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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nous extraire de l’émotion est la condition sine qua non à la compréhension des événements

Instauration d’un Jour de Mémoire -

Par / 13 janvier 2016

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Puissent les commémorations des deux guerres s’achever par la résurrection du peuple d’ombre […] ». Comme le déplorait André Malraux, le retour aux limbes de notre histoire est avant tout l’oubli et l’abandon de ceux par qui nous sommes ici.

Il est donc absolument essentiel, dans le cadre d’une politique mémorielle efficace, de rappeler les heures de lumière, mais aussi les temps sombres de notre histoire.

De ce point de vue, n’avons-nous pas à nous interroger sur l’usage qui est fait de nos cérémonies solennelles ?

Ces cérémonies ont longtemps eu pour vocation de créer une unité nationale, lorsque celle-ci était encore fragile et fugace, nos frontières en perpétuel mouvement.

Cet objectif peut-il être le même aujourd’hui ?
Je ne le pense pas.

Quand bien même l’unité de la Nation serait l’objectif de nos commémorations, y parviendraient-elles ? Qu’elles soient respectées, du moins en apparence, et une unité superficielle est créée. Qu’elles soient perturbées, même de manière mineure, et une polémique traverse la communauté nationale de part en part.

Interrogeons-nous ! L’instauration à outrance d’hommages nationaux, minutes de silence et autres cérémonies solennelles atteint-elle sa cible ?

Je repère, pour ma part, deux écueils.

Premièrement, par trop souvent imposées et péremptoires, ces cérémonies ne sont que trop rarement comprises et exécutées sans retour critique.

Deuxièmement, leur multiplication tend à créer une réelle confusion sur les événements passés et à diluer un message pourtant essentiel.

D’ailleurs, permettez-moi de m’étonner que nous débattions aujourd’hui d’un texte visant à instaurer une énième journée de commémoration, alors même que son exposé des motifs rappelle le nombre déjà élevé de ces dernières.

Le contexte que nous connaissons, fait de montée des extrémismes de tout bord, impose une action sobre et efficace, non pas péremptoire, mais constructive et coconstruite. Nous extraire de l’émotion est la condition sine qua non à la compréhension des événements, de leurs tenants et de leurs aboutissants.

Au devoir de mémoire, je préfère donc les termes de réflexe du souvenir, de compréhension et d’enseignement pour l’avenir.

C’est, je crois, l’enjeu majeur de la pratique mémorielle, comme le préconisait la contribution de mon collègue Patrick Abate, à l’occasion du rapport d’enquête sur les valeurs républicaines à l’école.

En effet, l’école a son rôle dans la formation de la conscience mémorielle.

Parce que nous sommes issus du courant philosophique et politique des Lumières, nous voulons croire en une institution scolaire qui permette l’émancipation de la jeunesse par la raison et le savoir, et son intégration dans notre société.

Celle-ci est le fruit d’un passé, parfois glorieux, parfois honteux. Il semble essentiel de revenir sur l’ensemble de ces moments pour permettre à la jeunesse de notre pays de maîtriser les tenants et les aboutissants qui structurent, aujourd’hui, notre nation.

Les réformes portant sur les programmes scolaires et la formation des enseignants doivent donner aux professionnels l’ensemble des outils nécessaires à la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglement, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits, du bien-vivre ensemble. Dans ce cadre, l’instauration de rites républicains peut paraître dérisoire et ne constituer qu’un vernis destiné à rapidement craquer.

Malheureusement, le texte que nous examinons aujourd’hui contribue, à nos yeux, à cette dynamique de politique d’affichage, plutôt que d’être partie intégrante d’un travail en profondeur.

Nous préférons que soit privilégiée une revalorisation de l’enseignement de l’histoire, trop souvent maltraitée, mais aussi de l’éducation civique. C’est par cette formation transversale que nous donnerons aux jeunes les outils d’une compréhension critique de notre passé.

À ce titre, nous resterons vigilants quant au contenu des programmes issus de la réflexion du Conseil supérieur des programmes, où siègent nos collègues Marie-Christine Blandin et Jacques-Bernard Magner.

Bien évidemment, les initiatives citoyennes et pédagogiques comme le concours national de la Résistance et de la déportation sont à saluer, mais elles ne pourront jamais supplanter un enseignement régulier de l’histoire et des valeurs républicaines.

Par ailleurs, il suffit de regarder rapidement les programmes appliqués actuellement pour voir que la pratique mémorielle y est bien présente à tous les niveaux scolaires, dont les classes visées par la proposition de loi.

Ainsi, les élèves de CM2 étudient l’émergence des Lumières, la Révolution, les XIXe et XXe siècles ou encore la construction européenne et le mouvement de décolonisation. Ces éléments sont repris en cinquième, avec un focus sur la construction de l’État. Enfin, les classes de seconde approfondissent ces notions et revoient la citoyenneté antique ou encore la période médiévale.

De fait, les enseignants délivrent déjà l’enseignement que la proposition de loi cherche à transmettre, à la condition, bien évidemment, qu’ils puissent exercer dans de bonnes conditions, ce qui n’est pas toujours le cas !

Vous l’aurez certainement compris, mes chers collègues, nous ne pourrons que voter contre cette proposition de loi, qui dresse un constat sujet à caution et ne prévoit aucune solution pertinente pour améliorer la pratique mémorielle.

J’aimerais, une fois n’est pas coutume, terminer mon intervention par une citation d’un ancien Président de la République qui, s’il a été un adversaire politique, a su faire preuve de grandeur le 16 juillet 1995.

« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays.

« Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur […] de ces journées de larmes et de honte.

« Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions.

[…]

« Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. »

Mes chers collègues, vous aurez reconnu ici les propos de Jacques Chirac.

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