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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Développement de la participation et de l’actionnariat salarié

Par / 8 novembre 2006

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

Selon M. Borloo, le texte que nous examinons, aurait vocation « à modifier en profondeur le regard porté sur l’économie de marché et le capitalisme français ». « Turbo de cohésion sociale et de dynamisme économique » la voie choisie du développement de la participation, au sens large du terme, serait rien de moins qu’un « vrai projet de Société ».

D’après M. Larcher, il faudrait voir ce projet de loi comme « une réponse à la société d’aujourd’hui confrontée aux réalités de la globalisation où parfois la logique financière semble donner le ton ».
Monsieur Breton lui, nous invite à passer outre les mesures juridiques et techniques pour ne retenir que l’essentiel, l’esprit du projet de loi, les valeurs gaulliennnes dont il se réclame...
Nous pourrions presque fermer les yeux et nous laisser bercer par cette douce musique. Nous ne sommes toutefois pas naïfs.

Nous mesurons, chaque jour, les effets pervers, dévastateurs de la financiarisation de notre économie. Au premier semestre, la France a battu un record en matière de fusions-acquisitions. Leur montant s’est élevé à près de 111 milliards de dollards contre 36 milliards de dollards au cours du premier semestre 2005. Résultat de ces concentrations pour les salariés du câble, c’est un plan de licenciement annoncé par UPC/Noos, touchant un millier de salariés.

Dans ce contexte de « capitalisme de casino » pour reprendre la formule du secrétaire confédéral de la CES et alors même que ce gouvernement encourage les stratégies de rentabilité à deux chiffres, comment croire que vous ambitionniez le développement de la participation et de l’actionnariat salarié afin de réussir à stabiliser le capital de nos entreprises et à peser sur les choix des investisseurs institutionnels, des actionnaires ?
Nous comprenons, en outre, que votre besoin soudain de « réconcilier le social et l’économique » sert, en fait, les intérêts du libéralisme. Les salariés ne percevant plus seulement leur salaire mais disposant également de produits du capital, participeront pleinement au système capitaliste. Vous maquillez le visage de l’exploitation de la force de travail de l’homme, celle -ci n’en demeure pas moins sordide.

Quant à votre discours idéal sur l’entreprise, sur la place et la considération accordées aux salariés, il prêterait presque à sourire si la réalité du quotidien du salariat, des cadres y compris, n’était pas aussi dur. Poids du chômage et de la rentabilité ; pratiques managériales déstructurantes ; fiche de paie en ligne variant selon les résultats des commerciaux ; perte de sens et stress au travail ; discrimination syndicale ; des salariés toujours nombreux à perdre leur vie à tenter de la gagner....

Des sommets d’hypocrisie sont atteints. Ceux qui, aujourd’hui, défendent ce texte et proposent à l’instar du rapporteur de la commission des finances, que nous passions de la participation à la gestion participative en insistant sur « les quatre besoins essentiels de l’homme et du salarié : besoin, d’être, de savoir, de pouvoir et d’avoir », sur l’information régulière des salariés sur les résultats de l’entreprise », ceux là même bataillaient, hier, farouchement contre certaines dispositions de la loi de modernisation sociale consacrant des droits nouveaux pour les salariés. Un exemple. les règles relatives à l’information du comité d’entreprises préalablement à toute annonce portant sur la stratégie de l’entreprise et ayant des conséquences en terme d’emplois notamment ont été supprimées car portant atteinte au droit boursier.

Votre discours de responsabilisation sociale des entreprises est d’autant moins crédible qu’il est immédiatement contredit par d’autres dispositions contenues dans ce texte, ou les déclarations des organisations patronales auditionnées. Deux illustrations.

L’article 14 quater permet l’adaptation, lire la restriction, par voie d’accord collectif, des modalités d’information du comité d’entreprise et des salariés. Désormais, pour appréhender les enjeux économiques et sociaux déterminant la stratégie de l’entreprise, les membres du CE devront se contenter d’une réunion annuelle. Bel exemple de dialogue social.

Le représentant du Medef s’est ouvertement prononcé contre l’article 15 rendant obligatoire la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d’administration des sociétés. Il « n’est pas opportun - à son sens- de généraliser à l’ensemble de l’économie française le modèle de certaines entreprises ayant fait le choix d’organiser la représentation des salariés dans leur conseil d’administration. » Bel avenir pour votre projet de société.

Pourquoi ce texte ? Serait -ce pour répondre de manière immédiate et ambitieuse aux questions salariales récurrentes dans le contexte économique et social que nous connaissons, marqué par l’insécurité ?
S’agissant du débat central sur le partage des fruits de la croissance, permettez-moi, là encore, de mettre en doute votre volontarisme.
Jusqu’à présent, le gouvernement s’est toujours refusé à répondre véritablement aux demandes d’augmentation des salaires, ces dernières jouant prétendument contre l’emploi. Sa politique d’allègements de cotisations sociales patronales s’appliquant largement aux rémunérations comprises entre 1 et 1,6 Smic, est responsable de la smicardisation du salariat, des trappes à bas salaires. Désormais, 40% des rémunérations des salariés à temps plein sont sous la barre des 1,6 Smic.
Rien de surprenant alors, que chaque année avant la revalorisation du Smic, le débat ressurgisse, prenne un relief particulier dans la mesure où depuis trois années consécutives les actionnaires heureux affichent avec arrogance des profits toujours orientés à la hausse et les patrons du CAC 40 s’enorgueillissent de salaires démesurés, grossis de surcroît par diverses primes, bonus et parachutes dorés exprimés en millions d’euros.

Pour reprendre le bulletin du mois d’août de la Banque de France, Les profits dépassent 10% du PIB. Les sociétés en tête du CAC 40 disposent de plus de 1 100 milliards de liquidité. Pourtant, cette majorité continue de nier l’évidence, la détérioration du partage de la valeur ajouté au détriment des salaires. M. Raffarin comme M. De Villepin, ont accepté la pression sur les salaires, M. Sarkozy propose aux salariés de recourir aux heures supplémentaires, et tous avancent le leurre du dividende du travail et soutiennent la relance de la participation.
Vous êtes dans la même posture de déni concernant la baisse du pouvoir d’achat et la dégradation des conditions de vie de nos concitoyens.

Malgré la sous-estimation du poids de certains postes de dépenses dont le logement et de l’impact du passage à l’euro sur les prix, les enquêtes les plus récentes, de l’INSEE ou de la DARES confirment toutes les estimations des syndicats, qui évaluent la perte de pouvoir d’achat des salaires de 5 à 7,5% entre 2000 et 2005,
Les dépenses incompressibles des ménages n’ont cessé d’augmenter : hausse des loyers de 28% en quatre ans, flambée du prix du gaz de 23,5% en une seule année. Pour l’essence c’est une hausse de 15%, et 10% pour le fioul.
Dans ces conditions donc, porter le Smic à 1500 euros est possible et nécessaire. Reste que cela n’est pas suffisant, nombre de salariés étant rémunérés à un taux horaire inférieur au Smic.

Les réponses passent par des grilles de rémunérations qui respectent, a minima, le niveau du SMIC, et c’est malheureusement loin d’être le cas.
Selon nous, cette question des bas salaires appelle aussi des réponses en terme de stabilisation des emplois, de limitation des recours aux emplois précaires, aux stages, aux CDD.

Nous proposerons ainsi une série d’amendements allant dans ce sens.
J’espère que nous serons entendus sur ces différents points car sur le marché de l’emploi, les conditions ne sont guère favorables. 15% de la population active est actuellement sous-employée.
Presque un emploi sur 5 est un emploi sous contrat à durée déterminée, à temps partiel, ou en intérim.
Et c’est d’ailleurs l’intérim qui vient soutenir l’emploi en France, car les embauches à temps plein, en contrat à durée indéterminée, ce qui était encore la règle il y a quelques années, disparaissent peu à peu.

Quant aux chiffres du chômage, impossible aujourd’hui d’en avoir une estimation crédible, car les 8,8% avancés sont, de l’avis général, bien loin de la réalité.
On peut évaluer à un million de chômeurs (ce qui élève le nombre de demandeurs d’emplois largement au dessus des 3 millions), ceux qui échappent aux statistiques officielles, du fait des radiations massives, ou des déclassements d’une catégorie de demandeurs d’emploi à une autre.

Travailler ne permet plus de subvenir à ses besoins. 1,3 millions de travailleurs sont aujourd’hui considérés comme pauvres, c’est-à-dire que leur revenu demeure inférieur à 650 euros. Cela représente 5% de la population active. Plus du quart des sans-abri ont un travail. Fin 2005, plus de 6 millions de personnes dépendaient directement ou indirectement des minima sociaux.
Non seulement la pauvreté ne régresse plus dans notre pays, mais certains indicateurs témoignent plutôt de son augmentation. Le surendettement des ménages a augmenté de 9,8% en un an, et les expulsions locatives pour cause de loyer impayés ont bondi de 40 % en 6 ans.

Voilà, monsieur le Ministre, le contexte dans lequel nous examinons ce projet de loi. Cet éclairage renforce le décalage entre votre diagnostic, le discours politique, les solutions proposées et la réalité. Il nous permet d’affirmer que ce projet de loi sur la participation sera bien loin de répondre aux attentes des français.
Il ne règle ni le débat sur le partage des fruits de la croissance, ni les questions touchant aux niveaux et mode de rémunération des dirigeants d’entreprises. Ce n’est pas la réponse adaptée à l’exigence de gains immédiats en terme de pouvoir d’achat, et ce pour l’ensemble des salariés.

Pire encore, ce texte risque d’accroître davantage les écarts de rémunération entre les salariés.
La récente étude de l’INSEE de septembre 2006, intitulée « Epargne salariale : des pratiques différenciées selon les entreprises et les salariés », ne vous fait pas bonne presse.

On y lit notamment que « 10% des salariés les mieux lotis en matière d’épargne salariale ont perçu 40% des sommes versées à ce titre. »
Les conclusions de l’enquête sont claires : partout où il existe des inégalités de salaires, l’épargne salariale les amplifie.
Ajoutons qu’entre 2000 et 2004, l’épargne salariale a bondi de 6,7% par an, alors que les salaires n’ont pas progressé sur la période et concluons qu’il existe un réel danger de substitution de la première à une vraie politique salariale.

N’est ce pas là l’un de vos objectifs ?
Ce texte participe de votre volonté de faire progressivement adhérer l’ensemble de la société, et les travailleurs en particulier, au modèle capitaliste et libéral.
L’idéal serait pour vous et le Medef que les salariés non seulement concourent, mais cautionnent leur propre exploitation.
Et pour cela, vous les bercez de l’illusion qu’ils recevront quelques miettes.

En réalité, la participation financière, comme l’actionnariat salarié est une arme redoutable pour flexibiliser les salaires, et individualiser les rapports sociaux.
Avec ce dispositif, la rémunération des travailleurs vient après les profits, elle devient quasiment subsidiaire, soumise aux aléas des marchés boursiers, et des investissements financiers.
Et les conséquences sur l’organisation du travail sont lourdes.

De façon insidieuse, ces formes de rémunérations contournent les structures collectives existantes, qui protègent le salarié dans la relation inégalitaire qui le lie à son employeur.
Il se retrouve seul face à son patron, qui lui par contre, dispose de moyens de pression bien plus importants que lorsque la rémunération ne dépend que des négociations collectives ou des accords de branches.
C’est le monde du travail tel que rêvé par le MEDEF.
Une structure sociale organisée autour de l’entreprise, qui aurait à ce point-là assimilée ses salariés, que toutes revendication aurait disparue.
Et où la dégradation des conditions d’emploi et de salaire serait admise, au nom de l’impératif de profit.
La lecture de vos intentions est plus simple encore dans le titre III du projet de loi « dispositions relatives au droit du travail ».

On y retrouve la même volonté de flexibiliser plus encore la main d’œuvre, avec la mise à disposition des travailleurs, ce qui équivaut tout simplement à des prêts de salariés, illégaux jusqu’à présent.
Même volonté d’éclatement du monde salarial avec le congé de mobilité, qui coupe le travailleur de la protection de son contrat de travail, sans qu’il dispose pour autant des garanties offertes par le système des ASSEDIC.
Et c’est déjà le cas avec le contrat de transition professionnelle, dont on nous demande de ratifier l’ordonnance.

Même objectif enfin, avec la suppression de la contribution Delalande, qui ouvre la voie, pour les entreprises, au licenciement de leurs salariés âgés.
Un mot enfin, sur la lettre rectificative, venue compléter le texte au moment de la rentrée.
Je ne m’attarderai pas sur la méthode, courante dorénavant pour ce Gouvernement, qui consiste à glisser dans les textes législatifs, des dispositions sans lien avec eux, mais qui répondent, au gré des déclarations ministérielles, à de l’opportunisme politique.
Ainsi, nous examinerons l’autorisation de cotation boursière des clubs sportifs, une disposition loin de faire consensus dans la majorité, tant les exemples étrangers poussent à la réserve.

Et nous examinerons aussi la création du Chèque transport.
Un dispositif laissé au libre choix de l’entreprise, donc qui restera probablement sans effet, mais qui recèle tout de même l’avantage, pour les entreprises, de pouvoir bénéficier d’un niveau non négligeable d’exonérations de charges.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les annonces de moralisation des marchés financiers, ou les soi-disant déblocages de participation, ne parviennent pas à nous convaincre.
A moins que la Haute Assemblée accepte de recentrer le débat sur les questions de la qualité des emplois, et de niveau de rémunération salariale, nous voterons contre ce texte.

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