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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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L’État s’est privé d’une ressource importante pour le financement des infrastructures de transport

Nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes -

Par / 22 janvier 2014

Rapporteure de la commission du développement durable.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence de financement des infrastructures de transports a été déposée le 25 octobre 2011 par notre collègue Mireille Schurch et les membres du groupe CRC. Mireille Schurch vient de nous exposer clairement le contexte et les motivations qui ont présidé à son dépôt.

Le texte est court – trois articles –, et il a pour unique objet de prévoir la nationalisation des sociétés concessionnaires des autoroutes françaises.

Cette proposition de loi répond à un objectif : revenir sur la décision de l’État, qui a cédé ses dernières participations dans les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Permettez-moi de revenir sur les faits.

L’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, a été créée en novembre 2004, à la suite du Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire du 18 décembre 2003, afin de porter la participation de l’État dans le financement des grands projets d’infrastructures ferroviaires, fluviales, maritimes et routières, et de mieux distinguer ces crédits, auparavant noyés dans l’universalité budgétaire.

L’Agence devait alors bénéficier de deux ressources pérennes principales : d’une part, la redevance domaniale due par l’ensemble des sociétés d’autoroutes, publiques et privées, en raison de leur occupation du domaine public ; d’autre part, les dividendes perçus par l’État et par son établissement public, Autoroutes de France, au titre de leurs participations dans trois groupes de sociétés d’économie mixte concessionnaires : Autoroutes du Sud de la France, ASF, Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, APRR, et la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, la SANEF.

Ces dividendes devaient constituer la principale source de financement de l’AFITF. Ils ont rapporté 332 millions d’euros en 2005, et cette recette était promise à un dynamisme important.

Le réseau autoroutier était alors quasi achevé, les investissements à amortir de moins en moins nombreux et, par conséquent, les marges des sociétés de plus en plus fortes. En outre, le trafic autoroutier était en augmentation.

La mise en place de l’AFITF a ainsi répondu – en apparence, tout du moins – à une logique de fléchage des crédits vers les infrastructures de transport. Elle devait également favoriser l’insertion de la politique des transports dans une perspective de long terme, fondée sur un développement durable, avec un objectif de report modal clairement affiché.

Cependant, dès le mois de juin 2005, à peine plus de six mois après la création de l’AFITF, le Premier ministre, Dominique de Villepin, annonçait, contre toute attente, la cession de l’ensemble des participations de l’État dans ces sociétés concessionnaires d’autoroutes, faisant ainsi preuve d’une grande incohérence.

D’après le député Hervé Mariton, auteur d’un rapport sur la valorisation du patrimoine autoroutier publié en juin 2005, « la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes est une bonne décision. Elle aide – oblige – à clarifier le rôle de l’État, le prémunissant de la confusion des rôles entre régulateur et détenteur de patrimoine. Elle permet de mobiliser davantage de moyens, et plus vite, pour la menée à bien d’un ambitieux programme multimodal d’infrastructures, et c’est alors un choix favorable à l’aménagement du territoire. Enfin, la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes permettra de développer le projet industriel de ces entreprises, par diversification des activités en France, par développement sur les marchés étrangers. »

Au fond, l’argumentation n’est pas vraiment sérieuse.

On peut douter, par exemple, de la volonté de mobiliser davantage de moyens en faveur du report modal au regard de l’affectation du produit de ces cessions. C’est en effet la poursuite du désendettement du budget général qui l’a emporté sur l’objectif d’un financement pérenne des infrastructures de transport : sur les 14,8 milliards d’euros issus de la cession, seuls 4 milliards d’euros ont été attribués à l’AFITF !

Examinons ensemble les conséquences de cette décision.

Premièrement, l’État s’est privé d’une ressource importante pour le financement des infrastructures de transport. D’après certaines estimations, le manque à gagner s’élèverait à 37 milliards d’euros d’ici à 2032, date d’échéance médiane de ces concessions autoroutières, soit 1 à 2 milliards d’euros par an qui ne viennent pas alimenter les caisses de l’AFITF.

Les services de Bercy, que j’ai interrogés à ce sujet, n’ont jamais voulu – ou pu – nous fournir la moindre évaluation de ce montant, au motif que « le niveau de versement de dividendes dépend des résultats financiers des entreprises, qui dépendent eux-mêmes pour partie de la structure financière et de la politique de distribution retenues par les actionnaires. Même à considérer que ces résultats seraient demeurés identiques si l’État avait conservé sa participation, l’Agence des participations de l’État ne dispose pas des résultats financiers des sociétés d’autoroutes privatisées, notamment des versements de dividendes à leurs actionnaires - ces sociétés ne sont en effet pas tenues de rendre publics ces éléments ».

Si vous me permettez cette parenthèse, il est à regretter que l’État concédant se préoccupe si peu de la rente dont bénéficient les entreprises concessionnaires. En fait, il agit comme s’il voulait assurer une rentabilité confortable aux concessionnaires. Je n’étais d’ailleurs pas la seule à m’en étonner au sein de notre commission...

Toujours est-il que, de 2006 à 2012, ces entreprises ont enregistré des bénéfices importants : le résultat net d’ASF a augmenté de 15 %, celui de la SANEF, de 8 % et celui d’APRR, de 5 %.

La décision de 2005 a donc constitué une facilité de court terme d’une incroyable inconséquence, d’autant plus critiquable qu’elle a été mise en œuvre – j’attire votre attention sur ce point – sans aucune consultation du Parlement. Or l’État et son établissement public, Autoroutes de France, détenaient plus de 70 % du capital d’APRR et de la SANEF, et la moitié de celui d’ASF !

Deuxièmement, cette opération, contestable dans son principe, n’a pas été réalisée de façon optimale pour l’État, comme l’a relevé la Cour des comptes dans son rapport public de 2008. L’État n’a fait appel qu’à une seule banque conseil pour les trois opérations d’ouverture de capital des sociétés d’autoroutes, se privant ainsi de la possibilité de disposer de plusieurs avis indépendants de ceux que fournissent les conseils des entreprises.

Par ailleurs, le choix d’un taux d’actualisation « excessivement élevé » a interdit à l’État de valoriser toute la durée des concessions cédées, et donc de tirer le bénéfice patrimonial maximal de la privatisation. Les participations publiques dans ces sociétés ont donc bel et bien été bradées.

Troisièmement, l’État n’a pris aucune disposition pour éviter l’apparition d’une rente tarifaire et protéger les intérêts du consommateur après la cession.

Cette situation, déjà dénoncée par la Cour des comptes dans son rapport de 2008, est malheureusement toujours d’actualité, puisqu’elle a fait l’objet d’un nouveau rapport spécifique de la Cour des comptes en juillet 2013, sur les relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Je ne reviens pas en détail sur un phénomène que nous connaissons tous : alors que la hausse du tarif des péages est en théorie encadrée et limitée, la conclusion de contrats de plan entre les sociétés d’autoroutes et l’État a rendu possibles des hausses tarifaires supplémentaires, dont la justification n’est pas évidente. Ainsi, la hausse des tarifs a été en général supérieure à l’inflation : pour les véhicules légers, par exemple, elle a dépassé en moyenne 2,2 % par an chez ASF et 1,8 % chez APRR, alors que l’indice de progression des prix à la consommation hors tabac n’a augmenté que de 1,6 %.

Cette hausse continue des tarifs est extrêmement préoccupante et ne peut perdurer. J’appelle votre attention sur ce sujet, monsieur le ministre, alors que vous menez des négociations avec les sociétés autoroutières pour réaliser un plan de relance autoroutier dont le montant, nous dit-on, s’élèverait à environ 3 milliards d’euros et qui pourrait encore allonger la durée des concessions...

Je ne peux comprendre une telle mesure. À ce rythme-là, les concessions seront prolongées ad vitam aeternam, garantissant aux sociétés concessionnaires des revenus plus que confortables, sur le dos des usagers !

Au vu de ces éléments, le groupe CRC propose de nationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes. La proposition de loi ne limite d’ailleurs pas cette opération aux trois groupes de sociétés concessionnaires dans lesquelles l’État détenait des participations en 2005, mais l’élargit à d’autres sociétés concessionnaires d’autoroutes. Au total, ce sont douze sociétés que le texte prévoit de nationaliser. Tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi.

L’article 2 précise que cette nationalisation prend effet au bout d’un an à compter de la promulgation de la loi.

L’article trois dispose que les charges résultant de l’application de la loi sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.

Réunie le 14 janvier dernier, la commission du développement durable n’a pas été favorable à l’adoption du texte, en particulier pour des raisons budgétaires. La nationalisation de ces douze sociétés et les pénalités à acquitter au titre de la rupture des concessions pourraient en effet représenter plusieurs milliards d’euros ; mais ce coût reste à chiffrer précisément.

La commission a toutefois largement partagé les inquiétudes de votre rapporteur sur le financement non sécurisé de l’AFITF et sur les hausses excessives des tarifs des péages.

Nous n’insisterons pas sur la situation extrêmement préoccupante de l’AFITF aujourd’hui, en particulier depuis la suspension de l’écotaxe poids lourds, nous en avons déjà parlé dans cet hémicycle. Nos territoires ont besoin que les projets structurants en termes de mobilité et de désenclavement, parfois décidés de longue date, puissent être menés à bien.

Par ailleurs, si la transition énergétique figure effectivement parmi les priorités du Gouvernement, il convient de lui octroyer les moyens nécessaires, notamment en ce qui concerne le report modal.

Les membres de la commission ont aussi appelé de leurs vœux un contrôle plus efficace de la part de l’État sur les tarifs des péages autoroutiers. Nous veillerons à ce que les conclusions de la Cour des comptes soient effectivement prises en compte par le Gouvernement. Le maintien du statu quo serait absolument incompréhensible.

Pour conclure, cette proposition de loi aura donc au moins le mérite de souligner combien les attentes sont fortes dans ces deux domaines : le financement des infrastructures de transport, d’une part, et le retour à une politique de tarification plus juste de la part des concessionnaires, d’autre part.

C’est le sens de la position de la commission qui, tout en ne souhaitant pas l’adoption de la proposition de loi, a voulu que le Gouvernement soit saisi de cette double et vive préoccupation.

Par ailleurs, de nombreux membres de la commission ont souhaité en savoir davantage et ils ont proposé la création d’une mission d’information. Cette question devra être reposée lors d’une prochaine réunion de la commission.

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