurrence déloyale.

Le principal acteur du secteur, Amazon, qui représente 70 % du marché de la vente en ligne de livres papier et réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros sur le livre, profite du vide laissé par la loi Lang en ce qui concerne le prix de la livraison à domicile pour offrir la gratuité de cette livraison, en plus de l’application systématique du rabais de 5 %.

Cette pratique relève d’une stratégie commerciale visant tout simplement à éliminer les librairies. En effet, pour offrir la gratuité des frais de port, Amazon consent une perte de 2,8 milliards de dollars, que le groupe compense par ses autres activités commerciales.

Ce système n’est rien d’autre qu’un contournement de la loi, au service d’une stratégie de dumping visant à assurer aux acteurs les plus puissants de la vente en ligne une position à terme hégémonique sur le marché ; une fois leur monopole établi, ceux-ci, Amazon en tête, pourront imposer les conditions commerciales qui leur conviennent, moins favorables aux éditeurs et aux lecteurs.

La proposition de loi prévoit d’encadrer un peu plus cette pratique, afin d’empêcher le retour de la concurrence par les prix dans le secteur du livre. Elle a tout notre soutien.

Seulement, nous devrions sans tarder élargir notre regard pour considérer l’ensemble de l’offensive menée par Google, Amazon, Apple et Facebook, qui ne concerne pas seulement le domaine du livre. Aussi bien, nous ne pourrons pas éternellement faire face en égratignant l’appétit de ces géants sur les productions culturelles : un travail d’ensemble, cohérent, semble urgent.

Par exemple, il faut repenser la fiscalité de ces entreprises qui, établies dans des paradis fiscaux, non seulement ne s’acquittent pas de la TVA, mais ne sont pas même soumises à une imposition des bénéfices au même taux que les entreprises taxées en France.

Imaginez, mes chers collègues, que, selon la Fédération française des télécommunications, Google, Amazon, Facebook et Apple, qui dégageraient entre 2,2 et 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, n’acquitteraient que 4 millions d’euros par an en moyenne au titre de l’impôt sur les sociétés !

Il serait également nécessaire de se pencher sur les conditions sociales au sein de ces entreprises, qui constituent, elles aussi, souvent des entorses abusives à notre droit, en l’occurrence à notre droit social.

Il est urgent de s’attaquer à ces problèmes ; j’exhorte le Gouvernement à agir pour faire barrage à la stratégie de ces groupes visant à accroître leurs profits au mépris du droit, de la fiscalité et surtout de la culture. Non, pour nous, la culture n’est pas un marché où tous les coups sont permis !

En interdisant la remise commerciale de 5 % pour les seuls livres commandés en ligne et livrés à domicile, la proposition de loi limitera les effets pervers de la vente en ligne et contribuera à assurer la pérennité de notre réseau de librairies indépendantes, seule à même de garantir la diversité éditoriale.

À juste titre, la proposition de loi ne vise que la livraison à domicile. En effet, la loi sur le prix unique du livre exige que l’ouvrage commandé par le client puisse être rendu disponible gratuitement pour un retrait en point de vente ou en point relais ; il s’agit du cas où un client commande à son libraire un ouvrage non disponible en rayon, avant de venir le chercher dans la librairie.

La proposition de loi autorise seulement une réduction équivalente à 5 % du prix du livre sur le montant des frais de livraison à domicile, qui, eux, resteront librement fixés.

La commission de la culture a souhaité introduire dans la proposition de loi l’interdiction de la gratuité des frais de port. Je m’en félicite, même si nous restons conscients de la portée limitée de cette mesure essentiellement symbolique : de fait, elle n’empêchera pas Amazon de réduire les frais de port à la portion congrue.

Madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons la proposition de loi, pour continuer à défendre le livre et la conception que nous en avons : le livre est avant tout un lien culturel, et non un objet marchand. Cela étant, nous estimons que l’ensemble du problème posé par l’offensive de ces géants doit être traité d’une manière globale, cohérente et pérenne !

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