Affaires économiques
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Nouvelle ligne Lyon-Turin
Par Annie David / 21 février 2002par Annie David
Le groupe C.R.C. votera ce projet de loi, qui jette les bases d’une nouvelle orientation de la politique des transports à l’échelle européenne. Nous nous félicitons que les gouvernements français et italien aient réduit de trois ans le délai de réalisation de ce projet, qui concerne à la fois le développement du trafic de voyageurs et le développement du fret ferroviaire. Ce dernier objectif est au cœur de la politique française des transports engagée depuis 1997, qui vise à doubler le fret ferroviaire. Cette coopération franco-italienne redonne un élan au rail face au tout routier.
Dans son livre blanc sur les transports, la Commission européenne dressait un bilan significatif de la prépondérance de la route. En 1970, le fret ferroviaire atteignait plus de 21 % des parts de marché, il ne représente plus aujourd’hui que 8,4 %. Depuis lors, cette régression s’est traduite par le démantèlement de 600 kilomètres de rail alors que, chaque année, 1 200 kilomètres d’autoroutes étaient ouvertes.
En Rhône-Alpes, le développement du trafic de marchandises est devenu une question extrêmement sensible, tant sur le plan humain, la tragédie du tunnel du Mont-Blanc nous le rappelle, que sur le plan environnemental. Le transport routier génère plus d’un tiers des émissions totales de gaz carboniques. À quoi il faut ajouter les nuisances sonores et une probabilité accrue d’accidents. Depuis les années soixante-dix, l’augmentation du tonnage de marchandises traversant les Alpes du Nord a profité à la route qui a vu ses parts de marché passer de 25 % à près de 75 %.
Rééquilibrer le rail par rapport à la route, donner la priorité à l’intermodalité, favoriser le ferroutage, le transport combiné, les « autoroutes roulantes » ú telles sont les priorités de votre politique, plus soucieuse de sécurité et d’environnement.
La nouvelle ligne Lyon-Turin aura une capacité de 60 millions de tonnes de marchandises par an, soit six fois plus que l’actuelle ligne. Elle devrait désengorger les axes autoroutiers transalpins, réduire les goulets d’étranglement et mettre un terme à la saturation de cette connexion ferroviaire transalpine. En tant que sénatrice de la région, je m’en félicite !
J’aurais cependant, monsieur le Ministre, une question qui concerne le sillon Valence- Montmélian. Son électrification favoriserait le désengorgement de la vallée du Grésivaudan. Chacun peut se féliciter que le projet d’électrification de la ligne Valence-Grenoble ait été accepté. Mais qu’en est-il de l’électrification de la partie Grenoble- Montmélian ?
La nouvelle ligne ferroviaire constitue une étape essentielle dans le rééquilibrage des parts de marché réciproques de la route et du rail. Mais, ne nous leurrons pas, le développement de telles infrastructures ne suffira pas à inverser durablement la tendance si les efforts que vous avez engagés pour promouvoir une concurrence plus loyale entre la route et le rail ne sont pas poursuivis. Tel est l’enjeu d’une politique des transports respectueuse de l’environnement et de la sécurité, favorisant le développement durable.
L’hégémonie de la route a des causes identifiables. Son avantage concurrentiel réside dans la faiblesse de ses coûts, résultat pour partie de la non-prise en compte des externalités négatives, qui demeurent à la charge de la collectivité. Résultat aussi du dumping social : détérioration des conditions de travail et la pression à la baisse sur les salaires. L’embauche illégale de chauffeurs routiers venus des pays de l’Est, touchant des paies de misère, sans protection sociale et soumis à des horaires élastiques risque d’être encore favorisée par l’élargissement européen. Certes, nombre de textes européens encadrent l’emploi de la main-d’œuvre de l’Est, auxquels vous avez largement contribué. À cela s’ajoute une directive adoptée fin décembre limitant la durée de travail hebdomadaire d’un routier à 48 heures. Il n’en demeure pas moins qu’une réelle harmonisation des normes sociales européennes vers le haut est indispensable. Ces avancées ne suffiront pas si les efforts ne sont pas poursuivis afin de rétablir une concurrence loyale entre les différents modes de transport. Permettre une progression du droit social des pays les moins avancés c’est aussi donner plus de sens à la construction européenne et répondre aux aspirations légitimes de la population.
Dans cette optique, la volonté de Bruxelles de libéraliser le marché du fret ferroviaire avant 2008 est très préoccupante. La Commission européenne souhaite « mener à bien la construction d’un espace ferroviaire européen juridiquement et techniquement intégré ». La prise en compte de la seule dimension technique de l’harmonisation fait peser de graves menaces sur les services publics ferroviaires européens, si elle ne s’articule pas à la dimension sociale. Le rééquilibrage entre rail et route ne doit pas passer par la libéralisation du secteur public et la mise en concurrence des systèmes nationaux de fret. Ce serait aligner vers le bas les prix du fret ferroviaire.
L’extension des réseaux transeuropéens nécessite des financements énormes que les États seuls ne peuvent engager. Ces grands travaux exigeraient une volontarisme financier européen. Les gouvernements français et italien ont bien fait de solliciter des soutiens européens. Outre que cette liaison transalpine Lyon-Turin fait partie des 14 projets retenus comme prioritaires au sommet d’Essen, elle est aussi génératrice d’externalités positives : réduction de la pollution atmosphérique, désenclavement routier, connexion de réseaux transeuropéens permettant le développement des échanges.
Je vous remercie d’avoir pris l’initiative de lancer une mission chargée de consulter les différents acteurs concernés, afin de mettre en place les cofinancements nécessaires aux projets d’infrastructure de la région Rhône-Alpes. Mais nous devons exiger une participation financière européenne, directe ou relayée par la banque européenne d’investissement : sans un financement à hauteur des ambitions, la construction d’un espace ferroviaire européen inscrit dans une politique de développement durable n’a aucune chance d’aboutir !