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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Développement économique de l’Outre-mer : question préalable

Par / 10 mars 2009

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le moins que l’on puisse dire est que la nouvelle manière d’appréhender le travail législatif ne nous met nullement à l’abri de considérations plus profondes sur son sens et sur son essence.

En effet, voici que nous entamons aujourd’hui l’examen d’un projet de loi dit « de développement économique de l’outremer », dont l’intitulé n’est pas sans nous interroger. Les développements social, durable ou humain sont sans doute englobés dans cette notion de développement économique, à moins qu’ils ne soient absents même du texte.

Le projet de loi que nous examinons ce soir, cela a été rappelé à maintes reprises, a été déposé sur le bureau du Sénat le 28 juillet 2008. La procédure d’urgence a été invoquée le 16 février dernier, c’est-à-dire pratiquement sept mois après le dépôt du texte !

Urgence pour urgence : ce qui a provoqué cette soudaine décision du Gouvernement tient à une raison très simple. Depuis plusieurs semaines, la Guadeloupe était entrée en lutte, dans un mouvement social et politique d’une ampleur sans précédent et la Martinique avait commencé de la suivre depuis une dizaine de jours.

Au moment où nous parlons, c’est la Réunion qui est concernée, à son tour, par un mouvement social d’importance. Les mêmes effets ayant souvent les mêmes causes, rien ne justifiait qu’il en aille autrement.

À vrai dire vrai, le mouvement social que connaît l’outre-mer par sa diversité, sa profondeur, son ampleur sans précédent et sa détermination, a agi comme un formidable révélateur. Révélateur des disparités, des injustices, du scandale de la répartition des richesses dans ces territoires ultramarins où la crise est d’autant plus dure que l’économie locale est depuis longtemps confisquée par quelques-uns.

N’ayons pas peur de le dire, l’image qui est véhiculée en France métropolitaine sur les départements et collectivités d’outre-mer était, jusqu’à il y a peu, une image tronquée, faussée. Cette image, c’est celle de l’assistanat social généralisé, doublé du paradis touristique pour vacanciers métropolitains en mal de dépaysement.

D’aucuns continuent d’ailleurs, sans la moindre vergogne, d’asséner quelques arguments complémentaires pour valider ces représentations inexactes de la situation. On peut lire dans Le Figaro ou La Tribune, dont le sérieux est pourtant reconnu sur la place de Paris, que l’outre-mer est coûteux parce qu’il faut verser des aides sociales quasiment à fonds perdus et consentir des dépenses publiques dans tous les domaines pour continuer de maintenir la situation de ces territoires.

La réalité est toutefois bien différente. J’en soulignerai quelques points.

Dans les quatre départements d’outre-mer travaillent 570 000 salariés, et l’on y compte plus de 320 000 emplois dans le secteur privé. Les quatre départements d’outre-mer comptent aussi 132 000 entreprises, dont 90 000 n’ont aucun salarié et plus de 33 000 comptent moins de 10 salariés.

L’outre-mer dégage certes un produit intérieur brut plus faible que celui des autres régions de France, mais cela ne doit pas faire oublier que l’on distribue, dans les quatre départements ultramarins, plus de 11 milliards d’euros de salaires et traitements ou encore plus de 2,3 milliards d’euros de prestations au titre de l’assurance vieillesse.

Cela ne retire rien au fait que les salaires du secteur privé y sont scandaleusement bas et que la vie y est scandaleusement chère !

Non, l’outre-mer n’est pas peuplée que de ménages vivant du RMI ou de travailleurs chroniquement privés d’emploi !

L’outre-mer, c’est aussi une population sensiblement plus jeune que celle de la métropole, même si la transition démographique tend à se généraliser et à en modifier la structure. La jeunesse, qui attend de vivre comme celle du reste du nôtre pays, dont le niveau de qualification initiale s’élève, dont la formation s’améliore, reste confrontée aux limites d’une économie toujours sous tutelle.

Le projet de loi qui nous est soumis répond-il à l’urgence des situations que je viens de décrire ? Permettez-nous d’en douter.

Une fois encore, une fois de plus, une fois de trop, peut être, on nous propose d’utiliser les mêmes outils : réduction des impositions diverses dues par les entreprises, allégements de cotisations sociales, aides sectorielles destinées à répondre aux attentes et aux difficultés de quelques segments d’activité jusqu’ici pourtant déjà largement bénéficiaires des subsides anciens.

Bien que les salaires et pensions constituent 87 % de l’assiette de l’impôt sur le revenu, ce sont les revenus d’activité non salariée qui font l’objet de la sollicitude gouvernementale !

Et l’on peut bien consacrer une enveloppe de 688 millions d’euros à l’amélioration des conditions de vie outre-mer, il n’en demeure pas moins que les grandes masses sont ailleurs.

Ainsi, l’État dépense 1 050 millions d’euros pour financer la défiscalisation des investissements institués sous l’empire des lois Pons et Girardin. Il dépense aussi près de 1 200 millions d’euros pour alléger les cotisations sociales des entreprises, qui sont ainsi les principaux bénéficiaires des engagements publics !

L’image, complaisamment véhiculée, de l’assistanat, nous donne envie de poser une nouvelle question : où sont les assistés ? Sont-ils dans le quartier du Chaudron à Saint-Denis de la Réunion, dans celui de Trénelle-Citron à Fort-de-France, ou dans le quartier nord de Kourou ? Nous n’en sommes pas tout à fait convaincus, bien que nombre des familles vivant dans ces quartiers connaissent les plus grandes difficultés sociales, les plus grandes difficultés d’insertion professionnelle.

Il y a en revanche des assistés bien mieux installés dans la vie, comme par exemple ces 800 familles de la Réunion disposant d’un revenu moyen de 150 000 euros annuels et non soumises à l’impôt sur le revenu ! Et nous en trouvons 200 autres en Martinique, 200 en Guadeloupe et 70 en Guyane ! J’ajoute que, dans les départements d’outre-mer, on compte près de 3 000 contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune !

À Fort-de-France, sans doute à peu de distance des quartiers sensibles de Dillon, de Volga ou des Terres Sainville, vivent 123 redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune, dont le patrimoine total s’élève à 275 millions d’euros !

Nul doute qu’une bonne part de la population la plus fortunée et la moins accablée par la situation générale de l’outre-mer a largement trouvé son compte dans les politiques publiques qui ont été engagées depuis une vingtaine d’années.

Nul doute non plus que la défiscalisation a connu un certain succès parmi les catégories les plus aisées de la population ultramarine et qu’elle a constitué une forme de sport national pour des redevables dont le lien avec l’outre-mer est particulièrement ténu.

Dans bien des quartiers bourgeois et huppés de Paris et de sa banlieue, les investissements outre-mer n’ont jamais constitué une œuvre de salut public ni l’expression d’une soudaine miséricorde pour des populations accablées par la crise et par le chômage ! Ces investissements ont été conçus comme un moyen de payer moins d’impôt sur le revenu, comme une niche fiscale supplémentaire, d’autant plus généreuse que la procédure d’agrément des investissements éligibles était pour le moins assez peu contraignante.

Dans cette affaire, le problème tient au fait que l’argent public, cette matière de plus en plus rare et de plus en plus précieuse, n’a pas été utilisé avec toute la rigueur qui aurait convenu et que les dérives et les effets pervers se sont multipliés. Il serait trop long de citer ici l’ensemble de ces effets pervers, une fois passée l’illusion plus ou moins tenace de la relance de l’activité.

Ainsi, le nombre d’emplois créés liés aux politiques publiques mises en œuvre outre-mer s’est révélé clairement insuffisant pour faire face à la fois à la résorption du chômage existant et à la demande d’emploi des nouveaux arrivants sur le marché du travail.

Les taux de chômage de la population ultramarine demeurent importants malgré la régulation qui procède bien souvent de l’émigration des jeunes sans emploi vers la métropole, phénomène qui ne s’est de toute façon pas interrompu.

La crise économique qui se développe n’épargne pas l’outre-mer.

Pour ne donner qu’un exemple, je prendrai celui de la Réunion où le taux de chômage a connu, au cours de l’année 2008, une progression non négligeable - 8 % de chômeurs de plus sur les trois premiers trimestres et 9 % en glissement annuel - tandis que le nombre des offres d’emploi a diminué, à l’inverse, de 8 % sur la même période.

De même, et le temps passant, on a inscrit notre outre-mer dans une dépendance économique étroite vis-à-vis de la métropole, dont on a pu mesurer le caractère stupéfiant durant le mouvement social des dernières semaines.

Nombre de produits de première nécessité sont importés de métropole, tandis que certains produits alimentaires, qui pourraient fort bien être produits sur place, sont abandonnés ou délaissés.

Les relations économiques entretenues avec l’environnement immédiat de chacun des départements et territoires d’outre-mer sont faibles ou insuffisantes, ce qui rend encore plus insupportables les effets cumulés des coûts de transport, des prélèvements fiscaux et de la recherche de la marge opérationnelle des distributeurs.

L’abus de position dominante dont jouissent, dans chaque département ou territoire, certaines familles de la grande distribution, est une évidence. Il faut bien souvent y ajouter des conditions léonines imposées aux producteurs locaux désireux d’écouler leur production sous ces enseignes, comme en témoigne l’allongement continu des délais fournisseurs et des marges commerciales sans équivalent.

Pendant que M. Willy Angèle implore pitié pour les pauvres chefs d’entreprise de Guadeloupe qu’il représente pour le MEDEF, les statistiques officielles nous indiquent que le taux de marge des entreprises locales est supérieur à celui des entreprises métropolitaines.

Les bas salaires ont du bon, notamment quand ils deviennent une véritable industrie et une trappe à défiscalisation et à allégements de cotisations sociales !

Ce projet de loi rompt-il profondément avec la logique qui a depuis si longtemps - et sans doute depuis trop longtemps - animé les politiques publiques outre-mer ?

À l’évidence, ce n’est pas le cas. Dans nombre de dispositions, pourtant attendues - passeport mobilité ou fonds d’investissement exceptionnel -, les sommes engagées sont d’un montant fort éloigné des besoins réels, et aucune réponse n’est réellement apportée à l’une des difficultés essentielles des entreprises ultramarines : le manque d’accès au crédit bancaire, qui prive la plus grande part des entrepreneurs de toute capacité de financement pérenne de leur activité.

Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez indiqué que votre texte présentait un caractère purement conjoncturel et qu’il serait peut-être suivi d’un autre, porteur de mesures plus fortes.

L’une des pistes évoquées, dans le droit-fil des recommandations de la Commission Balladur, est de procéder à la fusion des départements et des régions d’outre-mer en une collectivité unique.

Mais, à la vérité, ce « court termisme », que vous auriez très bien pu gérer au travers de mesures réglementaires circonstanciées et adaptées, n’est pas ou n’est plus de mise.

C’est à une vaste remise à plat, une réelle remise en question des relations entretenues entre la métropole - de plus en plus suivie par l’Europe, dont l’ombre insistante se fait plus présente chaque jour - et l’outre-mer que nous devons nous atteler.

Ce texte n’est donc pas urgent, puisque le mal est plus profond, qu’il impose de prendre le temps d’une réflexion renouvelée, et que les conditions déplorables d’examen du présent projet de loi ne permettent pas de mener le débat comme il conviendrait.

Au nom de la solidarité et de l’attention que nous devons à nos compatriotes ultramarins, à leurs attentes, à leurs aspirations, à leurs capacités créatrices jusqu’ici trop souvent bafouées, nous ne pouvons qu’inviter le Sénat à voter en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable.

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