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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde 

Liberté, indépendance et pluralisme des médias -

Par / 6 avril 2016

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission et rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de la presse : qui oserait prétendre qu’il ne s’agit pas là d’une question centrale pour notre démocratie mais aussi, en ce moment, de l’un de ses maillons faibles ?

Notre démocratie ne se porte pas bien ; or les questions de la libre information, de son indépendance vis-à-vis des puissances d’argent et de son pluralisme réel, et non seulement de la pluralité des canaux d’informations, sont au cœur de cette crise démocratique.

« Donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde » : ce principe, ce droit fondamental énoncé par Jean Jaurès dans l’éditorial du numéro fondateur de L’Humanité est-il aujourd’hui assuré à tous nos concitoyens ? Tant s’en faut !

Nous attendions donc sur ce sujet essentiel une loi importante. Le quinquennat en cours aura au contraire été marqué par des mouvements redoublés de contrôle et de concentration dans tous les grands moyens d’information, par une précarisation croissante d’une grande part des journalistes et par une instabilité économique toujours plus grave dans un secteur à la recherche d’un nouveau modèle d’équilibre.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue en quelque sorte un rattrapage de ce manquement à l’initiative législative attendue. Elle a le mérite d’avancer, enfin, sur ces terrains essentiels mais ses limites sont elles aussi avérées.

Le présent texte laisse de côté deux questions majeures.

Premièrement, il ignore la précarisation croissante du métier, sur laquelle tous les syndicats de journalistes ont tenu à insister auprès de nous. Ce phénomène menace la qualité et le libre exercice professionnel du métier de journaliste.

Deuxièmement, il ne traite pas de l’étouffement du pluralisme par la concentration financière et multimédia qui ne cesse de se renforcer. Auditionné par notre commission de la culture, le président du CSA l’a pourtant reconnu : « Les lois anti-concentration sont dépassées. »

À cet égard, nous proposerons, à travers nos amendements, des dispositions essentielles. Mais, au-delà, il faut d’urgence entreprendre un chantier législatif d’ampleur.

Je le sais, on nous opposera l’imperfection de nos amendements. Mais qui peut le plus peut le moins ! Les dispositions que nous avançons constitueraient un premier pas dans la bonne direction et une incitation à poursuivre.

Parallèlement, on nous objecte qu’en encadrant la mainmise de MM. Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Drahi, Bergé, Lagardère, Niel, Pigasse, Pinault, ou encore du Crédit mutuel, l’on risquerait d’ouvrir la porte au capital étranger anglo-saxon, et de lui donner la maîtrise de nos moyens d’information.

Permettez-nous de penser que la protection du CAC 40 ne nous apportera pas la meilleure des garanties !

À ce titre, Hubert Beuve-Méry savait faire la différence entre une « industrie de presse » et une « presse d’industrie ». C’est vers la seconde, vers ce que l’on appellerait aujourd’hui « une presse d’argent », que nous avançons aujourd’hui à grands pas. Beuve-Méry disait à son propos : « Il suffit que l’information n’aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis, ou, à l’occasion, qu’elle les serve efficacement. »

Les exemples sont, hélas ! nombreux. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les exemples les plus récents, le film Merci Patron !, l’émission Les Guignols de l’info, ou encore un reportage à charge consacré au Crédit mutuel par la chaîne Canal+. À l’inverse, on peut mentionner les préventions de M. de Tavernost, de M6, lequel ne supporte pas que l’on dise du mal de ses clients à l’antenne. On le vérifie ainsi, ces problèmes sont bien là !

Dans le même temps, chacun le sait, des titres majeurs du pluralisme, comme L’Humanité, Politis ou Mediapart (M. Alain Gournac s’esclaffe. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On sait bien que ces titres ne reflètent pas vos opinions !

M. Cédric Perrin. En effet, nous les lisons rarement !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh bien, vous devriez !

M. Pierre Laurent. … mènent un combat quotidien acharné pour assurer leur survie et en restant indépendants.

M. François Bonhomme. Modèles de pluralisme !

M. Alain Gournac. Pluralisme un peu spécial…

M. Pierre Laurent. La présente proposition de loi s’emploie avant tout à offrir de nouvelles garanties d’indépendance aux journalistes et aux équipes rédactionnelles.

Nous soutenons plusieurs de ces avancées, notamment celle, très importante, relative à la protection des sources. Nous souhaitons que ce texte soit renforcé dans ce domaine, mais aussi en vue de protéger les lanceurs d’alerte.

Nous saluons l’instauration d’un droit de retrait des journalistes, qui peut être invoqué quand on cherche à leur imposer un contenu aux antipodes des principes déontologiques et de leurs convictions professionnelles. Encore faudra-t-il que ce droit ne soit pas bafoué, dans les faits, par la pression exercée sur chaque journaliste, par des conditions de travail de plus en plus précaires.

Nous proposons également de développer entièrement les intentions de transparence, en exigeant la pleine publicité des mouvements d’actionnaires dans la propriété des médias, sans aucun seuil.

Sur le front de la déontologie, nous appuyons certaines avancées contenues dans cette proposition de loi, mais nous entendons les renforcer clairement, les garantir par la référence aux chartes qui unissent la très grande majorité de la profession. Faute de quoi, nous risquons de voir fleurir dans les rédactions des « chartes maison » au rabais, au gré des rapports de force inégaux entre actionnaires et journalistes. Nous veillerons donc à introduire une référence claire à la charte des droits et devoirs de Munich et à la charte d’éthique professionnelle adossée à la convention collective.

Pour les mêmes raisons, nous proposons, à travers plusieurs amendements, de renforcer et de garantir le poids et les droits des équipes rédactionnelles.

Nous préférons ce chemin à celui qui a été choisi au sujet du CSA. En effet, nous mettons en doute l’article relatif au rôle de cette instance. Ces dispositions partaient semble-t-il d’une bonne intention. Mais elles risquent d’aboutir à l’inverse du but visé : non pas la garantie de l’indépendance mais le contrôle des rédactions et des médias, auquel le CSA précise lui-même qu’il n’est pas candidat !

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous souhaitons travailler à enrichir les garanties apportées par cette proposition de loi, lesquelles, dans plusieurs domaines clefs, nous paraissent encore trop homéopathiques.

Notre vote dépendra également du sort réservé aux intentions affichées pour le présent texte par la majorité sénatoriale.

Au cours de nos débats, nous avons parfois le sentiment que la voix des grands actionnaires souffle manifestement dans les nuques.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Pas du tout, c’est la voix du bon sens !

M. Pierre Laurent. Il est clair que, pour notre part, nous ne voterions pas une proposition de loi privée de ses quelques avancées, un simple texte d’affichage vidé de son sens.

M. David Assouline. Bien sûr !

M. Pierre Laurent. Nous resterons donc actifs et vigilants, tout au long des discussions, pour rendre possible le vote de dispositions plus nécessaires que jamais à la liberté, à l’indépendance et au pluralisme des médias. Voilà pourquoi, en l’état du présent texte, nous réservons notre vote !

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