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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Respect de la diversité linguistique (Résolution européenne)

Par / 25 mars 2009

Le président Legendre a bien analysé la dérive que connaît la politique du multilinguisme dans le fonctionnement des institutions européennes. Je n’y reviendrai pas, sauf pour donner notre accord avec ses conclusions enrichies par la commission des affaires culturelles. Je souhaite plutôt insister sur les conséquences que cela a dans la vie démocratique des institutions européennes.

Au préalable, je ne peux taire les béances de notre politique culturelle à l’étranger. Je ne peux passer sous silence la désinvolture avec laquelle est utilisée notre langue, y compris au faîte de l’État où l’on confond la bravoure politique du « dire-vrai » avec le « parler cash ». Je ne peux ignorer que, dans les grandes entreprises, les réunions des hauts cadres se tiennent obligatoirement en anglais même s’ils sont français. Je ne peux esquiver le référent gouvernemental au seul classement de Shanghai pour les universités, qui est en anglais, comme la majorité des publications scientifiques. Il y a du souci à se faire devant une telle désharmonie dans les paroles, les écrits et les pratiques.

Mme de Chartres, dans La Princesse de Clèves, nous livre la pédagogie : « ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord : ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d’une galanterie ». Aujourd’hui, on dirait d’une démagogie.

Julien Gracq avait l’art d’augmenter les têtes. Ce rechargeur de vie, ce grand intercesseur demeure une des plus belles munitions pacifiques de la vie internationale. En voici une : « Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin, moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d’une langue filtrée par une littérature. Ils apprennent aujourd’hui l’anglais, (...) comme un esperanto qui a réussi, (...) comme le chemin le plus commode de la communication triviale, comme un ouvre-boîte, un passe-partout universel. Grand écart qui ne peut pas être sans conséquences ».

Lors de son audition, le président du British Council notait qu’en Grande-Bretagne, on était si sûr que sa langue était devenue universelle, qu’elle régressait dans ses formes et rétrécissait l’apprentissage des langues étrangères. Quant au président du Goethe Institut, il notait qu’outre-Rhin, cela mettait en cause l’apprentissage d’une deuxième langue.

A Bruxelles, il y a 22 000 fonctionnaires et 17 000 lobbyistes. Ces derniers parlent américain, avec un vocabulaire restreint sans respiration, enfermé dans les processus financiers et gestionnaires. La revue Quaderni du printemps 2007 nous en a donné un riche abécédaire : « adaptation, compétitivité, dégraisser, employabilité, excellence, flexibilité, fracture, France d’en bas, management, mobilité, mutation, proximité, sensible (comme quartier ou question), zéro, marque, obligation de résultats, performances, évaluation, gouvernance, parachute doré, stock-options, actions gratuites... ». Ces mots manipulent, corrompent les rapports sociaux, ont acquis la valeur d’une évidence proche du prétendu bon sens populaire. Ils sont source de consensus mous parce qu’ils court-circuitent sur tout sujet l’idée même de conflit, de contradiction dont on puisse discuter. Ce vocabulaire est une naturalisation de la mainmise sur le principe de réalité, de fatalisation des avancées technologiques, inventées par les hommes pour s’en servir mais qui se servent des hommes pour en servir quelques-uns. Les dominés sont victimisés, il n’y a pas de cause à leur état. Ces mots sont des commodités des puissants. Il y a une désubstantialisation de la langue et des rapports qu’elle implique ou qu’elle crée. Au lieu de s’ouvrir à l’intuition d’autrui, elle tire les volets sur la pensée complexe.

Je suis de banlieue, où l’on renverse ces mots. Des élèves du collège Rosa Luxembourg à Aubervilliers ont silhouetté une société où l’on décide enfin de regarder un individu pour ce qu’il est, non pour ce que l’on croit qu’il est. La banlieue ajoute des mots venus des langues d’ailleurs qu’on ne peut plus méconnaître.

Le grand helléniste Jean-Pierre Vernant a dit : « pas d’homme sans outillage, mais pas d’homme non plus, à côté des outils et techniques, sans langage ». Les mots sont des domaines extraordinaires dont on voudrait que pas un être ne fût orphelin, y compris les guichetières. « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’homme est un pont ». Jean-Pierre Vernant portait là à son extrême intensité le rôle de la langue. Albert Camus avait déjà dit : « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ». La vie se tricote avec des mots et il ne s’agit pas d’en avoir peu, comme un vocabulaire Smic, mais d’en avoir abondance, comme un bouquet composé des fleurs du pays et du monde. Cette idée milite pour le pluralisme linguistique qui ne doit pas considérer qu’il y a des petites langues et qui est garant des échanges entre citoyens et citoyennes, entre institutions, parlements, gouvernements, associations, syndicats, ONG, artistes, entreprises.

Parlant ainsi, je considère toutes les pratiques relationnelles humaines, et pas seulement celles des affaires. On constate à quels hiatus sociaux le laisser-faire en faveur de la communication en basic english peut conduire. Contradictoirement, nombre d’auteurs étrangers écrivent en français. Ainsi, les prix littéraires 2008 : le Goncourt à Atiq Rahimi, le Renaudot à Tierno Monembo, le prix Théophile Gauthier de l’Académie Française à Seymus Dagtekin. Le Goncourt explique : « Je ne voulais pas présenter la femme afghane comme un objet caché sans corps ni identité. Je souhaitais qu’elle apparaisse comme toutes les autres femmes emplies de désirs, de plaisirs, de blessures. Le français m’a donné cette liberté ». La romancière danoise Pia Petersen ajoute : « Le français ne fige jamais le sens interne. En cela, il reflète bien la mentalité d’un peuple toujours enclin à contester, interroger, réagir. Une langue indocile, c’est toujours attirant pour un écrivain ». Tant d’autres fouillent cette analyse : Hector Bianciotti, Eduardo Manet, Andrei Makine, Anne Weber, Ying Chen. La situation n’est pas perdue mais le cynisme, la désinvolture, le désengagement règnent.

Réagir est une obligation de responsabilité. Nous sommes parlementaires, femmes et hommes de la parole, nous sommes législateurs ; il nous faut garantir pour penser, créer, partager, disputer, coopérer, vivre vrai ensemble et durablement.

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