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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi d’orientation sur l’énergie : question préalable

Par / 2 mai 2005

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

L’examen de ce projet de loi se déroule dans une période où les citoyens de notre pays débattent de l’avenir même de notre société et démontrent leur volonté d’être plus associés aux choix qui les concernent. La politique énergétique n’est pas déconnectée des préoccupations des Françaises et des Français, leur vie quotidienne en dépend largement. Les orientations qui seront définies par les parlementaires dans ce texte ne peuvent donc ignorer le débat qui a lieu actuellement dans tout le pays.

Monsieur le Ministre, vous faites la sourde oreille aux revendications des salariés, vous laissez s’envoler les profits et vous organisez la dégradation du pouvoir d’achat de nos concitoyens, vous stigmatisez les coûts de la main-d’œuvre par rapport aux nouveaux pays entrés dans l’Europe, justifiant ainsi les délocalisations (même si à quelques semaines du référendum vous avez lâché un peu de lest pour les fonctionnaires). La campagne sur le traité constitutionnel montre votre difficulté à accepter l’intrusion des citoyens dans le débat sur le fond de la politique que vous voulez mener.
Et ne me dites pas que cette question européenne n’a que peu à voir avec la politique énergétique de la France, et que ce n’est pas le sujet.

Vous le dites vous-mêmes dans le projet qui nous est soumis. Dans la perspective d’un marché intégré européen de l’énergie « il importe que les pays européens coordonnent mieux leurs politiques énergétiques ».
Et vous précisez : « Des décisions majeures en matière de politique énergétique sont désormais prises dans le cadre européen et c’est en partie, au niveau européen que s’apprécie désormais notre sécurité d’approvisionnement.
La France vise donc à faire partager les principes de sa politique énergétique par les pays de l’Union européenne. »
Comment une telle déclaration pourrait-elle nous rassurer quand toutes les décisions que vous avez prises jusqu’à ce jour dans ce domaine de l’énergie se traduisent par un affaiblissement de nos capacités d’intervention. L’éclatement de l’entreprise publique, le changement de statut pour mieux engager la privatisation en sont le témoignage.

Officiellement vous avez Monsieur le Ministre pris la décision de ne pas ouvrir le capital de GDF avant le référendum sur la Constitution européenne, tout en précisant que cette opération se réalisera avant l’été, « prenant prétexte comme le dit Le Figaro du 29 avril dernier « de la mauvaise tendance actuelle des marchés ». On sait bien que vous connaissez l’impact néfaste qu’il pourrait avoir sur les élections. Ce même journal précisait d’ailleurs que : « si le non l’emporte le 29 mai]...[Le gouvernement ne prendra pas le risque de déclencher l’opération, il sera trop occupé à réparer les dégâts politiques » rapportant les propos d’un proche du dossier.
Vous savez très bien Monsieur le Ministre, que les salariés, comme les usagers, sont opposés très fermement à cette privatisation de GDF, ils vous l’ont signifié à maintes reprises, à vous et à votre prédécesseur. GDF n’a aucun besoin de financement extérieur parce que le désendettement réalisé en 2004 et l’autofinancement réel de 6,6 milliards d’euros sur deux ans est supérieur au chiffre prévisionnel de 5 milliards d’euros ; la seule raison invoquée pour le besoin de financement serait la nécessité de s’ouvrir à l’étranger. Cette politique d’expansion a déjà montré ses limites et ses dangers par le passé.

Quant aux choix fait depuis la transposition de la directive gaz en 2003, elle fait dépendre nos importations d’une multiplicité d’opérateurs privés, ce qui risque de compromettre notre sécurité d’approvisionnement.

Les usagers que vous nommez clients vont se rendre compte très prochainement des conséquences de votre politique puisqu’une augmentation de 7 à 8% serait prévue le 1er juillet, après le référendum. Et vous osez affirmer que le principal bénéficiaire de cette politique libérale seraient les consommateurs et vous le savez très bien elle n’a pour conséquence qu’un poids de plus pour les usagers dont vous reconnaissez vous-mêmes qu’une politique de solidarité doit être menée en leur direction pour leur garantir l’accès à l’énergie.
Mais vous proposez que ce soit dans le cadre plus global de leur politique d’aide sociale que « les collectivités compétentes aident leurs administrés en difficulté à payer leurs factures, quelle que soit l’origine de l’énergie utilisée. »

Mais cette solidarité avec des entreprises publiques dont l’Etat actionnaire peut définir la politique, est tout à fait apte à remplir ce rôle sans une fois de plus se retourner vers les collectivités territoriales. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ces entreprises publiques, où la péréquation a toujours permis que la rentabilité d’un secteur permette de compenser ce qui l’est moins ou qui est déficitaire.
Mais vous préférez ouvrir à la privatisation tous ces secteurs, offrant ainsi aux actionnaires des perspectives de bénéfices qui ne peuvent être compatibles avec une réponse équilibrée à tous les usagers.

Dans quelle société voulons nous vivre demain ? C’est bien le sujet que pose ce projet de loi. Une société qui privilégie essentiellement les profits, c’est ce que nous proposent aujourd’hui ceux qui défendent « la concurrence libre et non faussée ». Une société qui soumet donc l’énergie à ces règles plutôt que de reconnaître le droit à l’énergie pour tous, quelles que soient leurs ressources, quel que soit leurs lieux de vie.
Une fois de plus, dans ce projet de loi, vous proposez aux Français de dépenser moins, d’économiser l’énergie. C’est la même démarche que pour la sécurité sociale où on invite les Français à moins se soigner.
Mais en fait, on oublie à chaque fois que certains et ils sont nombreux (plus de trois millions en dessous du seuil de pauvreté, moins de 602 euros par mois), ne sont pas en capacité de réduire leur consommation.
Cette politique répand déjà partout injustice, misère, chômage.Il s’agit de choix de société basés sur le tout profit incompatibles avec l’intérêt général. Ce remodelage en profondeur de notre société, dont le traité de Maastricht était une première étape, ce projet de constitution européenne le prolonge, le renforce et voudrait le rendre irréversible.

L’énergie, étant considérée comme un domaine de compétence partagée, elle serait ainsi soumise de façon encore plus forte à la partie III du texte qui répète comme un leitmotiv que « la concurrence est libre et non faussée. » Mais vous avez déjà pris les devants en changeant le statut de l’entreprise, en décidant d’ouvrir le capital pour mieux organiser la privatisation. C’est un débat majeur pour l’avenir de notre pays et de l’ensemble de l’union européenne. Une vraie coopération entre Etats à l’échelle de l’Europe, c’est bien ce qui serait utile pour se donner les moyens d’une nouvelle dynamique industrielle, en même temps qu’on répondrait aux besoins de nos concitoyens dans des conditions acceptables.

La déréglementation dans le domaine de l’énergie a montré sa nocivité dans d’autres pays. Plutôt que de poursuivre dans ce sens, réalisons un bilan national et européen de ces déréglementations, gelons les procédures d’ouverture des marchés tant que cette analyse n’est pas faite.
A travers ce projet de loi, vous voulez franchir une étape supplémentaire dans le processus de libéralisation. Vous parlez de politique de maîtrise de l’énergie, mais l’une de vos propositions premières, ce sont les certificats d’économie d’énergie qui seront des biens négociables. Ils permettront ainsi à ceux qui en auront les moyens financiers de pouvoir polluer à loisir. C’est un système immoral et cynique que vous mettez là en place et qui plus est risque d’être inefficace économiquement puisqu’il repose sur votre postulat dogmatique qui consiste à affirmer que le marché serait capable à lui seul de s’autoréguler.

Tout le monde reconnaît aujourd’hui que notre production n’est pas suffisante, que nous risquons des difficultés de fourniture ainsi qu’un déficit de capacité de production à l’horizon 2009-2010.
Pour une politique énergétique efficace, ne devons-nous pas tenir compte de l’épuisement à terme des ressources fossiles ?
Les durées limites d’utilisation du pétrole sont généralement évaluées à 40 ans sur la base de la consommation actuelle. Toutefois, les avis diffèrent sur l’évaluation des réserves d’hydrocarbures. Les économistes pensent que le progrès technologique peut rendre conventionnels des gisements qui ne l’étaient pas dans un passé récent. Les géologues considèrent que les grands sites pétroliers ont tous été explorés et qu’aucune découverte majeure n’a été faite depuis 30 ans. Nous trouvons actuellement un baril lorsque nous en consommons quatre. La production suit une courbe en forme de cloche dont le sommet correspond à l’épuisement de la moitié de la ressource. Ce sommet sera atteint avant 2010. Ensuite, le pétrole sera beaucoup plus cher. Et l’on voit comment la maîtrise de cette ressource peut engendrer de conflits.

Epuiser cette ressource que la Terre nous a légué après l’avoir accumulée pendant des milliards d’années n’aurait aucun sens !
Nous devons aussi faire confiance aux capacités de la recherche d’apporter d’autres réponses aux besoins énergétiques. Et pour cela, il faut lui en donner les moyens. Total qui fait des profits exceptionnels, devrait être largement sollicité pour financer la recherche.

L’énergie n’étant pas une marchandise, et vous le reconnaissez vous-même, il est difficile alors d’admettre que seul le marché puisse réguler l’activité économique de ce secteur.
De plus, l’énergie n’étant pas stockable, elle exige des investissements à long terme afin de permettre une production supérieure à la demande moyenne pour faire face aux pointes de consommation, et votre politique n’a d’yeux que pour le court terme. La première étape de la libéralisation a déjà fait des victimes avec les entreprises dont la facture a augmenté en moyenne de 30 % en 2003 (35,6 % pour la SNCF) et qui se répercutent sur les consommateurs, les usagers.

Votre projet, Monsieur le Ministre, manque d’ambition. Pensez à nos prédécesseurs qui au lendemain de la guerre, dans un pays exsangue, avaient eu l’audace et la générosité de créer les entreprises publiques, gages de l’équilibre et de la solidarité sur notre territoire et que vous détruisez aujourd’hui sans aucun remord. Ces entreprises ont permis le redressement de notre économie, elles ont contribué au réaménagement du territoire dans des conditions financières que seul le statut public a rendu possible. Grâce à elles, les coûts de l’énergie ont pu être maîtrisés. Vous parlez aujourd’hui dans votre projet de garantir un prix compétitif de l’énergie, je ne suis pas certaine que ce soit le même sens.
Selon l’agence internationale de l’énergie en 2030, la demande d’énergie mondiale sera 60% plus importante qu’à ce jour. Nous ne pouvons imaginer que les pays en voie de développement soient bloqués dans leur réponse énergétique par une insuffisance de financement des besoins à la fois de renouvellement et de croissance en Europe.

Une politique énergétique ne peut reposer que sur le long terme, elle doit s’inscrire dans un projet européen de coopération. Les investissements sont trop lourds pour être supportables sur du court terme quant à la sécurité des sites nucléaires, elle est primordiale ; il faut les moyens de l’assurer. Or ce besoin indispensable de long terme n’est pas conciliable avec les exigences de court terme des actionnaires, qui seront à mettre en œuvre si la politique que vous proposez à l’échelon de la France et de l’Europe est poursuivie.

Comment ne pas tenir compte des expériences de libéralisation déjà existantes ? Je ne voudrais pas rappeler ce que nous avons déjà dit en première lecture. Mais ignorer les conséquences désastreuses pour les consommateurs mais aussi pour la sécurité des installations, n’est-ce pas suicidaire pour notre économie ?
Comment concevoir une politique énergétique à court terme alors que l’on sait qu’il faut 8 ans pour construire une centrale nucléaire et 6 ans pour une ligne à très haute tension. La politique d’investissement d’EDF est obligée d’intégrer l’effort de recherche, mais aussi les prévisions de consommations. Ces investissements ont pu se réaliser grâce à l’existence de la grande entreprise publique EDF-GDF depuis 1946. Elle a assuré avec responsabilité la sûreté et la protection nucléaire, même si celle-ci doit toujours s’améliorer en particulier comme le rappelait mon collègue Yves COQUELLE tout à l’heure, en cessant avec ce système des « nomades du nucléaire ».

"Le mécanisme de concurrence est le plus efficace, lorsqu’il est correctement mis en place, pour inciter les entreprises d’un secteur à améliorer leur qualité de service et à baisser leurs coûts de production. Les réseaux (transports, énergie, télécoms ...) ne font pas exception à cette règle, mais peuvent nécessiter une approche particulière" nous disent les notes bleues de Bercy de juillet 2003. Elles n’ont rien à envier au texte de constitution européenne qui mentionne que « les entreprises publiques chargées de la gestion de services d’intérêt général ou présentant le caractère d’un monopole sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l’application de ces dispositions ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie. »

Et même si vous dites que « la France élabore tous les deux ans des propositions énergétiques à l’intention de l’Union européenne, visant notamment à promouvoir la notion de service public ». Cette bonne intention que l’on aurait pu vous reconnaître est contrecarrée par les déclarations multiples et variées auxquelles nous avons droit depuis quelques semaines sur la définition des services d’intérêt économique général et leur différence avec les services publics. Je n’irai pas jusqu’à vous rappeler les propos du Président de la République à ce sujet, ou ceux de M. BRETON.
Monsieur le Ministre, nous attendions un véritable projet de loi d’orientation sur l’énergie et vous nous présentez plutôt un catalogue de mesures, paré de bonnes intentions où les termes « inciter », « veiller à », « encourager », « promouvoir », sont autant de déclarations, mais sans moyen d’action.

Le premier titre s’attaque d’emblée à la stratégie énergétique sans même porter de façon préalable une réflexion d’ensemble, prenant en compte toutes les questions liées aux aspects géopolitiques, environnementaux, à l’épuisement de certaines ressources.
Ce texte de loi devrait insuffler une politique audacieuse pour les cinquante prochaines années, or il n’est qu’adaptation au système de concurrence que vous estimez tant, qui est devenu un véritable dogme pour vous et vos amis.

Il devrait porter une attention particulière aux salariés qui ont construit EDF-GDF depuis tant d’années, en harmonisant les conditions de travail des salariés prestataires dans le nucléaire. Il devrait préserver les intérêts des usagers qui ont participé au succès de l’entreprise et dont on peut dire qu’ils sont propriétaires.

Monsieur le Ministre parce que votre projet de loi n’est pas à la hauteur des besoins croissants de notre pays pour les prochaines années, nous demandons à ce qu’il soit retiré.
Vous voulez obtenir un consensus sur les questions techniques en évacuant la question essentielle : celle de faire face aux déficits énergétiques d’ici à 2012-2015. Cette politique à courte vue ne garantit pas que le protocole de Kyoto puisse ainsi être respecté. Comment le serait-il quand malgré vos déclarations d’intention vous favorisez dans les faits le transport routier par rapport au fret ferroviaire et ce n’est pas la première desserte privée ferroviaire qui permettra de relancer les dessertes de certains industriels qu’abandonne la SNCF. Comment ce protocole et vos objectifs seraient-ils remplis, alors que vous abandonnez toute aide aux transports collectifs urbains ?

Nombreux sont les Français qui vous ont demandé d’arrêter ce jeu de massacre, nous pensons qu’il est temps que les orientations énergétiques reprennent le bon chemin en se libérant des intérêts privés pour être au service de l’intérêt général. C’est pour ces raisons que nous vous proposons de ne pas poursuivre la délibération sur ce projet de loi d’orientation sur l’énergie.

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