Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Gestion des déchets nucléaires

Par / 13 avril 2005

par Gérard Le Cam

Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,

Nous abordons, par cette question orale du sénateur Revol un élément incontournable de la politique énergétique de la France : la gestion des déchets nucléaires.

Cette question se pose dans le cadre plus global des choix énergétiques de la France pour répondre aux impératifs de sécurité d’approvisionnement, de sûreté des installations, de préservation de l’environnement mais aussi et, peut-être est-ce plus important encore, de la mise en oeuvre d’une réponse énergétique adaptée aux besoins croissants et des technologies à développer pour y parvenir.

Avant d’aborder les conclusions du rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont on ne peut que saluer l’excellente qualité des travaux, je voudrais revenir sur la question centrale de la propriété des moyens de production dans le domaine de l’énergie.
En effet, il y a quelques incohérences dans le discours de la majorité gouvernementale :

D’un côté, et je vous en félicite, vous semblez préoccupé par des considérations écologiques de préservation de l’environnement et de développement durable, et ce, dans le respect des accords de Kyoto, mais d’un autre côté, vous avez, il n’y a pas si longtemps, privatisé l’entreprise publique de production et de distribution d’énergie qu’est EDF, et plus surprenant encore, vous avez ouvert aux investisseurs privés le capital d’AREVA, entreprise du nucléaire civil.

Ce double discours révèle des conflits d’intérêt majeurs entre la promotion du développement durable et les intérêts économiques des grandes sociétés notamment pétrolières.

Cependant, comment peut-on imaginer que la libéralisation à tout crin, que l’Union européenne propose et que notre gouvernement met en oeuvre avec zèle, puisse aboutir à une meilleure prise en compte de l’intérêt général et de la nécessité de préservation du patrimoine public ? Le marché ne peut pas prendre en compte l’intérêt général et encore moins oeuvrer en ce sens.

Clairement, la soumission des entreprises aux règles de gestion privée induit nécessairement la recherche de la rentabilité maximum. L’utilité humaine, sociale, environnementale n’intéresse pas les actionnaires car elle n’est pas source de profit.

Ainsi, les catastrophes écologiques et les menaces climatiques qui pèsent sur notre planète ne peuvent être évaluées indépendamment du système économique et social dans lequel elles ont lieu. Il faut en tenir compte et s’attaquer aux causes plutôt qu’aux effets.

Au moment même où vous nous proposez de « graver dans le marbre » ces principes de soumission de toutes les activités humaines à la loi du marché par le traité constitutionnel européen, il faudrait débattre, avec le sérieux que cela mérite, de la question fondamentale de la gestion des déchets radioactifs ? Alors même que certains commissaires européens souhaiteraient que les déchets soient considérés comme de simples marchandises.

Cette question tient particulièrement à coeur le groupe communiste, républicain et citoyen, mais rien ne sert d’en débattre si nous ne remettons pas en cause les comportements des multinationales et les orientations des politiques publiques qui exploitent sans limite les ressources de notre planère au lieu de les préserver.

La question du devenir énergétique de la planète est pourtant au coeur des grands défis, sociaux, scientifiques et politiques. Celle du devenir même de l’humanité est posée à l’horizon du siècle qui s’ouvre.

En effet, l’augmentation de la production d’énergie dans les prochaines décennies est une nécessité politique comme une réalité démographique. La population mondiale atteindra très vraisemblablement plus de 9 milliards en 2050, et la maintenir à ce seul niveau suppose des avancées politiques considérables sur tous les continents.

En second lieu, la consommation actuelle d’énergie est très inégale dans le monde : 8 TEP (tonne équivalent pétrole) par habitant et par an aux États-Unis, quatre en Europe et au Japon, moins de un dans le reste du monde, en Chine, en Inde, en Afrique. 40 % de l’humanité n’a pas accès à l’électricité. Bien entendu, les inégalités ne concernent pas que l’accès à l’énergie, mais également à l’eau potable, à la santé.

Sans que ces inégalités se réduisent à des questions énergétiques, le développement des peuples exige le recours à des ressources en énergie. En se fixant pour objectif que chacun sur la planète ait accès d’ici cinquante ans à la moitié de ce que nous avons en Europe aujourd’hui, il faudrait pouvoir au moins doubler la production énergétique globale.

D’autre part, l’essentiel de la production énergétique actuelle (plus de 80 %) est basé sur des ressources dites fossiles qui s’amenuisent tellement que la question de l’existence de réserves accessibles, à des échelles de temps très inférieures au siècle, est posée. De plus, les énergies fossiles engendrent des déchets considérables sous la forme principale de gaz carbonique, responsable en grande partie de l’effet de serre.

Pour répondre à ces défis, il nous faut oeuvrer pour une politique énergétique s’intégrant dans un développement durable. Une politique diversifiée, économe en ressources fossiles, respectueuse des équilibres écologiques et climatiques, produisant un minimum de déchets. Cependant, la mise en oeuvre d’une telle politique ferait inévitablement naître des conflits avec les sociétés pétrolières monopolistiques et demanderait des efforts très importants de financement de la recherche. Peut-être ne le souhaitez-vous pas ?

Nous devons par nos choix énergétiques prendre en compte la situation particulière de notre pays. Malgré l’apport des énergies renouvelables, insuffisament aidés au plan fiscal, et des économies d’énergie, l’énergie nucléaire reste une composante indispensable qui permet de lutter efficacement contre l’accroissement de l’effet de serre et nous permet également d’assurer notre indépendance énergétique vis-à-vis des multinationales du gaz et du pétrole. Enfin la filière publique dont disposait notre pays permettait d’en maîtriser la cohérence, la sécurité et les tarifs grâce à la péréquation nationale.

Parallèlement, la question de la technique est aussi importante. Ainsi, dans l’attente des réacteurs de la quatrième génération, la transition par le passage à des réacteurs nucléaires de troisième génération dits EPR, permettant à la diminution de 15% la production de déchets constitue un élément incontournable du débat sur les déchets nucléaires.

Pourtant, faire le choix du nucléaire, implique nécéssairement de se poser la question de la sécurité publique en trouvant des solutions adaptées pour la gestion des déchets radioactifs.

Ainsi, en 1991, le Parlement a voté une loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs dite « loi Bataille ». Celle-ci prévoyait un important programme de recherche dans le but d’assurer une gestion des déchets, respectant l’environnement, les équilibres écologiques, la santé et les droits des générations futures.

Elle engageait la puissance publique dans la recherche de trois types de solutions en réalisant des études sur la séparation et la transmutation pour réduire la durée de vie et la nocivité des déchets, mais aussi des études sur le stockage en surface et sur le stockage profond, à partir de laboratoires souterrains.

Elle devait permettre à l’horizon de 15 ans, soit en 2006, qu’une loi puisse acter les solutions à développer.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologique, mandaté pour remettre un rapport sur ces questions, a fait part de ses conclusions le 16 mars dernier. Ce rapport était très attendu.

Or, il laisse toutes les voies ouvertes pour la gestion des déchets, en fixant la séparation mutation comme objectif ultime, mais en considérant que l’enfouissement reste incontournable. Ce rapport ne nous apprend rien de nouveau et incite à poursuivre sur les 3 voies de la loi Bataille avec priorité à l’enfouissement, solution la plus économique.

La seule avancée réside dans le fait qu’il préconise des recommandations au Parlement qui "pourrait fixer comme objectifs (...) les dates de 2016 pour la mise en service d’un entreposage de longue durée et l’autorisation de construction d’un stockage réversible en formation géologique, 2020-2025 pour la mise en service d’un réacteur démonstrateur de transmutation et la mise en service du stockage géologique, et 2040 pour la transmutation industrielle".

Ce calendrier laisse le temps de consommer l’ensemble des réserves de pétrole pour ensuite réfléchir aux autres sources d’énergies. Ainsi, on peut une nouvelle fois constater que ce sont les monopoles énergétiques qui dictent l’avancée de la recherche.

Nous aurons l’occasion de redébattre de ces questions lors de la discussion du projet de loi qui sera présenté en 2006 sur la base de ce rapport.

Cependant, je tiens dès aujourd’hui, à vous rappeler comme je l’ai déjà fait il y a quelques années, que l’enfouissement ne peut consistuer une solution satisfaisante à long terme et qu’elle pose toutes une série de questions importantes.

L’enfouissement apparaît bien, aux yeux des populations, comme une solution à risque pour l’avenir, ayant un caractère particulièrement irréversible, quelles que soient les précautions prises aujourd’hui. Ce sont les raisons qui ont prévalu à l’opposition de la population de la région de Bretagne pour recevoir des laboratoires d’enfouissement géologique en terre granitique.

La politique de l’enfouissement apparaît bien comme une politique de l’autruche qui permet de cacher ces déchets si encombrants, en laissant le soin aux générations futures de trouver d’autres solutions.

De plus, je vous rappelle que dans le cadre d’une volonté de réduction des déchets il apparaît aussi nécessaire d’acter une réduction concertée de la puissance nucléaire militaire, laquelle n’est pas sans incidence sur ces problèmes de déchets, je pense par exemple, dans ma région au site de l’Ile-Longue, à Brest.

D’autre part, dans le rapport, si l’enfouissement se camoufle sous le terme "stockage géologique" tout au long des pages, l’Office en fait une réalité incontournable.

Il se réfugie derrière le fait que "c’est la solution privilégiée par la plupart des pays nucléarisés" et qu’elle est la voie préconisée par l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA).

Pourtant l’Office insiste sur "les questions techniques difficiles" et déclare que "les paramètres... à prendre en compte sont évidemment nombreux". L’Office reconnaît même "qu’il n’est pas possible de garantir un total confinement des déchets radioactifs sur des échelles de temps très étendues". Est-ce ainsi que notre collectivité se prépare à "prendre ses responsabilités face aux générations futures" ?

De plus, préalablement à l’enfouissement, la loi du 30 décembre 1991 imposait la mise en oeuvre de laboratoires. Or, un seul laboratoire existe actuellement, localisé à Bure, comment expliquer que la loi n’est pas respectée ? Sinon par l’opposition populaire et le manque de crédits consacrés à la recherche.

Pour rappel, sur les 15 sites pressentis en 2000 pour l’accueillir le fameux 2ème laboratoire n’a jamais pu voir le jour, sous la pression de la population.

Par contre, la perspective de la transmutation apparait toujours plus lointaine et toujours plus incertaine, alors qu’il s’agit de la réponse la plus adaptée dans l’état actuel des connaissances.

Alors que la loi Bataille les y obligeait par son article 6, les pouvoirs publics n’ont au cours de ce processus jamais écouté ni fait participer les citoyens ou les élus qui ont suivi de très près ces recherches. En ce domaine, et à l’issue des quinze années accordées par la loi Bataille, les modalités de concertation peuvent se résumer à la mise en place d’un Comité local d’information et de suivi (Clis) sur le site pressenti pour l’enfouissement à Bure (Meuse/Haute-Marne). Clis dont le rôle est si édulcoré et le fonctionnement si épique que nombre d’associations et de syndicats viennent d’en claquer la porte voici quelques semaines !

L’Office parlementaire, tout au long de ses auditions, a purement et simplement omis d’écouter et de prendre en compte les informations et arguments rassemblés par les collectifs de citoyens et d’élus, que ce soit contre la voie de l’enfouissement ou les projets d’entreposage en surface...

Alors que partout au monde les pays nucléarisés se demandent que faire de ces déchets, la France s’était dotée fin 1991 de la loi Bataille pour trouver des réponses. 15 ans plus tard, pas une seule solution innovante n’a émergé, c’est fort décevant !

On en revient aux "solutions" prônées dans les années 1980 : se débarrasser de ces déchets bien encombrants en les enfouissant... Un projet irresponsable au regard des générations futures, dénonçé par de nombreux experts, élus ou citoyens.

Il faut aller plus loin : trouver des solutions pérennes et soutenables du point de vue environnemental pour les générations futures. Cela mérite des efforts financiers de recherche, comme le souligne le rapport, et une véritable volonté politique de maîtrise publique de la production énergétique et de ses risques.

Or, depuis 1992, seulement 2,2 milliard d’euros ont été consacrés à la recherche en matière énergétique !

De plus, dans le cadre de ce débat, il nous faut amorcer le débat du devenir des centrales nucléaires qui seront obsolètes dans dix ans. Ce démantelement produira également des déchets nucléraires, estimés à 15 millions de tonnes.

Pour les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen, seul l’engagement du gouverment pour le financement de la recherche afin de diversifier le bouquet énergétique en promouvant concrètement les énergies renouvelables (comme les biocarburants, les éoliennes, l’hydrogène, la biomasse, la géothermie, le photovoltaïque ... ), d’une part, et d’autre part pour permettre le développement des technologies nucléaires pourrait contribuer à résoudre la question préoccupante des déchets nucléaires.

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