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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Modification du statut d’EDF-GDF, conclusions de la CMP : motion d’irrecevabilité

Par / 21 juillet 2004

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Vous avez fait le choix de la transformation d’une entreprise nationale en société anonyme malgré les multiples remarques et propositions que nous vous avons faites pendant le débat, débat que vous avez vous-même écourté en déclarant l’urgence. Nous vous avons demandé de faire preuve d’ une certaine circonspection avant de lancer l’entreprise dans une telle aventure et nous vous avons demandé de faire réaliser par le Parlement un bilan circonstancié et préalable sur le plan social, tarifaire, économique et industriel. Vous n’avez pas répondu, convaincu que vous êtes, malgré les exemples négatifs des conséquences de la libéralisation, dans notre pays pour la première étape et à l’étranger.

Pourquoi vouloir céder au diktat quand nombreux sont ceux qui s’accordent à reconnaître les effets dévastateurs de certaines directives ; notre Etat n’aurait-il plus les moyens d’affirmer son positionnement et qu’est-ce qui nous interdirait de renégocier les directives européennes qui portent en elles la destruction de nos services publics ? C’est faire preuve de beaucoup de faiblesse que de céder de la sorte à de telles dérives économiques. Pourquoi considérer qu’une clause de réversibilité serait à ce point difficile à obtenir ? A quoi servirait alors le bilan d’étape de 2006 auquel vous vous référez s’il n’offre pas cette possibilité ? Le constat ne peut pas être suffisant il faut l’accompagner de l’action.
Vous avez voulu faire passer l’ouverture du capital pour une obligation et pendant ces trois jours vous avez essayé de nous en convaincre.
Nous vous avons proposé, à l’inverse, de maintenir le statut d’EPIC pour ces deux entreprises.
Vous avez la preuve que le statut public n’a nullement été un frein à leur développement, bien au contraire. Mais vous préférez vous réfugier dans vos positions retranchées et dogmatiques. Vous ferez ainsi faire à ces deux entreprises un bond de 60 ans en arrière.

Avez-vous remarqué que ce que vous proposiez sur le plan de l’organisation économique de ce secteur ressemble étrangement à la situation du début du siècle dernier, avant la nationalisation, et vous voulez faire passer ce retour dans le passé pour un acte de modernisme.
Nous vous avons proposé des solutions modernes en utilisant les synergies des deux entreprises pour réaliser la fusion qui pourrait les rendre encore plus compétitives. Mais vous avez préféré opter pour des solutions de restructuration qui passent par le démembrement des ces deux entreprises. A la solution de la coopération vous répondez par la concurrence qui est votre maître-mot et ouvrez ainsi la porte à la filialisation.

Nous considérons que le statut des entreprises EDF et GDF ne peut être dissocié de la politique d’orientation énergétique et nous observons pour une des toutes premières fois que le large consensus qui avaient toujours su se construire dans l’intérêt national a été brisé par la seule initiative de vouloir détruire, en livrant au privé ce que notre peuple considère, à juste titre, comme sa propriété, la propriété de la Nation. Vous estimez que vous pouvez vous passer de l’avis du peuple ; nous voulons par cette motion d’irrecevabilité vous démontrer que ce texte, non seulement n’est pas constitutionnel, mais aussi qu’il n’est pas acceptable en l’état et qu’il met en péril notre indépendance nationale et que vous ne pouvez pas dessaisir notre peuple de ce choix.

Le texte qui nous est présenté remet en cause totalement la stratégie énergétique de la France, décidée en 1946 par le gouvernement issu de la Résistance qui avait su réunir l’ensemble des forces politiques favorables au redressement de notre pays et qui a fait ses preuves jusqu’à ce jour.
Il remet en cause ce qui a fait la force de cette politique qui rassemblait tous ceux qui plaçaient l’intérêt national au-dessus des intérêts privés et qui a su perdurer pendant des décennies.
Remettre en cause le statut de l’entreprise publique c’est remettre en cause ce principe qui considère que l’énergie est un bien commun, un bien appartenant à la nation.

Ce texte est aussi anticonstitutionnel et donc irrecevable, car il prend des disposition de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du Préambule de la Constitution de 1946 qui, je le rappelle, constitue avec le texte de 1958 l’actuel bloc de constitutionnalité.
Selon l’alinéa 9 du Préambule de 1946 :
- L’énergie est un bien commun et à ce titre elle doit être prise en compte par un service public, c’est ce que nos prédécesseurs avaient pensé et c’est ce que nous voulons faire vivre

Cet alinéa indique en effet que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

Depuis 1986, le Conseil Constitutionnel attire l’attention sur le fait que « la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeurs constitutionnels » et fait allusion à des services dont l’existence et le fonctionnement sont « exigés par la Constitution » et qui ne sauraient être transférés au secteur privé (notion de service public constitutionnel, décisions du Conseil Constitutionnel des 25 et 26 juin 1986 relative à la loi sur les privatisations)
Sans doute la notion de service public constitutionnel n’est-elle pas définie précisément par le Conseil Constitutionnel et les formules sont variables.
Le Conseil évoque :

- les services « dont la nécessité découle des principes ou de règles de valeur constitutionnelles »
ou
- « le service public ayant son fondement dans des dispositions de nature constitutionnelle »
ou
- « le service public exigé par la Constitution »
ou
- « le service public dont l’existence et le fonctionnement seraient exigés par la Constitution ».

Compte tenu de la nature tout à fait particulière des produits que sont l’électricité et le gaz, de première nécessité pour les usagers, essentiels pour la vie économique du pays et à protéger absolument pour des raisons de sécurité, on peut légitimement soutenir qu’il s’agit de service public « dont l’existence et le fonctionnement seraient exigés par la Constitution ».
On peut donc légitimement affirmer que l’on est en présence de services publics constitutionnels dont le régime juridique est spécifique.
Le régime juridique du service public constitutionnel :
Les services publics constitutionnels doivent être gérés par des organismes publics ; les EPIC sont des organismes publics tandis que les sociétés anonymes sont des personnes de droit privé (application du droit des sociétés commerciales, L. 1966).
Désormais, selon une décision du Conseil Constitutionnel du 23 juillet 1996 sur Entreprise France Telecom, l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 s’analyse ainsi :

- Il existe une obligation positive de nationaliser les activités ayant le caractère de service public national.
- un service public national est donc un service dont la nation a la responsabilité d’assurer l’activité.

J’attends, M. le Rapporteur, M. le Ministre, que vous me démontriez au vu de ces éléments précisément, qu’EDF et GDF ne sont pas des services publics constitutionnels.
Deuxième point d’inconstitutionnalité manifeste.
Vouloir changer le statut, c’est mettre fin pour les usagers et non les clients comme vous préférez les nommer, à la garantie de continuité de service public, pour deux raisons très simples :

-les missions de service public, considérées comme moins rentables, ne seront pas, dans une société anonyme, avec … d’oligopoles privés, prise en considération de façon prioritaire, et remettront en cause le principe même d’égalité de ce service public.

- Or d’après le préambule de la Constitution (alinéa 10) « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
C’est, selon nous, le second point d’inconstitutionnalité du projet de loi. L’électricité comme le gaz sont des produits de première nécessité qui doivent être accessibles à tous, nécessaire à la vie de chacun et donc à leur développement. La constitution garantie à chacun ce droit, à l’individu comme à la famille.
Or il faut admettre dans ces conditions que le service public de l’électricité et du gaz revêt une nature constitutionnelle. Comment pouvez-vous alors le remettre en cause en changeant ainsi de statut, en faisant d’EDF-GDF des sociétés anonymes ?
Ce deuxième point d’inconstitutionnalité apparaît d’une grande évidence et ne nécessite pas une démonstration plus approfondie.
En effet, ces entreprises sont bien propriété de la nation et non de l’Etat, et à ce titre il est indispensable de considérer que le maintien de ces conditions : « assurer à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » doit être réalisé sous le contrôle de la nation.

Plus globalement, je souhaite souligner que c’est bien le principe de continuité de service public qui constitue un élément fondamental, une garantie essentielle de la continuité de l’Etat républicain. EDF-GDF, ces services publics constituent, conformément aux principes de l’Etat républicain, des fondements de l’Etat lui-même ; ce sont des services qui correspondent à des fonctions de souveraineté, en conséquence ils doivent être gérés par un organisme public et donc pour ce cas particulier par un EPIC et non par une société anonyme comme vous le souhaiteriez, qui est un organisme de droit privé auquel s’appliquerait le droit des sociétés commerciales.
Pour bien percevoir la contradiction profonde entre le projet de loi et les principes constitutionnels, il faut, une fois pour toute, se poser la question :
A qui appartient réellement EDF-GDF ?

Si l’on considère comme le Conseil Constitutionnel depuis 1996 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou requiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » il existe donc une obligation positive de nationaliser les activités ayant le caractère de service public national. C’est une obligation pour la Nation de l’assurer.
Rappelons, comment a été nationalisée l’électricité dans notre pays ? C’est la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 qui a opéré cette mutation et qui a permis à EDF/GDF, établissements publics à caractère industriel et commercial de prendre la suite d’entreprises privées en forme de sociétés anonymes pour :
« -La production, le transport, la distribution, l’importation et l’exportation d’électricité ;
-La production, le transport, la distribution, l’importation et l’exportation de gaz combustible. »

C’est cet article 1° de cette loi de 1946, qu’il est bon de se remémorer.
Comme il est important également de se rappeler le contenu de l’article 16 de cette même loi qui règle la question du transfert des biens des sociétés anonymes aux 2 EPIC :
« Le solde des biens, droits et obligations transférées aux établissements publics prévus par la présente loi constitue le capital de l’établissement.
Ce capital appartient à la Nation. Il est inaliénable et, en cas de pertes d’exploitation, il doit être reconstitué sur les résultats des exercices ultérieurs. » Dire que le capital d’EDF et GDF appartient à la Nation, démontre qu’en l’occurrence, le concept de nationalisation dépasse la simple question de la propriété d’Etat.

L’appartenance à la nation, à la collectivité induit un caractère fort d’inaliénabilité.
Vous voulez déposséder la nation, propriétaire depuis 1946, en transférant le capital à l’Etat et à des sociétés privées et vous n’en avez pas la compétence « L’Etat n’est pas souverain, il est au service de la Nation » disait le Général de Gaulle. En effet l’Etat n’est que le titulaire abstrait du pouvoir qui s’exprime par des organes, comme les ministres, il est soumis à la volonté de la Nation qui doit s’exprimer en acte. L’Etat ne peut assumer en l’occurrence un pouvoir qui ne lui appartient pas, il ne peut s’exprimer au nom de la Nation, pas plus que le gouvernement n’a de capacité à le représenter.

En l’occurrence un projet de loi, émanant d’une volonté ministérielle ou gouvernementale, donc de la volonté de l’Etat, peut-il être considéré comme acceptable juridiquement ? Nous en doutons et pensons que si une transformation avait pu être programmée ce n’était qu’à l’initiative des représentants de la Nation et donc par une proposition de loi dans le respect des exigences constitutionnelles et non par un projet de loi. Ou mieux encore par un référendum si le Président de la République sur proposition conjointe des deux assemblées en décidait ainsi (article 11 de la Constitution). Car s’il est un domaine qui relève de sa compétence c’est bien celui-là : « il peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives… aux services publics » qui concourent » à la politique économique ou sociale de la Nation » (article 11 alinéa 1). Mais il vous a semblé préférable, pendant le débat, de répondre à cette proposition par une pirouette, considérant qu’il ne fallait pas abuser des référendum. Or c’est une question de fond que nous posions et nous regrettons que vous n’ayez pas su y répondre.
La Constitution vous interdit de transférer la propriété d’EDF-GDF !

Une des questions fondamentales sur laquelle beaucoup d’entre vous fondent leur doctrine est la notion d’inviolabilité de la propriété et surtout lorsqu’elle est privée, confirme cette analyse. D’après la Constitution et plus précisément d’après son préambule en ce qu’il se réfère à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Le Conseil Constitutionnel considère que cela « ne concerne pas seulement la propriété privée du particulier mais aussi à titre égal, la propriété de l’Etat et des autre collectivités publiques. » décision C.C.n°94-346 du jeudi 21 juillet 1994). La propriété de la Nation est à fortiori concernée par cette décision.
Vouloir déposséder la Nation sans avoir la compétence de cette initiative nous semble contraire à la Constitution ; nous élevons aujourd’hui contre ce projet de loi et le jugeons irrecevable parce que nous estimons qu’il est foncièrement anticonstitutionnel.

Nous avons proposé d’autres solutions pour tenir compte des évolutions européennes et internationales des marchés énergétiques. Puisque vous considérez qu’EDF est bridée par sa spécialité pour intervenir comme ses concurrents sur des domaines plus larges, nous vous avons proposé, comme l’ont fait les Allemands, de fusionner EDF-GDF. Lors de la discussion, alors que M. SARKOZY a demandé un rapport à MM. ROUSSELY et GADONNEIX, vous nous avez laissé entendre qu’en fait, vous n’y étiez pas favorables. Pourtant, si vous n’acceptez pas ce type de solution, comment serez-vous en mesure de mettre en œuvre la politique énergétique que vous nous avez présentée ?

Comment, aujourd’hui, légiférer sur le statut d’EDF-GDF, sans que l’on ait arrêté ces choix ? C’est une raison supplémentaire d’irrecevabilité de votre texte.
Quant aux débats qui ont eu lieu à la CMP, ils ont montré que les élus de la nation, les seuls qui peuvent être à même de faire le choix de changer le statut de ces entreprises, ces élus, acceptent difficilement, même si pour certains c’est bien timidement, de ne pouvoir aller plus loin dans la réflexion.
Le nombre d’amendements présentés à la CMP, le contenu des échanges, montrent que la précipitation n’est vraiment pas bonne conseillère en ce domaine.
Certaines propositions des Rapporteurs des deux assemblées et d’un élu de votre majorité sont significatives.

Là aussi, l’urgence que vous avez demandée ne se justifiait aucunement et nous renforce dans notre conviction que votre texte est irrecevable.

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