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Affaires culturelles

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une atteinte à l’équilibre de la loi de 1881

Lutte contre la manipulation de l’information -

Par / 26 juillet 2018

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE votera en faveur de la question préalable défendue, au nom de la commission de la culture, par sa présidente, Mme Morin- Desailly. Il le fera avec une extrême gravité et en pleine conscience du caractère tout à fait exceptionnel de cette démarche.

Les annales de notre Haute Assemblée rapportent peu de procédures similaires, et il est rare que notre commission considère, à sa quasi-unanimité, que le texte transmis par l’Assemblée nationale ne mérite pas que nous en débattions plus avant.

Notre collègue, M. Richard Ferrand, a déposé, le 21 mars dernier, sur le bureau de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi dont l’objet initial était relatif « à la lutte contre les fausses informations ». Ce faisant, il répondait à une annonce faite par le Président de la République à l’occasion de ses vœux à la presse, le 3 janvier 2018. Le chef de l’État souhaitait « une loi avant la fin de l’année pour lutter contre la diffusion des fausses informations sur Internet en période électorale. » Par ailleurs, il appelait « à responsabiliser les plateformes et les diffuseurs sur internet. »

Au nom de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, son président, M. Bruno Studer, reconnaissait que l’objet de cette proposition de loi ne pouvait être que très limité, car il estimait que « le cadre juridique actuel suffi[sait] théoriquement à réprimer la diffusion de fausses informations ».

Le projet déclaré était donc d’adapter l’arsenal législatif existant aux spécificités des nouvelles technologies de l’information et de la communication ; il s’agissait non pas d’interdire « l’émission primaire d’informations contrefaites et malveillantes, mais [d’intervenir] sur leur diffusion secondaire » sur les réseaux sociaux. Autrement dit, « c’est cette forme de déni de responsabilité dans laquelle certains réseaux sociaux se complaisent aujourd’hui que les dispositions de la présente proposition de loi visent à pallier ».

L’intention était louable, et nous sommes unanimes à penser que les dispositions européennes relatives au statut juridique des plateformes, et notamment la directive du 8 juin 2000, sont obsolètes et bloquent toute tentative d’évolution du droit national pour leur imposer les obligations déontologiques auxquelles sont soumis les autres médias.

Agissant en bonne intelligence, nos deux chambres auraient dû en convenir et s’entendre sur une stratégie commune pour obtenir une évolution du droit européen. Las ! Sans entendre les nombreuses mises en garde, l’Assemblée nationale nous propose un texte qui n’apporte aucune solution véritable au problème que cette proposition de loi est censée régler, et dont les dispositions du premier article sont susceptibles de porter atteinte au juste équilibre trouvé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

En essayant de donner une définition de la fausse nouvelle, la présente proposition de loi tente, nolens volens, d’appréhender juridiquement le statut de la vérité.

L’exercice est potentiellement liberticide, car la vérité n’existe pas en dehors de la démarche critique qui consiste à établir des faits, à les vérifier et à les confronter pour en tirer des interprétations vraisemblables. En cela, la mission du journaliste ne diffère pas de celle de l’historien. Il est possible d’imposer le respect d’une déontologie pour la constitution et la divulgation des informations, mais il est préjudiciable de donner au pouvoir judiciaire, et, pire, au pouvoir exécutif, le droit de déterminer la vérité.

L’actualité très récente nous donne le loisir d’en disserter. Le Président de la République vient de dénoncer « le pouvoir médiatique », en précisant : « Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité ». Il a poursuivi sa démonstration par une énumération de bobards de cuisine diffusés par les réseaux sociaux, dont certains ont une vocation ouvertement satirique.

Cet amalgame entre un travail journalistique sérieux, qui met à la disposition des citoyens et de la représentation nationale des faits dont les deux commissions parlementaires ne remettent pas en cause la véracité, et des ragots colportés, en dehors de tout cadre déontologique, par les réseaux sociaux montre bien l’usage pernicieux qui pourrait être fait de la présente proposition de loi.

Il faut espérer que nos collègues de l’Assemblée nationale entendent le message fort que nous allons leur adresser en votant cette motion et en attirant leur attention sur les risques que cette proposition fait encourir à la liberté d’expression. Au-delà, il nous faut, mes chers collègues, travailler ensemble pour obtenir de l’Union européenne des outils de contrôle des contenus diffusés par les plateformes, et de notre gouvernement des politiques qui favorisent le pluralisme des médias.

J’aimerais, pour finir, monsieur le président, mes chers collègues, vous lire un passage du roman Le Nom de la rose d’Umberto Eco.

Jorge, le vieux moine, vient de brûler la bibliothèque dont il avait la garde, parce qu’elle renfermait des ouvrages contraires à ses idées. Le narrateur conclut ainsi : « Jorge a accompli une œuvre diabolique, parce qu’il aimait d’une façon si lubrique sa vérité qu’il osa tout, afin de détruire à tout prix le mensonge. […] Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de faire rire de la vérité, faire rire la vérité, car l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité ».

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