Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Mobilisation pour le logement et lutte contre l’exclusion : exception d’irrecevabilité

Par / 14 octobre 2008

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « longtemps attendu par les associations, rendu nécessaire par la grave crise du logement que nous traversons depuis quinze ans, [...] le droit au logement opposable est en passe de devenir une réalité pour notre pays.

« En effet, tandis que la loi Quilliot (1982) fait du droit à l’habitation un droit fondamental et que la loi Besson (1990) consacre le droit au logement, il ne manquait plus à notre corpus législatif français qu’un texte instituant le droit au logement opposable.

« Avec le texte fondateur soumis aujourd’hui au Parlement, il s’agit désormais de protéger le droit au logement par une obligation de résultats et non plus seulement de moyens. »

C’est ainsi, madame la ministre, que commençait le rapport que vous aviez signé, pour le compte de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, lors de la discussion de la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Même si, à l’époque, vous insistiez sur le problème posé par les moyens devant être mobilisés pour répondre aux exigences nouvelles posées par l’opposabilité, force est de constater qu’un an et demi a suffi pour que les discours d’un hiver préélectoral s’oublient dans les frimas d’un automne de crise financière et de régulation budgétaire !

Oui, madame la ministre, vous aviez raison de rappeler alors, à plus d’un titre, que le droit au logement était consacré dans la loi française et que ce droit ne souffrait d’aucune sorte de contestation.

La priorité, en matière de logement, ce sont les êtres humains, les demandeurs de logement, notamment, mais aussi les locataires, les habitants de notre pays, dont les parcours résidentiels, selon l’expression employée, doivent être libres, répondant à leurs aspirations profondes.

L’article 1er de la loi Besson de 6 juillet 1989 dispose : « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent.

« L’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales. »

Le même article de la même loi, élément du droit positif, précise : « Les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives. »

Pour sa part, la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, précise, en son article 1er : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation.

« Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir et pour y disposer de la fourniture d’eau, d’énergie et de services téléphoniques. »

C’est, de fait, au travers de ces différents rappels de la législation existante que se définissent les premiers griefs que l’on peut faire au texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Tout se passe, madame la ministre, comme si, en lieu et place du droit au logement, le texte que vous nous proposez met en place un droit du logement plus restrictif, excluant de l’accès au logement social des couches de plus en plus larges de la population, les livrant pieds et poings liés aux aléas d’un marché immobilier en pleine déconfiture.

Les traces de ce droit du logement sont présentes dans de multiples dispositions de ce texte.

Depuis les conventions d’utilité sociale, fondées sur les plans stratégiques des bailleurs de logements sociaux, ignorant évidemment les intérêts des locataires et ne se préoccupant que des procédures de libération accélérée des logements ou de leur mise en vente, en passant par la profonde mise en cause du droit au maintien dans les lieux et du droit de suite contenue dans l’article 20, jusqu’à la confusion savamment entretenue entre hébergement et logement, rien dans ce texte ne correspond au cadre législatif qu’année après année nous avons pu constituer.

Aucun grief d’ordre constitutionnel n’avait, je le rappelle, été opposé au contenu des textes que je viens de rappeler. Bien au contraire, selon tous les spécialistes du droit, c’est le droit au logement qui gagnait, au fur et à mesure de l’adoption des textes, valeur constitutionnelle !

En effet, sur le fond, ces lois répondaient à quelques principes constitutionnels fondamentaux ; je pense notamment au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose : « La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »

De quel développement de l’individu et de la famille s’agit-il quand on instaure une précarité renforcée des conditions de logement, que l’on remet en cause la qualité des contrats passés entre bailleurs et locataires, que l’on introduit un déséquilibre manifeste entre les droits des premiers et les devoirs des seconds ?

Reprenons, madame la ministre, mes chers collègues, l’une des questions résolues par la loi Besson.

Le second alinéa de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989, texte essentiel que je cite de nouveau tant il recèle de sens prévoyait : « L’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif et d’un secteur d’accession à la propriété ouverts à toutes les catégories sociales. »

Cela signifie, dans cet esprit, que la construction de logements sociaux ne peut souffrir la moindre restriction. Dès lors, l’article 17 du présent projet de loi n’a pas de raison d’être.

Cela signifie également que la question de l’accès au marché locatif ne se pose pas uniquement du point de vue de la législation relative au logement HLM.

Nous ne pouvons accepter, madame la ministre, que votre texte organise de fait une ségrégation active en matière de logement. Cette ségrégation fait du logement soumis à la législation HLM le réceptacle de toutes les misères de la société française, tandis que les ménages salariés disposant de ressources prétendument trop élevées n’auraient plus qu’à se plier à la loi d’un marché locatif privé où, année après année, les loyers consomment une part toujours plus élevée de leurs moyens financiers.

Nous refusons cette société où devient plus importante la question de l’occupation des logements selon l’origine sociale et les moyens financiers que celle de la mise en œuvre effective du droit au logement.

Le droit au logement n’a pas vocation à se diviser.

Je prendrai un exemple très simple, madame la ministre. Fraîchement élue dans cette assemblée, j’ai l’honneur d’y représenter le département des Bouches-du-Rhône et d’y porter les aspirations de sa population.

Mme Christine Boutin, ministre. Vous apportez aussi un très bel accent ! (Sourires.)

Mme Isabelle Pasquet. Dans le secteur de Marseille où je suis élue locale, entre Le Camas et Chutes-Lavie, 58 % des foyers fiscaux - ils ne sont pas tous demandeurs de logement, mais je cite ce pourcentage pour que chacun garde ces éléments en vue - disposent de ressources annuelles inférieures à 12 000 euros, c’est-à-dire inférieures au plafond d’accès au logement par l’intermédiaire du PLAI, le prêt locatif aidé d’intégration. Et je ne parle pas des foyers dépassant de peu cette limite et que la composition familiale place dans la même situation !

De même, la procédure DALO a d’ores et déjà été sollicitée par 1 533 habitants de mon département. La commission de médiation a donné un avis favorable sur 418 de ces demandes, 411 d’entre elles sont assorties d’une saisine du préfet pour désignation auprès d’un bailleur social. Cependant, seules 141 de ces propositions de logement ont pu être suivies d’effet.

Par ailleurs, la tension du marché du logement est une réalité incontournable dans ma région. Ainsi, à Aix-en-Provence, ville soumise à une intense spéculation immobilière, les loyers ont progressé en 2007 - dernière année connue - jusqu’à 11,10 euros le mètre carré, ce qui situe le loyer moyen d’un trois pièces dans le secteur privé à 666 euros mensuels, hors charges locatives.

Aix-en-Provence se distingue d’ailleurs parmi les autres grandes agglomérations de province comme celle où la hausse des loyers dans le secteur privé est la plus forte, malgré un relatif ralentissement dû à la crise grandissante du logement.

Sans surprise, nombre de bailleurs ont tiré parti de la relocation de leur logement - il s’agit surtout de studios ou de deux pièces - pour pratiquer des hausses encore plus importantes.

Les logements aixois reloués en 2007 sont plus petits que la moyenne et encore plus chers que les autres ! Qui peut payer de tels loyers dans une ville où le tiers des contribuables dispose de moins de 7 500 euros par an et où des milliers d’étudiants cherchent à se loger ?

Pour conclure, au moins provisoirement, sur cette approche locale de la situation du logement (M. le président de la commission des affaires économiques manifeste son impatience), je soulignerai simplement que, malgré des efforts non négligeables, Aix-en-Provence et Marseille ne comptent toujours pas 20 % de logements sociaux.

Elles n’en sont guère loin, moins loin en tout cas que vingt-cinq communes urbaines du département qui se sont vu signifier un constat de carence au titre des dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

Mais, que les choses soient claires, c’est bien souvent la pression foncière et immobilière ainsi que le gaspillage des surfaces disponibles au profit d’opérations défiscalisées qui sont la cause des difficultés à se loger.

Tous ces éléments font que, dans ma région comme partout ailleurs en France, ce n’est pas de ce projet de loi que les habitants de notre pays ont besoin ! En fait, s’il était adopté, ce projet de loi approfondirait la crise du logement...

Mme Christine Boutin, ministre. Ah bon ?

Mme Isabelle Pasquet. ... sans résoudre, loin s’en faut, les problèmes imposés par la conjoncture à l’activité du secteur du bâtiment !

Le respect du droit au logement, que la loi a consacré, s’articule avec l’autonomie des collectivités locales dans leur capacité à agir pour sa mise en œuvre. Comment ne pas souligner, par exemple, que l’article 1er du projet de loi pose question ?

Il s’agit, en instaurant les conventions d’utilité sociale des organismes bailleurs sociaux, de mettre en place un dispositif lié aux décisions locales - ici les plans locaux pour l’habitat -, mais de nature profondément coercitive.

Pourquoi mettre en œuvre une procédure obligatoire qui engage les élus locaux, puisque les collectivités locales sont parfois délégataires des aides à la pierre, sans leur permettre de signer la convention prévue ? C’est manquer au respect des principes de libre administration des collectivités locales.

Qui plus est, les conventions d’utilité sociale auraient un caractère obligatoire et leur efficacité serait mesurée au travers d’un décret fixant les indicateurs d’atteinte des objectifs de la convention. (Marques d’impatiences sur les travées de l’UMP.)

Mme Colette Giudicelli. Ce n’est pas une motion, c’est un nouveau discours !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le projet de loi qui est irrecevable, c’est ce discours !

Mme Isabelle Pasquet. Ces objectifs, fixés de manière arbitraire au niveau national, ne tiendront par conséquent aucun compte des décisions locales.

Or l’actuelle législation, rendant facultative les conventions globales de patrimoine, précise pour autant ces indicateurs qui semblent bien venir en doublon de ce qui est déjà fixé dans le cadre de l’actuel article L.445-1 du code de la construction et de l’habitation. Cet article précise en effet :

« La convention globale comporte :

- le classement des immeubles ou ensembles immobiliers ; ce classement est établi en fonction du service rendu aux locataires, après concertation avec les locataires dans des conditions fixées dans le plan de concertation locative prévu à l’article 44 bis de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière ; (Nouvelles marques d’impatience sur les travées de l’UMP)...

M. Dominique Braye, rapporteur. Défendre une motion, c’est une nouvelle forme de bizutage ! (Sourires.)

Mme Isabelle Pasquet. ... « - l’énoncé de la politique patrimoniale et d’investissement de l’organisme, comprenant notamment un plan de mise en vente à leurs locataires des logements à usage locatif détenus par l’organisme et les orientations retenues pour le réinvestissement des fonds provenant de la vente ;

« - les engagements pris par l’organisme sur la qualité du service rendu aux locataires ;

« - un cahier des charges de gestion sociale de l’organisme. »

Est-il, dans ce contexte, vraiment utile d’ajouter au contenu du code les dispositions coercitives et profondément discriminatoires qui figurent dans l’article 1er, par ailleurs mal rédigé, comme l’est le projet de loi lui-même ?

Atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, mise en cause de la gestion des organismes bailleurs sociaux, dont certains - faut-il le rappeler ? - sont l’émanation même des collectivités locales, voilà quelques motifs de mettre en question le contenu de ce projet de loi ! D’autant que cela ne permettra aucunement de répondre à la grave crise du logement que des années de législation libérale n’ont pas permis d’éviter.

En raison de ces différents griefs, je ne peux donc, mes chers collègues, que vous inviter, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, à adopter, par la voie d’un scrutin public, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que je viens de défendre.

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