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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Création du registre international français

Par / 11 décembre 2003

par Gérard Le Cam

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Avec une telle proposition de loi, la France ne se grandit pas sur la scène internationale.
Elle renonce à opter pour une attitude offensive face à la dérive libérale qui tire l’ensemble des conditions de travail et des rémunérations vers le bas. Pire et les projets du gouvernement en témoignent, elle s’engage dans la voie de la régression sociale en préférant elle aussi entrer dans le jeu égoïste de la déflation compétitive qui consiste pour chaque nation à réduire l’ensemble des coûts de production, au premier rang desquels les salaires.

Elle baisse les bras en acceptant de considérer que l’emploi et plus globalement le social constitue la première variable d’ajustement.
Dans un passé plus récent, la France avait su faire valoir une autre position en défendant des valeurs de progrès social, en défendant l’idée que le social ne constitue pas une distorsion de concurrence, et que le salaire ne doit pas seulement être envisagé comme un coût mais aussi comme un débouché propre à générer de la croissance.
Croissance qui vous manque cruellement en ces temps de vache maigre et dont vous accentuez encore la fragilité par vos décisions fiscales et budgétaires !

Le précédent gouvernement, considérant à raison que des conditions de travail et de rémunérations dignes constituaient l’un des facteurs essentiels de la sécurité maritime s’était battu dans le cadre des paquets ERIKA 1 et 2 contre la généralisation des pratiques de dumping social à l’échelle européenne en cherchant à promouvoir des valeurs de progrès social et en tirant vers le haut les normes sociales. Nos députés européens s’étaient associés à l’initiative européenne des syndicats qui proposaient de traiter du social comme l’une des variables fondamentale de la sécurité maritime.

Cette proposition de loi s’inscrit en porte à faux par rapport à toute cette démarche progressiste puisqu’ elle fait régresser la réglementation sociale à bord des navires immatriculés au RIF en l’alignant sur les normes européennes et internationales réputées pour leur insuffisance. C’est un véritable recul qui fixe le social au niveau le plus bas en laissant à la négociation collective à bord du navire le soin d’apporter d’éventuelles améliorations.

Dans une certaine mesure, elle tend aussi à rendre caduque notre droit du travail, à bafouer l’ensemble des conventions collectives de la branche et consécutivement à porter atteinte aux libertés et aux droits syndicaux fondamentaux.
Ainsi, la légalisation du recours aux Entreprise de Travail Maritime, ces véritables « marchands d’hommes » notamment implantés en Inde ou aux Philippines permet de recourir à une main d’œuvre peu coûteuse et dont le niveau de protection sociale est quasi-inexistant. Concernant les navigants résidant hors de France, les régimes d’emploi et de protection sociale à bord des navires battant pavillon RIF seront donc a minima, alignés sur les conventions internationales de l’OIT et de l’OMI, qui sont largement en deçà de notre propre législation. Il en va de même pour le régime des congés payés et d’organisation du temps de travail qui sont largement assouplies.
Quant au contrat d’embarquement, la profession estime que la durée maximale que l’on puisse exiger s’établit à 6 mois, au terme de laquelle tout marin souhaite rentrer chez lui. Dans la pratique, certains navires comme la CGM-CMA semblent la limiter à 3 mois.

Or, nous observons que vous avez consacré de faibles concessions en ce domaine par rapport à la version initiale de votre texte. Nous craignons par ailleurs que les modifications apportées ou devrait-on dire concédées n’aient pas de réelle portée.
Car, si vous ramenez la durée maximale d’embarquement de 9 mois à 6 mois, c’est pour immédiatement ajouter (je fais lecture de la suite de l’article 17) que cette durée « peut être portée à 9 mois dans le cadre d’un accord collectif et, dans les deux cas, prolongée ou réduite d’un mois ou plus pour des motifs liés à l’exploitation du navire ».
Vous fixez ici dans la loi de manière précise ce qui devrait donc faire l’objet d’une négociation collective ! Ceci est d’autant plus pernicieux lorsque l’on connaît le rapport de force qui existe à bord de certains navires. Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le sénateur, que les marins philippins recrutés par les sociétés de marchandage sont dans la plupart des cas dans une situation de détresse sociale telle qu’ils sont obligés de signer des reconnaissances de dettes équivalant à plusieurs mois de salaires pour pouvoir embarquer. Dans de telles conditions, les armateurs disposent de véritables moyens de pressions, et en l’absence de réels droits syndicaux, quel peut être le contenu d’une telle négociation collective ? La question mérite sans aucun doute d’être posée.

Un marin Français me disait qu’il y a 40 ans, on embarquait pour 9 mois en disposant en moyenne de deux à trois jours de congés par mois. Aujourd’hui les marins français embarquent pour deux mois en bénéficiant de deux mois de congé. L’on mesure le parcours à rebours que votre proposition de loi nous propose d’effectuer !
On le mesure d’autant plus que vous restez silencieux sur la nature et la durée globale du contrat de travail. Votre contrat ressemble plus à un contrat de travail à durée déterminée de 9 à 10 mois maximum qui peut être renouvelé. Ce qui par ailleurs exclut le licenciement et les droits afférents. Un tel contrat d’embarquement n’assure aucune continuité de la relation de travail et place les marins dans une situation de précarité permanente.
Doit-on encore ajouter que la rupture du contrat d’engagement semble pouvoir être prise par simple décision de l’armateur en cas de débarquement du navigant pour cause de maladie ou de blessure. Après guérison y a-t-il rembarquement du marin, comme cela devrait se faire s’il s’agissait, comme dans la plupart des cas relatif à ce genre de situation, d’une suspension de travail pour cause de maladie.
Enfin, comment ne pas signaler également que vous fixez la durée des congés payés à 3 jours par mois de travail effectif alors que tout milite en faveur de la prise en compte du travail que l’on peut qualifier d’embarqué.

Quant aux rémunérations, le texte précise qu’elles ne pourront être inférieures au salaire minimum de référence, accepté au niveau mondial et fixé par le BIT. Aligner ainsi dans un secteur des transports, les salaires sur des normes internationales qui ne doivent leur existence a priori que parce qu’elles constituent des barrière minimales en dessous desquelles il n’est pas décent de descendre, c’est ouvrir la porte à une spirale de réduction des coûts tout au long de la chaîne de transport. C’est en même temps, dans une certaine mesure, faire fi des négociations qui ont eu lieu entre partenaires sociaux ou qui pourraient avoir lieu.

On comprend dès lors que dans un tel contexte, les marins français puissent avoir de réelles craintes sur leur système de retraite alors qu’ils avaient eu l’assurance qu’il ne serait pas touché par la réforme ! L’article 25 qui propose pour les navigants extra-communautaires un régime de retraite nettement moins avantageux que celui dont bénéficient actuellement les marins français suscitent leur crainte ! Faut-il encore rappeler que cette profession est considérée comme une profession à risque et que pour cette raison le marin peut toucher à 55 ans une pension de retraite équivalent à 75% du salaire forfaitaire. Leurs craintes sont d’autant plus justifiées que le nombre de cotisants risque de se réduire et que l’on ne semble pas prêt à mobiliser dans le contexte actuel de restriction budgétaire, la solidarité nationale au bénéfice des caisses susceptible de se retrouver en difficultés.

Or, comment nier que la réduction du nombre des marins français est la conséquence de l’acceptation d’une concurrence déloyale qui a permis par exemple aux compagnies Kergelen d’embaucher de la main-d’œuvre extra-communautaire.
A ce propos, votre proposition de loi qui oblige que seuls le capitaine et son suppléant devront être de nationalité française condamne à terme tous les postes de marins autres que ceux d’officiers comme ceux des matelot, maîtres d’équipage, ouvrier mécanicien mais également ceux de lieutenants.
C’est donc aussi les filières de formation dispensés par les Ecoles Nationales de la Marine Marchande qui sont condamnées et avec elles le savoir français et la formation de haut niveau pour les métiers de la mer.
Jusqu’à aujourd’hui, les effectifs français à bord des navires TAAF sont globalement restés stables représentant entre 35% et 50% de l’équipage. Les armateurs français unanimement favorables au RIF se sont engagés à ce que soit maintenue la filière française d’emploi maritime.

Pour autant, nous avons de bonnes raisons de croire qu’à terme le RIF se traduira par la disparition des emplois français. Vous avez souligné dans votre rapport que la Norvège qui avait dès 1987 eu recours à ce type de registre bis constituait une véritable réussite.
Je tiens à vous signaler que le HOO MAPPLE, navire battant pavillon norvégien équivalent donc du RIF et qui était cette semaine en escale à Cherbourg n’avait à son bord aucun norvégien !
Avec votre proposition de loi, il paraît acquis que le principal obstacle au développement du pavillon français serait son coût lié principalement aux rigidités dans l’organisation du travail et au niveau des salaires.

Vous affirmez que « ce n’est pas le marin français qui est cher mais le poste de marin français ».

J’affirme quant à moi que son coût lié à du personnel formé et disposant de conditions de travail dignes est aussi l’élément-clé de la sécurité de nos mers. Nous devons, au même titre que d’autres coûts, internaliser ce coût, correspondant à la dimension dite sociale de l’emploi au risque a contrario de devoir faire supporter à la collectivité les conséquences autrement plus coûteuses des catastrophes maritimes d’un Erika, d’un Ievoli sun ou encore d’un Prestige !!!

Je tiens aussi à signaler que les armateurs français disposent déjà d’avantages financiers considérables, sous forme d’exonérations des charges sociales et fiscales par le biais du GIE fiscal ou de la récente taxe calculée sur le tonnage. Avec votre proposition de loi nous nous enfonçons un peu plus encore dans la spirale déflationiste en nous attaquant au statut social des marins ! Dans le même temps vous permettez que les armateurs soient en quelque sorte dédouanés de leurs responsabilités en cas, par exemple, d’immobilisation contrainte du navire. Les responsabilités seront-elles assumées par ces sociétés de travail maritime implantées dans des contrées lointaines ?

Les sociétés d’assurance accepteront-elles, vu le risque élevé, d’assurer les armateurs en cas de défaillance de ces sociétés de marchands d’hommes. La dernière version de votre proposition de loi ne prévoit d’ailleurs aucune obligation en la matière.
Certains de nos ports ont eu à subir ces dernières années la présence de navire abandonnés avec à bord des marins étrangers engagés sous pavillon de complaisance, impayés depuis des mois !

Je reste convaincu que la réponse que vous proposez est inappropriée !

Vous nous expliquez dans votre rapport que si la France disposait d’une flotte de commerce importante, elle aurait d’autant plus de poids pour influencer dans un sens positif les normes internationales qui se négocient dans le cadre de l’OIT ou de l’OMI. J’avoue avoir beaucoup de mal à comprendre comment la France en déréglementant son propre droit du travail serait mieux à même, en respect de sa tradition humaniste, d’améliorer le contenu des conventions internationales !
Votre proposition de loi permettra sans doute d’enrayer le déclin du pavillon français mais à quel prix si elle attire des « voyous de la mer » désormais protégés par la respectabilité traditionnellement attachée au drapeau français ?

Qui plus est, et selon l’avis de juristes patentés, votre proposition de loi accentue encore l’illisibilité du droit maritime. L’ambiguïté même de ce texte qui laisse la porte ouverte à de multiples interprétations est permissive aux abus de tout genre.

Enfin, si dans la seconde version de votre texte le champ d’application de la loi est plus précis, excluant nommément un certain nombre de navires, il n’en demeure pas moins que rien n’empêchera par exemple que l’on applique le RIF aux navires effectuant du cabotage consécutif assurant des liaisons nationales puis internationales extra-communautaires ; par exemple une liaison Marseille-Bastia puis Bastia-Tunis.

N’est-ce pas au fond, votre intention, Monsieur de Richemont que de vouloir développer le cabotage immatriculé au RIF ?
Certains n’hésitent pas en tout cas pas à aller dans ce sens…Nous l’avons vu ce matin en Commission quand la sagesse de la Commission a été exprimée pour faire passer le cabotage national sous RIF.

Je comprends les motivations qui sont les vôtres, Monsieur de Richemont, certaines sont certes louables.

Il n’en demeure pas moins que notre groupe s’oppose radicalement à ce texte qui banalise les pratiques d’un autre siècle !
Nous soutenons pleinement tous les marins qui sont en grève aujourd’hui contre la régression sociale. Nous sommes aux côtés de l’intersyndicale qui s’est prononcée à l’unanimité contre votre proposition de loi. Les craintes d’une extension de l’immatriculation RIF à d’autres types de navires semblent bien se confirmer.

Pour toutes ces raisons, nous n’avons déposé aucun amendement ! Et nous refusons de prendre part à l’examen d’un texte particulièrement régressif sur le plan social et qui contribue à tirer vers le bas les normes de sécurité maritime.
Raisons pour lesquelles nous avons déposé une question préalable.

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