Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nouvelles régulations économiques

Par / 10 octobre 2000

par Odette Terrade

Monsieur le président, madame la secrétaire d’Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui, très médiatisé lors de son passage à l’Assemblée nationale, était attendu par l’opinion publique. Et pour cause ! Il avait pour objectif, selon l’aveu de M. le Premier ministre, de résoudre des situations telles que l’" affaire Michelin ".

Sans anticiper sur les propos de mon collègue Paul Loridant, je rappellerai brièvement les faits. En septembre 1999, la société Michelin affiche des bénéfices en hausse de 22 % et, quasiment dans le même temps, son président-directeur général annonce un plan dit " social " se traduisant par 7 500 licenciements. A l’annonce de ces licenciements, le cours de l’action Michelin s’envole. L’émotion et la colère des salariés de cette entreprise et, plus largement, de nos concitoyens qui se sont exprimés alors étaient légitimes.

Comment ne pas se sentir révolté ou tout du moins désappointé par la brutalité de cette réalité ?

Dans le même esprit, comment ne pas se sentir frustré ou, tout du moins, déçu par le texte que nous examinons aujourd’hui et qui devait apporter une solution à ce type de situations ?

Nous apprécions incontestablement un certain nombre de dispositions que ce projet de loi prévoit. Le groupe communiste républicain et citoyen ne manquera d’ailleurs pas de soutenir toutes les mesures lui semblant aller dans le bon sens. Pour autant, nous regrettons que ce texte, après avoir fait l’objet d’annonces éminemment politiques, manque singulièrement d’ambition politique et d’efficacité.

En fait, de quoi est-il question ? Il s’agit d’un toilettage de mesures existantes. Le Gouvernement procède à une actualisation et à une réglementation des relations contractuelles ou conflictuelles qui ont cours dans les stratégies d’entreprises sans rien remettre en cause de l’architecture actuelle. Il légitime les mouvements de capitaux, même s’ils se révèlent contraires à l’intérêt général. Sans tenter de les limiter significativement, il rend plus strictes les modalités de fusion, de concentration, afin de lutter contre les concurrences déloyales ou le blanchiment de l’argent sale.

Enfin, il rend le statut des entreprises plus collégial, à défaut de le rendre démocratique, en respectant mieux les droits des petits actionnaires mais en restant muet sur les droits à accorder aux salariés, qu’ils soient actionnaires ou non.

Force est de constater que ce texte ne répond pas à l’ambition initiale qui avait guidé sa rédaction.

Les illustrations de ce fait sont nombreuses. En effet, qu’est-ce que la consultation de la COB, la Commission des opérations de bourse, et du CECEI, le comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, proposée par ce texte, aurait changé à la captation du Crédit commercial de France par la HSBC, la Hong Kong and Shangai Banking Corporation ?

Quels effets cette loi aurait-elle eu sur des mouvements de concentration tels que ceux qui ont été opérés par Renault et Nissan, TotalFina et Elf ou la BNP et Paribas.

Quels outils présentés dans ce projet de loi sont-ils de nature à lutter contre le mouvement des capitaux, qui, par leurs combinaisons réussies ou non, défavorisent des populations considérables ?

Se dégage-t-il de ce texte la volonté de créer une autorité politique capable de faire valoir une incompatibilité entre ces procédés et la politique monétaire, financière, sociale de la France ?

A toutes ces questions, nous sommes dans l’obligation de répondre par la négative.

Nous ne sous-estimons pas le travail accompli par l’Assemblée nationale, qui, d’ailleurs, a quelque peu amélioré les dispositions proposées : c’est d’ailleurs pourquoi nous soutiendrons, si elles sont mises en débat, un certain nombre de mesures positives.

Toutefois, et de façon plus fondamentale, nous regrettons que la logique de financiarisation de l’économie, avec toutes ses conséquences négatives sur l’économie réelle, ne soit pas contestée dans la philosophie et les dispositions mêmes du projet. Comme nos collègues communistes de l’Assemblée nationale, nous analysons ce texte comme une adaptation à la logique spéculative, à la croissance fictive qui se développe de manière irrationnelle, à la multiplication des bulles financières qui aspirent la substance monétaire au détriment des activités sociales, économiques, écologiques et humaines, qui sont pourtant l’expression de la vraie vie.

Nous attendions l’esquisse d’une autre construction économique et financière, transformant qualitativement notre façon de produire, répartissant les richesses et partageant les pouvoirs, au service d’un développement dynamique, solidaire, dans le cadre d’une mondialisation tenant compte de la diversité des cultures et des territoires.

En résumé, nous souhaitions rompre avec la logique de guerre économique qui domine aujourd’hui et se traduit par une concurrence sauvage, exacerbée par l’économie virtuelle, cette économie qui serait la seule capable de nous faire entrer dans la modernité, et ce malgré les conséquences désastreuses que nous observons chaque jour.

Les parlementaires communistes appellent de leurs voeux des réformes structurelles. Bien entendu, ces réformes nécessitent ambition, courage politique et aussi inventivité. Mais les points d’appui ne manquent pas pour y parvenir.

En effet, des organisations comme la coordination pour un contrôle citoyen de l’Organisation mondiale du commerce ou celles qui sont présentes à Seattle, à Boston ou à Washington se font jour. Elles réfléchissent, proposent et agissent. Elles souhaitent, elles aussi, de nouvelles lois de régulation, fondées sur un contrôle démocratique des ressources, le respect des écosystèmes, l’égalité, la coopération et le principe de précaution.

Permettez-moi de développer
quelques-unes de nos propositions qui prendront la forme d’amendements que le groupe communiste républicain et citoyen vous présentera au fil des articles.

Tout d’abord, nous présenterons une série d’amendements cosignés avec d’autres collègues, membres du groupe parlementaire ATTAC. L’amendement le plus important vise bien entendu à mettre en oeuvre la taxe Tobin sur les flux transnationaux de capitaux. Mais un certain nombre de ces amendements portent également sur le renforcement de la lutte contre les paradis fiscaux et le blanchiment des produits du trafic des stupéfiants et de l’activité des organisations criminelles.

Je citerai enfin, s’agissant de cette série d’amendements, ceux qui tendent au rétablissement du droit de timbre et de l’impôt de bourse dont sont exonérées les opérations effectuées par des investisseurs non résidents. En effet, cet impôt de bourse, supprimé par M. Balladur en 1993, pourrait faire figure de mini-taxe Tobin, car il ne porte que sur le marché des actions et non sur celui des changes. Je rappelle que cet impôt est appliqué aux résidents et que, s’il était élargi aux
non-résidents au même taux, c’est-à-dire
0,15 %,...

M. Philippe Marini, rapporteur. Ils iraient ailleurs !

Mme Odette Terrade. ... il rapporterait
18 milliards de francs par an.

M. Philippe Marini, rapporteur. Mais non ! Cela ne rapporterait rien !

Mme Odette Terrade. Cette somme est dérisoire par rapport au rendement de la bourse de Paris, qui a augmenté de 52 %, en 1999 !

Il suffirait de porter cet impôt à 1 % pour que 120 milliards de francs soient collectés.

M. Philippe Marini, rapporteur. Mais
non !

Mme Odette Terrade. Avouez qu’amputer de 1 % les opérations boursières, qui portent chaque année sur
12 000 milliards de francs, ne mettrait pas les actionnaires sur la paille !

M. Philippe Marini, rapporteur. C’est une illusion complète !

Mme Odette Terrade. Cette disposition pourrait également contribuer à instaurer plus d’équité fiscale entre souscripteurs et permettrait ainsi de s’attaquer à la part toujours plus grande qu’occupent les placements venant de l’étranger.

Toujours dans la première partie de ce projet de loi, relative aux régulations financières, nous proposerons des dispositions s’attaquant aux spéculations abusives afin de contenir la croissance financière lorsqu’elle ne s’appuie pas sur celle de l’économie réelle.

S’agissant des offres publiques d’achat, les OPA, et des offres publics d’échanges, les OPE, nous sommes très attachés à offrir aux salariés et à leurs représentants des droits nouveaux leur permettant d’être informés, mais également de prendre une part plus active dans les décisions, en particulier lors d’OPA, d’OPE, de fusions, d’absorptions, de concentrations et lorsque l’emploi est en jeu.

Concernant la lutte contre le blanchiment de l’argent, nous notons positivement les améliorations proposées par le texte, notamment après son passage à l’Assemblée nationale. Il était urgent de s’attaquer à ce problème car, je le rappelle, selon le Fonds monétaire international, le blanchiment représenterait 1 000 milliards d’euros.

Nous proposerons trois amendements lors de l’examen de ce titre. Le premier vise à impliquer l’ensemble des membres des professions juridiques indépendantes qui participent, dans le cadre de leur profession, à la conception ou à la réalisation de transactions de blanchiment de capitaux provenant du trafic des stupéfiants.

Nos deux autres amendements visent à étendre les sanctions aux centres financiers off shore, aux paradis fiscaux et autres zones de non-droit.

La deuxième partie de ce projet de loi concerne la régulation de la concurrence.

La domination qu’exerce aujourd’hui les distributeurs tant sur les PME du secteur industriel ou agro-alimentaire que sur les consommateurs au travers de l’abaissement des critères de qualité démontre combien il est nécessaire de favoriser l’émergence de nouvelles relations entre producteurs et distributeurs.

Cette problématique est d’ailleurs similaire dans les domaines de la production intellectuelle et artistique. C’est pourquoi nous présenterons un amendement visant à interdire les offres d’accès illimité aux cinémas appartenant à des entreprises réalisant plus de 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain, comme UGC l’a fait au détriment des petites salles, qu’elles soient d’art ou d’essai, ou dans les zones rurales.

On assiste aujourd’hui à de larges mouvements de restructuration et de concentration qui affectent le bon fonctionnement de la concurrence, l’équilibre des relations entre les entreprises et, par voie de conséquence, les prix et l’emploi.

Dans le secteur de l’agro-alimentaire, on assiste au diktat des groupes d’achat qui écrase les petits producteurs. L’offre d’un bas prix pour les consommateurs ne doit pas servir d’alibi à ces pratiques déloyales qui menacent nos producteurs. La préoccupation des cinq centrales d’achat qui distribuent à elles seules 93,60 % des produits alimentaires dans notre pays est, n’en doutons pas, exclusivement financière.

Le groupe communiste républicain et citoyen souhaite confirmer l’ordonnance de 1986 qui donne la possibilité au Gouvernement d’agir sur les prix agricoles en cas de crise.

Nous souhaitons également que le rôle du conseil de la concurrence soit étendu en élargissant son champ de compétences aux opérations de concentration. Ces opérations nous semblent d’ailleurs devoir faire l’objet de plus grands contrôles, notamment par leur notification au ministre chargé de l’économie.

Enfin, la troisième partie du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui est relative à la régulation de l’entreprise.

Là encore, madame la secrétaire d’Etat, nous restons sur notre faim.

Conformément aux objectifs affichés par M. Jospin, nous aurions souhaité que vous nous proposiez un dispositif interdisant aux entreprises réalisant des bénéfices substantiels de procéder à des plans dits " sociaux ". Je me permets de souligner qu’aux dégâts sociaux que de telles opérations produisent s’ajoute un pillage éhonté des fonds publics. En effet, ces plans appelés " sociaux " sont souvent réalisés alors que ces mêmes entreprises reçoivent de l’argent public au nom de l’emploi.

A cet égard, je rappelle que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de loi relative à la constitution d’une commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.

S’agissant des stocks-options, nous pensons qu’il est indispensable de clarifier leur régime fiscal, en considérant leur caractère anti-économique au regard de l’économie réelle.

Comme pour la sphère politique, la volonté du projet de loi de limiter le cumul des mandats dans les entreprises a beaucoup été commentée. Nous pensons qu’il convient de mieux dissocier les pouvoirs dans toutes les entreprises. Une présence significative des salariés dans tous les lieux de décision, y compris au conseil d’administration, nous semble nécessaire.

Avant de conclure, je voudrais dire quelques mots sur les modifications apportées par les différentes commissions saisies, en particulier la commission des finances.

Lorsque l’on parle de nouvelles régulations économiques, certains, tels
MM. les rapporteurs, tirent de cette définition un sens particulier. Pour eux, cela signifie que l’on accepte comme indépassables, indiscutables " l’économie ultra-libérale " et son cortège de ravages et que, dès lors, toute mesure de caractère législatif est directement liée à la seule adaptation de la société à ces modalités de fonctionnement économique !

Dans son essence, le présent projet de loi peut donc tout à fait convenir à la majorité sénatoriale, qui retrouve là une partie de ses préoccupations. C’est le cas pour la modernisation du droit des sociétés qui procède du mode de fonctionnement des entreprises anglo-saxonnes. C’est également le cas pour la place particulière des autorités indépendantes ou professionnelles dans le contrôle de telle ou telle activité et donc pour la dissolution du rôle de l’Etat, du politique, du
" démocratique élu " au bénéfice d’organismes tendant à définir entre
" initiés " les règles du jeu. C’est certainement là la vision de la " liberté par rapport à la contrainte ", citée par l’orateur précédent.

Mais cette démarche trouve tout de même quelques limites : ainsi, une forte volonté de lutter contre l’argent sale est affichée. On s’interroge aussi sur l’intentionnalité du délit.

De même, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous appelez de vos voeux la gouvernance d’entreprise et le renforcement des pouvoirs de l’assemblée générale des actionnaires, mais, surtout, vous souhaitez réduire la portée de l’intervention des instances de représentation du personnel et vous vous montrez plus que réservés lorsqu’il s’agit de transparence de la rémunération des dirigeants...

Les parlementaires communistes républicains et citoyens ne se satisfont pas, quant à eux, du fonctionnement actuel de l’économie de marché. Et ce texte, qui ne vise qu’à en corriger les effets les plus négatifs, ne peut remporter notre totale approbation !

Nous pensons qu’un autre fonctionnement de notre économie est possible. J’ai tenté, à l’aide de la série de propositions que je viens d’énoncer, d’en tracer une ébauche. L’adoption des amendements du groupe communiste républicain et citoyen permettrait de répondre aux attentes de nombre de nos concitoyens, qui aspirent tout comme nous à l’inversion de la logique dominante.

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