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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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L’opérateur qui construit une infrastructure nouvelle doit assumer la gestion de l’ouvrage

Ouvrages d’art de rétablissement des voies -

Par / 17 janvier 2012

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte législatif que je vous propose d’examiner aujourd’hui vise à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies.

Il était grand temps que nous nous emparions du sujet, tant cette question comporte de risques en matière à la fois financière et pénale pour l’ensemble de nos collectivités, particulièrement pour les communes, et en termes de sécurité pour nos concitoyens.

De nombreux maires de mon département m’ont alertée sur une difficulté commune à toutes les collectivités possédant des ouvrages de rétablissement sur leur territoire. Lors de la construction d’une nouvelle infrastructure, par exemple une voie ferrée, une voie navigable ou une autoroute, des ouvrages d’art sont construits par le gestionnaire – il peut s’agir de Réseau ferré de France, RFF, ou de Voies navigables de France, VNF – afin de rétablir la continuité des voies communales ou, le cas échéant, départementales lorsqu’elles ont été interrompues. Se pose, dès lors, la question de la répartition des coûts d’entretien, de réfection, voire de renouvellement de ces ouvrages et, par là même, de la responsabilité juridique concernant lesdits ouvrages.

La complexité du sujet, la méconnaissance des risques, la dérive constatée en matière de prise en charge des ouvrages nous donnent l’ardente obligation de traiter le sujet et de revenir à un principe simple, juste et de bon sens. Ce principe est le suivant : celui qui décide de construire une nouvelle voie en assume les conséquences.

Or, aujourd’hui, en l’absence de dispositions législatives et réglementaires, c’est la jurisprudence qui s’applique : les ouvrages d’art sont des éléments constitutifs des voies dont ils assurent la continuité ; la collectivité propriétaire de la voie portée est donc entièrement responsable de l’ouvrage, c’est-à-dire qu’elle doit en assurer l’entretien, la réfection et le renouvellement, et garantir la sécurité à l’égard des tiers. Ainsi, ceux qui décident de la création d’une ligne, laquelle viendrait à couper des voies existantes, laisseraient ensuite les ouvrages de rétablissement à la charge des collectivités, qui, elles, n’ont rien demandé. J’en ai besoin, je le construis, mais je vous l’abandonne ensuite...

À Pierre-la-Treiche, en Meurthe-et-Moselle, l’État a construit un pont lors de travaux concernant la canalisation de la Moselle dans les années soixante-dix : un édifice hors de proportion pour une telle commune et, surtout, non adapté au trafic auquel il devait servir au regard de la voie ainsi rétablie. Le pont de rétablissement correspond bien aux critères nécessaires à VNF et au gabarit des bateaux. Aussi, les coûts y afférant ne sont pas comparables à ceux d’un simple trafic routier. Ce sont donc bien les besoins du gestionnaire de l’infrastructure nouvelle qui sont pris en compte, bien plus que ceux des collectivités ; pourquoi serait-ce alors à elles de payer ?

Il est vraiment assez incroyable que l’on essaie aujourd’hui de poser comme principe de base un principe d’irresponsabilité, car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Le poids financier qui en résulte est tel que beaucoup de communes ne peuvent y faire face de manière satisfaisante. C’est une bombe à retardement, un véritable problème de sécurité publique.

Nous avons donc le devoir d’instaurer par la loi une règle précise et équitable qui définisse les obligations de chaque partie et, surtout, qui puisse sécuriser les communes à tout point de vue.

Si l’audition des différentes parties et le travail de réflexion que nous menons depuis trois ans sur cette question nous ont montré qu’il n’était pas souhaitable de remettre en cause la domanialité et le droit de propriété des collectivités sur ces ouvrages, il est cependant tout à fait possible, par ailleurs, de rechercher une répartition des charges plus juste et plus équitable.

La preuve en est qu’un tel modèle existe déjà puisque les sociétés d’autoroutes signaient des traités de concession leur imposant de prendre en charge les ouvrages de rétablissement comme si elles en étaient les maîtres d’ouvrage, ce qu’elles ne sont pas juridiquement. Ces traités ont été établis au regard de la sécurité des usagers des autoroutes. La sécurité des usagers de toute autre liaison de communication me semble être d’une importance équivalente.

Toutefois, dans un contexte de désengagement de l’État, où s’accentuent les obligations de rentabilité, ce qui existait auparavant n’est plus de mise et la jurisprudence en la matière achève d’enterrer le bon sens.

À Vandières, en Meurthe-et-Moselle, par exemple, passe maintenant une ligne à grande vitesse. Faisant fi des traités de concession qui régissaient jusqu’à présent les relations entre la SNCF et les collectivités, et qui lui imposaient l’entretien des ouvrages d’art qu’il construisait, RFF se garde bien désormais de se référer à ces traités et applique systématiquement la jurisprudence.

Certes, des conventions sont encore parfois signées entre la collectivité et le gestionnaire de la nouvelle infrastructure pour chercher à répondre à la question des frais d’entretien. Cependant, dans la plupart des cas, ces concessions sont insatisfaisantes pour les communes, car elles ne prévoient qu’un pourcentage libératoire de 8 %, c’est-à-dire insignifiant au regard des dépenses qu’un tel ouvrage entraîne dans le temps. Le conseil général de Meurthe-et-Moselle a calculé qu’un versement libératoire ne devenait significatif qu’à hauteur d’un taux compris entre 20 % et 50 % du coût de la construction de l’ouvrage. Les collectivités sont ainsi incitées à négocier des conventions qui leur sont défavorables, tout en sachant qu’en cas de désaccord le juge administratif devra trancher dans un contexte de jurisprudence tout aussi défavorable.

Décidément, nous ne pouvons en rester là et laisser dériver la jurisprudence, qui va aujourd’hui – écoutez bien, mes chers collègues – jusqu’à remettre en question le principe même de la convention. Un arrêté de la cour d’appel de Nancy en date du 17 juin 2010 a récemment confirmé, bien sûr, la règle de propriété des ouvrages et donc de prise en charge par les collectivités, mais, en plus, il a remis en cause les contrats administratifs à durée indéterminée, qui peuvent faire l’objet à tout moment d’une résiliation unilatérale sans qu’aucune des parties ne puisse prétendre à indemnisation. On peut craindre, dorénavant, que cette décision ne se généralise et que ne soient progressivement dénoncées toutes les conventions existantes, au profit de la jurisprudence.

Si nous laissons en l’état le cadre qui entoure la prise en charge des ouvrages d’art de rétablissement des voies, nous risquons d’être confrontés à une véritable révolte des collectivités qui, afin d’éviter un impact financier démesuré, finiront par faire obstacle à tout nouveau projet d’infrastructure, fût-il d’intérêt général.

C’est pourquoi, mes chers collègues – et sans doute nombre d’entre vous se trouvent concernés par ce sujet –, je vous propose aujourd’hui d’adopter une règle des plus équitables : au gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport doit revenir la responsabilité de la structure de l’ouvrage d’art, y compris l’étanchéité ; au propriétaire de la voie rétablie doit revenir la responsabilité de la chaussée et des trottoirs. Il s’agit bien, ici, d’affirmer un principe de neutralité financière, sans distinction de taille, de moyens humains ou financiers. C’est le principe du bon sens.

De toute façon, que ce soit l’État, RFF ou les collectivités qui paient, il s’agit d’une dépense publique. N’est-il pas préférable qu’elle soit prise en charge par une entité qui a toutes les compétences matérielles et le savoir-faire ? On ne joue pas avec la sécurité !

Par ailleurs, le texte prévoit d’instaurer l’obligation pour les parties de signer une convention, ce qui règle, d’une part, les questions posées en sus par chaque cas particulier et, d’autre part, le problème d’information des collectivités sur leurs propres obligations.

Enfin, il convenait également de s’attacher aux ouvrages de rétablissement existants. Ceux qui s’inquiètent aujourd’hui sont ceux qui ont des ponts sur le territoire de leur commune. C’est pourquoi le texte prévoit la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de dénoncer les conventions existantes, même si ce n’est pas une obligation, et d’en conclure de nouvelles sur les bases que je viens d’énoncer. De même, pour les ouvrages ne bénéficiant d’aucune convention et en cas de litige, les parties auront trois ans pour signer un tel document.

En conclusion, je dirais que la question de la répartition des responsabilités et des charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies nous concerne tous.

Actuellement, la balance penche clairement du côté des communes ; je vous propose de rééquilibrer cette charge plus justement, en tenant compte des compétences techniques de chacune des parties.

Déjà, l’Association des maires de France, à l’occasion du bureau du 29 septembre dernier, et l’Assemblée des départements de France, notamment lors d’une commission en juin 2010, ont donné leur accord sur cette proposition de loi. Elles nous ont apporté leur entier soutien tout au long de notre travail de réflexion, et je souhaite, ici, les en remercier. J’en profite pour remercier également l’ancien ministre Dominique Bussereau qui, à ma demande, avait accepté de mettre en place un groupe de travail au ministère des transports, ainsi que ses services – ce sont les vôtres aujourd’hui, monsieur le ministre –, qui tout au long de l’élaboration de ce texte nous ont apporté un éclairage précieux sur un dossier complexe.

Je remercie, enfin, les services du conseil général de Meurthe-et-Moselle, qui m’ont apporté des informations très utiles, ainsi que mon collègue Francis Grignon, qui a participé à tous ces travaux.

Mes chers collègues, la commission des lois, avec raison, a adopté cette proposition de loi à l’unanimité. J’espère que le vote de cet après-midi confirmera ce choix.

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