Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Entreprises de transport aérien : question préalable

Par / 12 février 2003

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

La discussion générale vient de montrer, ainsi que l’on pouvait s’y attendre, quels étaient les véritables attendus du projet de loi que nous examinons.

Il s’agit en effet bel et bien, dans la logique du Gouvernement, de procéder à la poursuite de la mise en œuvre de la déréglementation et de la libéralisation du transport aérien, le cas d’Air France étant dans les faits, à la fois conjoncturel et plus profondément stratégique dans cette optique. La crise d’Air Lib tombe bien mal. Elle montre les dégâts que peut causer le libéralisme et les menaces qu’il fait peser sur le service public et sur l’emploi.

Les arguments apportés dans l’exposé des motifs et que vous avez rappelé, Monsieur le Ministre à notre Commission, sont bien peu convaincants pour l’avenir de l’entreprise, celui de ses salariés, mais surtout, ils n’ouvrent aucune perspective de réponse sur les choix que le gouvernement propose aux défis de l’aménagement du territoire dans une démarche de développement durable.

Le transport aérien est l’un des modes de déplacement qui a sa pertinence aux côtés des autres modes de transport. Quelle est la réflexion du gouvernement sur ces complémentarités indispensables ? Comment entend-on traiter l’accessibilité des populations à ces moyens de communication ? Quel contenu de service public peut-on assigner aux entreprises de transport et quelles mesures l’Etat est-il prêt à y consacrer ? Rien n’est dit.
Puisqu’en 1993 la privatisation d’Air France était déjà prévue par la loi, pourquoi présenter un texte qui, en fait, veut laisser croire que l’on engage un débat public sur le sujet, alors qu’aucune orientation sur les domaines des transports n’est véritablement présente ?

Ce texte est, en fait, un texte d’application pur et simple de la loi de 1993 et vous regrettez, sur le fond, qu’elle n’ait pas pu se mettre pleinement en œuvre. L’ouverture du capital en 1999 ne vous suffit plus. Vous voulez aller au-delà. Pourquoi ? Vos arguments sont loin d’être convaincants ?
Vous nous dites que nous sommes des dogmatiques lorsque nous proposons de garder une entreprise nationale (ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas en améliorer encore son activité), mais je crois qu’aujourd’hui l’attitude dogmatique, celle du libéralisme à tout prix, est bien de votre côté.

J’aimerais en venir à quelques données essentielles.
Entreprise publique depuis la Libération par une volonté politique forte des gouvernements issus de la Résistance dans la perspective du redressement du pays, la Compagnie Air France a connu un parcours pour le moins significatif dans son évolution générale dans un contexte difficile.
Nous l’avons affirmé dans le cadre de la discussion générale, le statut public de la compagnie nationale ne lui a pas empêché d’acquérir de fortes positions commerciales, illustrées par sa situation financière globale et ses positions sur le « marché » du transport aérien.

Il est d’ailleurs significatif que l’on mette aujourd’hui sur les rails la perspective de la privatisation, alors même que la situation financière et comptable du groupe Air France dans son ensemble est, c’est le moins que l’on puisse dire, quelque peu différente de celle d’autres compagnies aériennes, et nous pourrions dans ce cadre citer British Airways (qui a goûté de longue date aux délices de la privatisation) ou encore United Airlines.

Cette compagnie américaine connaît en effet aujourd’hui des difficultés financières majeures qui l’amène aujourd’hui d’ailleurs à solliciter du gouvernement de Monsieur Bush, pourtant attaché au libéralisme, une intervention venant au secours d’un secteur aérien en grande difficulté aux Etats Unis, où les pertes cumulées des compagnies majors dépassent les 9 milliards de dollars.

Pour en revenir au cas du groupe Air France, chacun sait ici que sa situation actuelle est largement imputable aux efforts et aux sacrifices que les personnels ont du consentir il y a peu, notamment dans le cadre de l’ouverture du capital débattue ici même en 1998 et inscrite dans la loi n°98-546 du 2 juillet 1998, pour laquelle notre collègue, Pierre LEFEBVRE, avait exprimé toutes les inquiétudes de notre groupe, mais elle restait une entreprise publique avec l’Etat, actionnaire principal, et capable donc d’infléchir les orientations de la société en fonction du rôle souhaité par notre pays dans le domaine du transport aérien.

A l’époque, effectivement, Air France n’était pas dans une situation financière aussi favorable qu’aujourd’hui, lourdement endettée, en raison de choix d’alliances et d’investissements externes pour le moins discutables.
Mais cet endettement du groupe était également imputable à des choix de gestion, déterminés au plus haut niveau, mettant les entreprises publiques en demeure de dégager soit par l’autofinancement, soit par l’endettement auprès des établissements de crédit ou des marchés financiers, les moyens nécessaires à leurs investissements et leur développement.

Nous débattons de ce projet de loi à un moment où, compte tenu de sa bonne marche, elle peut être considérée, par certains, comme une sorte d’opportunité boursière.
Pour l’Etat, toujours sur le court terme, l’opération est susceptible de dégager une partie significative du produit attendu des opérations d’alimentation du compte d’affectation spéciale n° 902 - 24, estimé par la loi de finances à 8 milliards d’euros pour 2003. Nous savons bien que d’autres entreprises publiques ont besoin du soutien financier de l’Etat.
Mais nous le savons bien aussi, le gouvernement veut répondre aux exigences du Traité de Maastricht et réduire son déficit, comme les choix qui sont faits depuis le mois de juin dernier, sont catastrophiques et risquent de le creuser encore plus. D’autres choix peuvent mieux alimenter le budget de l’Etat.

Nous ferons grâce à votre Gouvernement de limiter notre appréciation sur cette opération, à une simple opportunité. Je voudrais revenir sur l’un des autres arguments invoqués : celui d’une privatisation nécessaire au passage d’alliances industrielles et commerciales fondées entre autres sur un processus de participations croisées, ou d’échange de titres.
Un tel changement de situation juridique est il indispensable et incontournable ?
Nous ne le pensons pas et cela se fonde notamment sur une analyse d’opérations proches menées dans d’autres secteurs récemment et qui ont pu conduire certaines entreprises à connaître des difficultés majeures.

Le fonds de la question se situe sans doute, en effet, dans l’absence d’un bilan complet et précis de toutes les ouvertures de capital. Avant même de vouloir s’engager dans une privatisation dont l’issue sera désastreuse pour les entreprises de transport aérien, le plus judicieux serait de faire un véritable point sur les conséquences de ces décisions. C’est le cas pour France Télécom.
De la même manière, certaines des alliances passées d’Air France lui ont causé quelques déboires, montrant à l’envi que la simple appréhension du développement de l’entreprise sur des critères strictement financiers n’était pas la solution la plus adaptée.

Le statut d’entreprise publique du groupe Air France n’est donc pas un obstacle, loin de là, au passage d’alliances industrielles ou commerciales. L’Etat peut et doit garder un rôle d’actionnaire principal et le jouer pleinement.
Est-ce inconcevable, dans le contexte économique actuel, de déterminer un service public du transport aérien, porté par des entreprises du secteur public où l’efficacité sociale et économique ne serait pas fondée uniquement sur la progression de la courbe de rentabilité.

Dans cette optique, c’est le renforcement de son rôle de service public qui doit être à l’ordre du jour, la péréquation tarifaire doit à nouveau devenir un objectif. Il est, en effet, déplorable de constater que ce sur certaines lignes, des tarifs exorbitants sont pratiqués, parce qu’elles sont jugées peu rentables.
Ainsi, il convient, au plus vite, d’opérer un ajustement des coûts, pour que chaque usager des entreprises de transport public possède le droit d’être en mesure d’utiliser ce service en toute égalité.

Notre pays dispose en effet aujourd’hui d’une grande compagnie nationale, occupant des positions commerciales fortes, diversifiées, ce qui lui a d’ailleurs permis de moins subir que d’autres la pression à la baisse qui s’est exercée sur l’ensemble du trafic Atlantique Nord après les attentats du 11 septembre 2001.
Il dispose également d’un opérateur décisif en matière d’aménagement, de conception et de gestion de plate - formes aéroportuaires, c’est Aéroports de Paris, dont la compétence est largement reconnue au delà même de nos frontières.

Il faut aujourd’hui affirmer une volonté publique politique concevant le transport aérien en complémentarité des autres modes de transport. Il est nécessaire de se positionner dans une vision claire des véritables besoins des populations sur le territoire national avec, comme objectif premier, une conception nette d’un développement durable du transport. Cela suppose de choisir le mode de transport le plus pertinent pour répondre aux besoins.

Le développement du train à grande vitesse sur certaines liaisons rend parfaitement inutile tout projet de relance de desserte aérienne. Dans le même temps, sur certains éléments du marché domestique, des perspectives de développement demeurent et l’on pense entre autre, à la desserte du bassin méditerranéen ou encore, des départements et territoires d’outre-mer.
De telles perspectives de développement inscrites de manière plus générale dans le développement même des pays et territoires concernés, peuvent-elles être valablement prises en compte dans le cadre d’une gestion privée ?
Nous ne le pensons pas, ce qui pose clairement la question de la fiabilité politique du choix stratégique qu’implique l’adoption du projet de loi.

Car c’est bel et bien cela qui est en cause avec le présent projet de loi, quand on sait quelles orientations ont pu être imprimées aux entreprises publiques privatisées depuis 1986 dans bien des domaines.
Au delà en particulier d’alliances plus ou moins circonstancielles, ce sont en effet dans bien des domaines des choix économiques tournant le dos aux intérêts de la Nation dans son ensemble qui ont été validés.
Que dire des plans sociaux en cascade qui ont affecté de nombreuses entreprises privatisées, liquidant chaque fois plus d’emplois et d’activités pourtant essentielles ou importantes pour notre pays ?

L’histoire des privatisations, ces quinze dernières années, est sans cesse jalonnée de ces événements qui, si certains considèrent qu’ils font en quelque sorte partie de la règle du jeu, en matière économique, dès lors que l’on fonde la viabilité d’une entreprise sur sa rentabilité, ont affecté et continuent d’affecter la vie économique et sociale du pays.

S’agissant du transport aérien, qui est notre sujet de ce jour, nous sommes confrontés à des enjeux clairs : vous nous proposez, dans un contexte de développement à venir du trafic, de laisser agir le marché, qui serait la meilleure garantie de réponse aux attentes de la clientèle.
Dans cette perspective, la privatisation d’Air France, comme nous l’avons souligné, constituerait le premier pas d’une privatisation de l’ensemble de la filière, et notamment dans le cadre de la logistique aéroportuaire et de la sécurité.

Répondrait-elle aux impératifs d’un service public à la hauteur des attentes ?
Permettrait-elle notamment de relever les défis de la complémentarité intermodale, de l’aménagement du territoire, de l’amélioration de la liaison entre les différentes parties du territoire national en Métropole, en Europe et Outre Mer ?
Les contraintes liées à la rentabilisation de l’acquisition des titres, les visées financières de court terme ne constituent-elles pas un obstacle à la mise en œuvre des objectifs que je viens de rappeler ?
Nous le pensons.

Et nous estimons qu’à moyen terme, ce seront les personnels qui feront les frais de cette opération, au travers notamment d’une recherche de réduction des coûts de production du service rendu, passant notamment par l’externalisation d’un certain nombre de fonctions, dont on sait qu’elle fut à la base de difficultés antérieures de la compagnie nationale.

Et, au delà des personnels, ce sera le service public du transport aérien dans son ensemble qui sera victime du choix que l’on nous demande d’avaliser aujourd’hui.
C’est donc pour l’ensemble de ces raisons que les parlementaires du groupe Communiste Républicain et Citoyen vous invitent à adopter cette question préalable, en rejetant sans appel ce projet de loi.

Il faut, au contraire, garder toutes les capacités de notre entreprise publique Air France pour qu’elle puisse, comme vient de le rappeler Odette TERRADE, avoir toutes capacités de reprendre toutes les activités d’Air Lib avec ses salariés pour répondre aux besoins de notre pays.

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