Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Création du Registre International Français, deuxième lecture

Par / 14 avril 2005

par Thierry Foucaud

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Le 11 décembre 2003, lors de l’examen en 1ère lecture par le Sénat du projet de loi portant création d’un registre International Français, je commençais mon intervention par l’énumération des ports de notre pays dans lesquels les marins étaient dans l’action et manifestaient.

Je pourrais faire de même aujourd’hui, car les mêmes causes entraînent les mêmes effets, voire les accroissent, puisqu’il semble à l’heure où nous siégeons que les mouvements de grèves des personnels maritimes soient encore plus puissants qu’il y a plus d’un an.
Faut-il que le texte soit néfaste pour qu’il suscite un tel rejet de toute une profession, une telle unanimité chez ceux qui sont directement concernés comme en témoigne l’appel de l’intersyndicale des marins et officiers qui regroupent la CGT, la CFDT, la CGC, le SNPOMM-FO et la CFTC ?

Mes amis du groupe communiste, Républicain et Citoyen et moi-même pensons que leurs inquiétudes et leur colère sont légitimes et justifiées.
Le gouvernement ne demande rien de moins à la Représentation Nationale que de donner son aval à un texte de régression sociale, à des mesures qui visent à brader le pavillon français pour l’assimiler, le soumettre, aux règles des pavillons de complaisance.

En effet, nous l’avons déjà souligné, mais nous le répétons, l’objectif poursuivi est de favoriser le retour sous pavillon français d’un nombre significatif de navires exploités aujourd’hui par des armateurs français sous pavillon étranger dont certains de complaisance au prix de la casse du statut des marins français.
Comment cela se traduit-il ?
Des marins étrangers seraient embarqués, employés aux conditions de leur pays d’origine sur des bâtiments battant pavillon national sans garantie réelle d’emploi pour les marins français avec comme seule contrainte que le commandant et son adjoint soient de nationalité française.

C’est du Bolkenstein appliqué au domaine maritime ! C’est le décret d’application avant l’heure du projet de constitution européenne.
Certains me diront ici que la présente proposition n’a rien à voir avec le traité constitutionnel et qu’une fois de plus, les partisans du non pratiquent l’amalgame.
Même si cela nous prend quelques instants, je souhaiterais consulter avec vous ce traité et les travaux préparatoires.
L’article II 75, sont troisième paragraphe est intéressant et démontre toute la duplicité d’un texte dont la complexité tend à masquer une volonté, systématique de régression libérale.

Ce paragraphe est le suivant :
« Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoires des Etats membres, ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union. »
Si l’on se limite à une lecture rapide, simple, pour ne pas dire simpliste, du traité, la proposition de loi qui nous est soumise est en pleine contradiction avec le traité et ce dernier devrait entraîner l’adhésion de tous les partisans d’une plus grande justice sociale en Europe.
Malheureusement, ce paragraphe III de l’article II 75 est à éclaircir par un certain nombre d’autres considérations.

L’explication du texte établie sous l’autorité du Praesidium de la convention européenne, disposition déterminante pour l’interprétation du traité et présentée comme telle par la délégation des affaires européennes de notre Assemblée, limite considérablement le champ d’application de l’article qui nous intéresse.
Premièrement, le Praesidium de la convention européenne indique que, je cite, « la question du recrutement des marins ayant la nationalité d’Etats tiers dans les équipages des navires battant pavillon d’un Etat membre de l’Union européenne, est réglée par le droit des législations et pratiques nationales. » En un mot, la charte et son article II 75 ne s’applique pas aux marins en cas de dispositions ou pratiques nationales contraires.

Deuxièmement et plus généralement, le Praesidium indique l’article II 112 de la Constitution est applicable.
Cet article indique que les explications du Praesidium doivent être prises en compte pour l’interprétation de la Charte.
Ensuite, l’article 112 distingue les droits et les principes. Les commentaires de la délégation européenne sur ce point sont particulièrement éloquents :
Il s’agit de bien marquer le fait que la reconnaissance de certains droits par la Charte ne les érige pas pour autant en droits justifiables]...[Ces droits, (par exemple le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale, le droit de travailler ou le droit à la protection de la santé) correspondent à des objectifs, à des « principes », qu’il convient évidemment de respecter et même de promouvoir, sans imposer pour autant une obligation de résultat.

Comment appelle-t-on un droit inapplicable, mes chers collègues ? Un vœu pieu tout simplement.
Cette parenthèse longue me semble utile. Utile pur démontrer que la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui est une démonstration par A+B que le traité constitutionnel européen n’empêchera aucunement les dérives libérales, mais que, bien au contraire, il les organise, il les encadre. La surexploitation des marins sera possible, la directive BOLKESTEIN et la déréglementation généralisée seront possibles.

Si l’on y ajoute la directive BOLKESTEIN à la directive portuaire qui vise tous les métiers afférents (manutention, pilotage, remorquage, lamanage, dragage), c’est toute la filière maritime et portuaire qui est abandonnée à la déréglementation.
Cette perspective, nous ne nous y résignons pas.
Nous ne voulons pas que notre pays dont la situation géographique, l’existence de plusieurs milliers de kilomètres de côtes a permis la création de nombreux ports devienne un lieu de dumping social en matière d’armement naval et d’embauche d’équipages.

Nous avons déjà été instruits par l’expérience et l’instauration d’un pavillon bis, un pavillon qui pour éviter d’être qualifié de complaisant, a été dénommé le registre Kerguelen.
Quelle en a été la conséquence ?
Les marins français y sont largement minoritaires, la règle de 35% de personnel n’étant pas écrite.
Il en résulte une hétérogénéité des droits et des salaires.
Mais cela n’est pas encore suffisant pour les armateurs, pour le MEDEF de la mer, dont vous êtes, Messieurs de la majorité, les porte-paroles en cette enceinte.
Pour ceux-ci les charges salariales seraient encore trop importantes.

D’où la pression qu’ils ont exercée pour qu’on en arrive à la création d’un R.I.F. lequel avait déjà été précédé de la taxe sur le tonnage qui réduit considérablement la fiscalité des armements sans aucune contrepartie, en particulier en terme d’emplois. Mais au nom de la concurrence, il faut toujours plus.
Il faut par l’entremise du texte qui nous est proposé accepter le laminage des droits des marins, la disparition de leurs organisations syndicales et des instances élues qui les représentent. Quoi de mieux au nom de la compétitivité que des personnels corvéables sans aucun droit d’autant que ceux-ci seraient recrutés par l’entremise de sociétés de « marchands d’hommes » élevés pour l’occasion au rang d’entreprises de travail maritime.

On sait bien évidemment qu’il sera aisé de trouver dans des pays extra-communautaires des hommes prêts à travailler pour moins cher, dans des conditions toujours plus difficiles tout simplement parce qu’il faut subvenir aux besoins de la famille.
En face il existera toujours des armateurs qui y verront une aubaine leur permettant de dépenser toujours moins.

Fondamentalement ce sont les hommes qui seront donc mis en concurrence alors que le travail dans les transports maritimes est particulièrement difficile et pénible, et devrait donc être rémunéré à sa juste valeur, comme le permet le statut des marins acquis de haute lutte par les intéressés.
Comment ne pas évoquer également tout ce qui est le corollaire du Registre International Français.
Je pense aux filières de formation dispensées par les Ecoles Nationales de la marine marchande, qui se verraient de fait condamnées, mais aussi par là même le savoir français et les formations de haut niveau pour les métiers de mer.
Quid de la sécurité maritime ?

Il est en effet de notoriété publique que la sécurité en ce domaine est indissociable de la formation des personnels et des conditions de travail.
Votre proposition de loi ne nous garantit pas contre l’existence de navires poubelles et de catastrophes écologiques, bien au contraire.
Ces dernières années certains de nos ports ont eu à subir la présence de navires abandonnés avec des marins étrangers engagés sous pavillons de complaisance impayés depuis des mois !

Ce fut le cas dans mon département dans les ports du Havre et de Rouen.
Assistera-t-on désormais, après application du R.I.F., aux mêmes scènes mais cette fois avec des bateaux battant pavillons français.
C’est ce à quoi nous expose cette proposition de loi.
Ce sont quelques uns des motifs qui nous amènent à soutenir les marins qui une fois de plus sont en grève contre la régression sociale.
Nous sommes aux côtés de leur intersyndicale qui s’est prononcée de nouveau contre votre proposition de loi.

Nous pensons que L’Europe, la France pourraient promouvoir une activité maritime faite de coopérations dans laquelle les pays pauvres ou émergeants trouveraient des facteurs réels de développement où les conditions de travail seraient tirées vers le haut.
Nous voulons laisser sa chance au gouvernement de s’inscrire dans une telle politique. Nous désirons lui laisser cette possibilité d’engager un véritable travail de concertation avec les salariés, les hommes d’équipage, les officiers et leurs organisations syndicales.
Nous souhaitons lui permettre ainsi d’écouter et d’entendre des avis autorisés, ceux des travailleurs de la mer.

Ils sont en effet les véritable porteurs de l’intérêt maritime et d’une politique européenne dynamique et nouvelle dans le domaine des liaisons maritimes.
Voilà pourquoi je vous demande, chers collègues, de voter la question préalable que je viens de défendre.

Le Sénat s’honorerait de l’adopter. Il défendrait le pavillon français et prémunirait les marins étrangers particulièrement ceux des pays extra communautaires d’emplois et de conditions de travail indigne de notre temps.

Les dernieres interventions

Affaires économiques Mobilisés contre le frelon asiatique

Proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique - Par / 11 avril 2024

Affaires économiques Un plan large pour un temps long

Débat sur le thème : « Haut-commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ? » - Par / 10 avril 2024

Affaires économiques Kanaky : dire non à la colonisation de peuplement

Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. - Par / 27 mars 2024

Affaires économiques Formation, salaires et accès au crédit

"Tests PME" et création d’un dispositif "impact entreprises" - Par / 26 mars 2024

Affaires économiques CETA : une victoire démocratique

Projet de loi sur la ratification du CETA - Par / 21 mars 2024

Affaires économiques Sécurité nucléaire : pourquoi défaire ce qui fonctionne ?

Projet de loi sur la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection - Par / 7 février 2024

Affaires économiques La bagnole reconditionnée

Proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires - Par / 14 décembre 2023

Affaires économiques 1% du budget de l’État pour le sport

Vote des crédits 2024 pour le sport - Par / 11 décembre 2023

Affaires économiques Inflation : les rustines du gouvernement

Si vous voulez agir sur la hausse des prix, bloquez-les ! - Par / 9 novembre 2023

Affaires économiques Les pratiques détestables des acteurs du secteur

Accès au marché de l’assurance emprunteur - Par / 26 janvier 2022

Affaires économiques Cette pratique fait obstacle aux continuités écologiques

Limitation de l’engrillagement des espaces naturels - Par / 10 janvier 2022

Affaires économiques L’agrivoltaïsme maîtrisé peut avoir des vertus

Développement de l’agrivoltaïsme en France - Par / 4 janvier 2022


Bio Express

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
Membre de la commission des Affaires étrangères et de la Défense
Elu le 3 octobre 1998
En savoir plus
Administration