Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Paroles citoyennes

Par / 12 octobre 2003

Discours de Jack Ralite au Zénith à l’occasion de la journée de soutien aux intermittents organisée par les Etats généraux de la culture

Vous savez combien les Etats généraux de la culture sont attachés à la création artistique et aux questions culturelles qui prennent de plus en plus d’importance dans notre société, je devrais dire dans notre humanité.

D’abord parce que les artistes et les écrivains sont des observateurs de tout ce qui est inhabituel et déroutant. Saint John Perse ne dit pas autre chose en nommant la poésie "luxe de l’inaccoutumance" ; "seule l’inertie est menaçante" ajoute-t-il.

Ensuite parce que notre temps est confronté à la perte de sens, pour le moins à un sens suspendu et qu’art et culture par la place qu’ils tiennent dans notre imaginaire, dans notre pensée, sont irremplaçables. C’est en accueillant François Jacob sous la coupole qu’un grand résistant aujourd’hui disparu, Maurice Schumann, eut cette expression "la seule faute que le destin ne pardonne pas au peuple est l’imprudence à mépriser les rêves".

Encore, parce que de plus en plus le marché et les nouvelles technologies sont malheureusement déclarés "naturels" alors que les femmes et les hommes sont traités comme des invités de raccroc, des êtres subsidiaires. Or les arts et la culture sont le lieu de l’autonomie humaine.

Enfin, l’industrialisation mais surtout la financiarisation des domaines de l’art et de la culture face à la crise des façons de vivre, en donnent des représentations mensongères, répandent platitude et vacarme et nous cernent avec le factuel. Les arts, eux, ne sont pas tempérés, ils convoquent la pensée, ils travaillent sur l’exception, ils sont mutins.

Bref, la civilisation n’est qu’une mince couche qui peut se rompre d’autant que le noyau même de l’être humain est actuellement attaqué. Certains artistes vont jusqu’à dire que tout ce que nous nommons avenir est comme une roulette. J’ai lu cette phrase d’une écrivain qui n’accepte pas l’indifférence et l’égoïsme aveugle d’aujourd’hui : "j’ai si froid autour du cerveau".

Le protocole sur l’intermittence du 26 juin illustre cela en même temps qu’il catalyse tout ce qui depuis un certain temps mais notamment ces derniers six mois remet en cause la responsabilité publique en matière d’art et de culture. Tout le monde peut le constater. Le gouvernement s’efforce à embarquer le monde artistique sur une galère lancée à travers "les eaux glacées du calcul égoïste".

Archéologie, musée, architecture, économie numérique, cinéma, télévision, droits d’auteur et droits voisins, patrimoine, musique, arts plastiques, spectacle vivant, enseignement, recherche connaissent depuis le printemps malmenage et démembrement. On voudrait désespérer les professions artistiques et intellectuelles qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais les artistes et leurs collaborateurs techniciens ne se sont pas laissés impressionner et je me rappellerai toujours ce calicot sur le théâtre du Peuple à Bussang disant : "Les intermittents du spectacle ne se plaignent pas ils portent plainte". Les enseignants et les chercheurs aussi portent plainte.

Cette démarche n’est pas seulement une action de défense, de résistance, c’est une action qui a fait une percée, qui veut construire et qui n’est pas d’aujourd’hui. Il y a quelques années un accord signé entre les syndicats et l’Unedic préfaçait une construction nouvelle dont il faut tout de suite dire que sa source (un texte de 1969) apparaît à le regarder avec responsabilité et générosité comme une idée neuve en Europe. La solidarité intraitable des Etats Généraux avec les intermittents du spectacle nous permet d’autant plus de nous projeter dans l’avenir. Songeons que le code du travail en France ne prend pas en compte le travail invisible des salariés. Or, là, il le fait. Et c’est une idée salvatrice, constituante de poser par rapport au travail la généralisation de cet atout. Dans ce carrefour d’Histoire que nous vivons actuellement il faut oser s’élancer comme accompagnateur d’une idée d’avenir. Il faut être audacieux dans la recherche de l’inédit. Et qu’on ne nous dise pas, sans sous-estimer l’importance de la crise, qu’il n’y a pas d’argent. A la Libération, la France était avec des tickets de pain et des ruines. C’est pourtant à ce moment là que la Sécurité Sociale a été pensée, proposée, et créée. Eh bien les Etats Généraux de la Culture estiment qu’il y a à penser, à proposer et à créer une autre dimension du droit du travail qui prenne en compte des caractéristiques de la vie d’aujourd’hui jusqu’ici ignorées. Nous avons de quoi être des législateurs populaires novateurs. Il ne faut pas se dissimuler que la bataille va être difficile. Sont développés depuis peu la culpabilisation de ceux qui travaillent, le culte du déclin de la France. Il commence à être suspect de penser. Les comptables supérieurs qui nous gouvernent nous opposent toujours la religion de l’économie avec le but d’empêcher que soit pensée une alternative. Ils nous mettent la main dans la tête comme ils nous l’ont mise dans les poches. Ils rêvent par exemple, j’en suis sûr, qu’un chercheur ne soit payé que quand il trouve. L’argument suivant est développé : acceptez que soit diminuée votre retraite pour sauver votre retraite, que soient diminuées les prestations chômage pour sauver l’Unedic, que soient diminuées vos prestations sociales pour sauver la sécurité sociale, que soient rétrécies certaines libertés pour sauver la liberté. Jusqu’ici on n’a pas entendu dire qu’il fallait diminuer les profits pour sauver les profits. "Vous avez soin de vos villes, vous voulez être en sûreté dans vos demeures, vous êtes préoccupés de ce péril, laisser la rue obscure. Songez à ce péril plus grand, laisser obscur l’esprit humain", disait Victor Hugo.

Mais je veux aller plus loin. Il a été constitué au Sénat un groupe de réflexion sur la création culturelle qui, et c’est fort bien, va se réunir tous les mardis. Lors de la première réunion, il a été fait le tour des questions et l’on constate que c’est un véritable dictionnaire, avec un très long délai pour étudier les questions et proposer des solutions. Or, en attendant la politique gouvernementale suit son cours. La décentralisation vient en débat dans quinze jours, le budget va être examiné incessamment et le protocole du 26 juin entre en application le 1er janvier. D’une certaine manière je ressens le travail de cette commission comme un arrêt sur image. Je crois qu’il vaut mieux se situer dans le mouvement, chercher des débuts, de nouveaux commencements, des démarches sans achèvement qui sont en familiarité avec la liberté et qui peuvent trouver une force de création qui va contre tous les verrouillages. Nous sommes confrontés à des verrouillages qu’il faut prendre à contre-pied. Il faut oser penser.

Prenons par exemple, le rapport de la culture et du marché. Une idée familière à notre pays est que la culture n’est pas une marchandise comme les autres. Au nom de cette considération, nous avons participé aux débats et assisté aux conclusions de la directive Télévision sans frontières, du GATT, de l’AMI, etc. Il reste que depuis 1999 il y a une contre offensive, ne serait-ce que par la nouvelle dénomination de "l’exception culturelle", la "diversité culturelle". Exception, diversité, M. Messier en moquant la première expression et en applaudissant la seconde, a bien montré que ça n’était pas innocent.

Et depuis, les choses marchent à l’envers. Le principe c’est le marché, la diversité c’est le rattrapage. Il faut remettre le jockey sur le cheval. La liberté de la création est d’abord la priorité. Dans la situation actuelle, il ne s’agit pas de survie, mais de notre vie. On le constate dans le projet de constitution européen, comme dans la loi audiovisuelle britannique. Dans les deux cas, les clauses de rattrapage sont aléatoires : dans la Constitution, c’est si il y a constat que la diversité culturelle n’est pas respectée. Mais qui le constatera, et comment cela sera voté, et comment cela sera corrigé ? Dans la loi britannique, un amendement a stipulé qu’il serait fait des "tests de pluralisme", et qu’alors pourrait être saisi le CSA anglais. Il faut être net, il faut renverser les facteurs. On retrouve cette inversion dans le rapport entre loi et contrat : avant la loi était déterminante et les contrats y faisaient référence, aujourd’hui les contrats sont pléthore, la loi est déqualifiée, et les contrats servent de véhicule aux intérêts privés.

Notre souci, vous le voyez, est d’avancer de grands thèmes politiques, qui sont susceptibles de rassembler au-delà des professionnels en mêlant les forces du travail et les forces de la création.

Si l’on considère que le travail ordinaire n’est pas fait pour penser, cela réduit la création à un supplément d’âme. Au contraire, il faut introduire l’art comme élément de la vie, et non comme sa décoration.
Nous allons bientôt nous dire un au revoir après une journée d’échanges assez extraordinaires, d’autant que nous sommes d’une grande diversité, une sorte de symbolique du pluralisme. Nous nous sommes pour certains connus ou reconnus, nous nous sommes pour d’autres écoutés avec attention, voire éperdument et sans jamais avec nos différences être indifférents aux autres différences. C’est une immense question.

"Ma présomption s’est si souvent applaudie de ce que j’étais différent des autres jeunes paysans. Eh bien j’ai assez vécu pour savoir que différence engendre la haine" dit Julien Sorel dans Le Rouge et le noir. Il n’y a pas d’espérance solitaire. L’espérance comporte toujours l’autre. L’absence de l’autre constitue une castration mentale. Vous allez me dire, mais à force de s’écouter les uns les autres n’avons-nous pas tendance à affadir la mise en commun en mise en moyenne ? Eh bien, pas dans notre réflexion commune qui a été une véritable dialectique des énergies, des pensées, des affectivités, des "individualités serviables" selon l’expression de Gide en même temps qu’une synthèse des pratiques, des expériences et des patrimoines de chacun. Nous avons été plusieurs, beaucoup, très nombreux, mais chacun restant soi. C’est beau un rassemblement dont les composantes humaines ont l’objectif d’accroître la place de la pensée et de l’imaginaire à travers diverses luttes, réflexions et réflexions-luttes, dans la vie. Oh, il ne s’agit pas d’autoroutes, mais de venelles sur lesquelles "la pensée avant d’être œuvre est trajet". Nous avons fait un très beau bouquet composé, et au-delà des personnes, le même travail s’est effectué entre les associations du public, les associations syndicales, professionnelles, enseignantes, culturelles, éditrices. Personne n’a cherché le consensus mou ni un monde séparé, mais tous également attachés à l’émancipation ont tout fait pour sortir de la minorité par soi-même et dans la société communiquant bien avec tous dans cet espace commun du Zénith. Nous avons voulu être copartageants d’un monde commun, et ce monde commun sait qu’il n’y a aucune fatalité dans l’Histoire. "L’Histoire est ce qu’on y fait, l’Histoire est une chose qu’on agit et non pas qu’on subit", a dit Pierre Boulez.

De ce point de vue, notre rassemblement de réflexion est d’abord une action, action que nous prolongerons dans un rendez-vous semestriel où nous pourrons faire le point sur toutes les questions qui nous concernent et envisager telle ou telle intervention. Mais nous avons, outre ces retrouvailles semestrielles, besoin d’une sorte d’assemblée permanente source et garante d’une volonté collective permanente, alors créons un site internet comme site d’actions et de pensées.

C’est peut-être ambitieux ce que je vais dire, mais nous voulons sur la base des résultats de nos travaux, où se sont croisés experts et experts du quotidien, que nous allons éditer, devenir incontournables. Et ne nous cachons pas la difficulté. L’incontournabilité c’est d’abord d’utiliser ces matériaux pour nous-mêmes. C’est comme si on s’était fait un cadeau de pensée à vivre au quotidien. En général, à la sortie d’une telle assemblée, on dit "allons voir les corps constitués". On le fera. Je vais y revenir. Je voudrais insister sur notre travail sur nous-même. L’homme, la femme, le militant, pour se construire comme citoyen allant vers d’autres est d’abord un but à soi-même. On nous parle en haut lieu de travail, de culture, mais on parle en notre nom avec sondage à l’appui éventuellement. Ce n’est pas acceptable. Le travail c’est nous, la culture c’est nous. Oui, le travail c’est nous. Cela me fait penser à ce qui est arrivé dans les rues de Leipzig en 1989, quand a jailli le cri "le peuple c’est nous".

Eh bien ici aussi. Nous sommes le peuple. C’est une incontournabilité capitale à prendre en compte comme un nouveau commencement démocratique, culturel, politique. L’incontournabilité c’est aussi d’aller rencontrer toutes les grandes organisations de ce pays. Je pense aux partis politiques, aux syndicats, aux grandes associations nationales. Nous nous fixons un mois d’interventions à partir de nos travaux. J’ai été frappé ces derniers temps qu’au Parlement très peu de délégations viennent. Il ne faut pas se laisser aller à cette démission qui finalement rend service à ceux que nous combattons. Notre objectif c’est que le pays et ses représentants (ceux d’aujourd’hui et ceux de demain) s’emparent du sujet qui nous a réunis. Le débat national qu’on souhaitait tant et que le mouvement des intermittents et son circonvoisinage solidaire ont imposé, doit se démultiplier et c’est l’affaire de chacun, de chacune d’entre nous. Nous allons créer à partir des ateliers de ce matin des groupes de travail.

Bien sûr, nous participerons à d’autres initiatives, au forum culturel qui accompagne le forum social européen entre les 12 et 15 novembre à Saint-Denis, notamment sur le thème "la diversité culturelle, quelle action en faveur de quel projet ?" où les Etats généraux de la culture retrouveront l’ARCI, association culturelle d’un million de membres en Italie, la Kultur-Attac Deutschland, l’Attac-Culture. Nous devons aussi favoriser une rencontre précédant le sommet mondial de décembre 2003 à Genève sur la Société de l’Information.

Nous disons ce soir : nous sommes solidairement actifs des intermittents qui dans les formes les plus diverses vont intervenir dans toutes les structures culturelles. Nous allons tout de suite demander une audience au groupe de réflexion créé par la Commission culturelle du Sénat, aussi à l’instance que va créer la Commission culturelle de l’Assemblée nationale sous quelques jours, aux associations des Maires de France, des Présidents de conseils généraux, des Présidents de conseils régionaux, à la Commission culturelle du Parlement européen, qui a beaucoup à réfléchir, à la présidence de l’UNESCO, qui a beaucoup à être ferme notamment face aux Américains qui y reviennent après une longue, longue absence et veulent, amenant 22% du budget, dicter leur loi en particulier en refusant que l’UNESCO abrite un outil traitant internationalement les questions de l’art et de la culture. Avec le Comité de Vigilance qui a tant travaillé nous ne voulons pas que l’UNESCO s’achète. De plus nous allons rencontrer les directeurs des télévisions et des radios nationales afin d’obtenir des débats sur les questions examinées : travail, contrat, art et société, "exception culturelle", enseignement, éducation, recherche et culture. Merci à tous d’être venus pour une action servant le Présent et l’Avenir. Beaucoup de monde va nous regarder et chacun, chacune, quelle que soit sa responsabilité va devoir tenir compte du travail en processus qui s’est engagé ici.

Comme l’a dit si magnifiquement Georges Balandier, "Nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice". Vous êtes, nous sommes des civilisateurs.

Les dernieres interventions

Affaires culturelles Les bénévoles méritent bien une loi

Proposition de loi visant à soutenir l’engagement bénévole et simplifier la vie associative - Par / 12 mars 2024

Affaires culturelles L’angoisse de Parcoursup

Débat sur l’équité et la transparence de Parcoursup - Par / 6 mars 2024

Affaires culturelles DES JO sans transports ?

Débat sur la préparation des JO en France - Par / 4 mars 2024

Affaires culturelles Vive le cinéma !

Conforter la filière cinématographique en France - Par / 15 février 2024

Affaires culturelles Nous aurions dû aller plus vite, plus loin, plus fort

Démocratisation du sport : explication de vote - Par / 19 janvier 2022

Affaires culturelles Une proposition de loi poids plume

Démocratisation du sport - Par / 18 janvier 2022

Affaires culturelles L’existence de ces objets et de ces œuvres ne commence pas avec leur exhibition

Circulation et retour des biens culturels appartenant aux collections publiques - Par / 10 janvier 2022

Affaires culturelles La pérennité des bibliothèques est assurée

Bibliothèques et développement de la lecture publique (deuxième lecture) - Par / 16 décembre 2021

Affaires culturelles Les directeurs ne veulent pas être une courroie de transmission hiérarchique

Fonction de directrice ou de directeur d’école (conclusions de la CMP) - Par / 25 novembre 2021

Affaires culturelles La concentration dans les médias nuit à la diversité et au pluralisme des idées

Oeuvres culturelles à l’ère numérique : conclusions de la CMP - Par / 21 septembre 2021

Affaires culturelles La stratégie de la concentration est forcément perdante

Protection et accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique - Par / 20 mai 2021

Administration