Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Politique communautaire de l’eau

Par / 6 janvier 2004

par Evelyne Didier

Monsieur le président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui propose de transposer dans notre législation la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau.

Tout d’abord, il nous faut avoir présent à l’esprit que la question de l’eau est l’une des questions fondamentales posées à l’humanité parce que cette ressource est vitale pour le vivant, indispensable au développement des activités humaines et qu’elle n’est pas inépuisable. En effet, la plupart des experts s’accordent à dire que la raréfaction de l’eau douce est inéluctable.
C’est la raison pour laquelle nous affirmons que l’eau n’est pas une marchandise mais un bien vital que personne n’a le droit de s’approprier et que, de ce fait, sa gestion doit être contrôlée par la puissance publique. Elle ne doit donc pas dépendre de groupes privés qui, s’ils peuvent assurer des missions de service public ne peuvent prétendre en aucun cas représenter l’intérêt public.

C’est ce qu’ont bien compris nombre de communes, décidées à reprendre le service de l’eau en main, malgré les attaques dont elles sont victimes devant les tribunaux de la part des grands groupes qui cherchent à conserver et accroître leur contrôle sur une activité lucrative dont les bénéfices vont aux actionnaires.
Pour notre part, nous demandons la création d’une agence nationale de l’eau, garante d’un usage solidaire et responsable de la ressource, dans le cadre d’une convention mondiale de l’eau. Une proposition de loi avait été déposée en ce sens par notre groupe en 1999 et notre collègue Robert Bret avait expliqué, à cette occasion, les raisons qui ont motivé cette proposition.

J’en viens maintenant au texte que vous nous soumettez. Il eut été à notre avis beaucoup plus judicieux d’écrire un projet global présentant une véritable politique de l’eau au service de nos concitoyens incluant les objectifs de cette directive-cadre comme le prévoyait le projet préparé par le précédent gouvernement. Si la directive eau est d’un intérêt évident, ce projet de loi aurait pu, dès maintenant, apporter des précisions sur quelques sujets d’importance pour nos concitoyens que je souhaite évoquer ici.
L’article 1er indique que les coûts liés à l’utilisation de l’eau, y compris les coûts pour l’environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs.

Pourtant, la directive, elle, dans son article 9 utilisait les termes suivants : « les Etats …tiennent compte du principe de la récupération des coûts des services liés à l’utilisation …et conformément en particulier au principe pollueur-payeur ». Le texte que vous proposez ne reprend pas cette notion. Cela me semble lourd de conséquences, en particulier pour les ménages dont on sait qu’ils paient l’essentiel de la facture, si le principe pollueur-payeur n’est pas réaffirmé dans le même temps. En effet, ce qui coûte cher, en dehors des investissements liés à la distribution, c’est de traiter l’eau polluée pour en faire de l’eau potable propre à la consommation humaine. Dans ce schéma, je crains que le couple utilisateur-payeur se substitue au couple pollueur-payeur. Nous savons bien que l’une des grandes questions posées dans ce débat est celle de la répartition des charges du coût de l’eau entre les différents utilisateurs et, plus particulièrement, du montant de la facture d’eau pour les ménages. Nos concitoyens sont très sensibles à ce sujet parce qu’ils subissent depuis de nombreuses années, des augmentations importantes du prix du mètre cube sans savoir vraiment pourquoi, le calcul de ce prix étant des plus obscurs.
Le coût moyen en France est de 2,64 euros du mètre cube, chiffre qui masque la disparité des tarifs pratiqués.

Dans ce domaine, je peux vous indiquer que j’habite dans un secteur en Meurthe-et-Moselle où le prix acquitté par les consommateurs a franchi et dépassé les 5 euros du mètre cube. Ceci parce que nous devons subir, là encore, les conséquences de l’activité minière : le sous-sol bouge, les tuyaux cassent, l’eau se perd, il faut refaire les canalisations. Ajoutons à cela le fait que les eaux utilisées sont souvent des eaux d’exhaures stagnant dans les anciennes galeries de mines qui contiennent des taux très élevés de sulfates. Qui sont les pollueurs ? Seraient-ce les consommateurs ? Certes non ! Pourtant ce sont eux qui paient.

Une clarification est absolument nécessaire qui permettrait aux consommateurs et aux citoyens de connaître les éléments qui entrent dans la composition du prix ainsi que les mécanismes de réévaluation des tarifs.
La deuxième grande question est celle du coût des investissements pour les collectivités locales. En effet, ce sont elles qui apportent les capitaux pour les investissements dans le domaine de l’eau. Les groupes privés, eux, préfèrent s’occuper de traitement, d’entretien et de services parce que les normes élevées et la sophistication des traitements mis en place nécessitent une haute technicité induisant un meilleur profit. Je voudrais rappeler à ce propos l’initiative prise par trois députés communistes et trois députés verts qui ont demandé la création d’une commission d’enquête sur le rôle de Veolia Environnement (ex-Vivendi) « sur l’utilisation des provisions versées par les communes pour l’entretien et la rénovation des réseaux de distribution d’eau. » Il semblerait que cet argent ait été placé sur le compte d’une société off shore. Des provisions ont été faites, mais au profit de qui ?

Les milliards d’investissement à venir pour une mise en conformité des réseaux et des centres de production d’eau potable ou de traitement des eaux usées vont augmenter, de manière considérable, le prix de l’eau.
Sur les objectifs poursuivis, c’est-à-dire préserver la ressource en quantité et en qualité, et atteindre le bon état écologique des eaux en 2015, nous sommes bien entendu d’accord. Pourtant je m’interroge sur les moyens et sur les méthodes qui seront mis en œuvre pour y arriver.

L’article 2 prévoit que le comité de bassin compétent procède à un état des lieux pour fixer ensuite dans le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux et « les orientations fondamentales d’une gestion équilibrée de la ressource et des objectifs de qualité et de quantité des eaux ». Bien ! Mais ce texte ne dit pas, par exemple, quels seront les critères utilisés ou encore quels seront les seuils fixés. Ce qui nous aurait au moins permis de connaître le niveau d’exigence du gouvernement et de mesurer, par exemple, la volonté réelle de protéger la ressource contre les pollueurs ou encore, celle de faire cesser les pompages sauvages et anarchiques dans les nappes phréatiques, pour ne citer que ces deux problèmes. On peut imaginer de retrouver un jour une eau naturelle dans un bon état. C’est possible à condition de lutter efficacement contre les rejets de substances polluantes dans le milieu naturel. Là encore, il serait intéressant de connaître la détermination du gouvernement.

Une autre question posée par ce projet de loi est celle de la définition des concepts utilisés. Le bon état écologique reste à définir et la notion de masse d’eau reste à préciser. La communauté européenne travaille actuellement sur ces concepts et devrait indiquer ses exigences dans un autre texte. De plus, les normes qui s’imposeront à tous les acteurs de l’eau dans l’avenir sont en cours d’élaboration. Elles concerneront à la fois les outils de mesure, les méthodes d’analyse, l’évaluation des masses d’eau mais aussi les produits de la construction, etc… je m’arrête là. J’ai déjà indiqué à quel point l’établissement de normes très contraignantes était générateur de coûts exorbitants pour les collectivités. Je ne suis pas contre les normes. Mais je me demande quel contrôle, autorisé et démocratique, sera fait pour évaluer si ces normes ne sont pas excessives entraînant des investissements nouveaux utiles avant tout à la prospérité de certains grands groupes.
Est-ce l’objectif qui dicte les normes ou les normes qui guident l’élaboration des objectifs ? Cette question mérite d’être posée.

L’article 2 prévoit également la possibilité d’assouplir les exigences tant pour le calendrier (2027 au lieu de 2015) que pour le niveau de qualité demandé afin de tenir compte de la réalité. Si la souplesse est en soi une bonne chose, elle laisse, de fait, la porte ouverte à tous ceux qui voudraient exercer des pressions sur les décideurs. Nous aurions aimé que des précisions soient apportées sur l’ampleur de cette souplesse.
Enfin, la notion de masse d’eau fortement modifiée permet dans certains cas de faire des exceptions.
Je me bornerai aujourd’hui à faire ces quelques remarques sur les deux premiers articles qui m’ont semblé essentiels dans ce projet de loi.

Le prochain texte que vous annoncez pour 2004, nous permettra sans doute d’apporter des réponses à toutes ces questions, du moins, nous l’espérons, mais il faut remarquer qu’une fois encore, nous sommes appelés à adopter un texte sans pouvoir mesurer vraiment quelles seront les conséquences de son application.
Si nous sommes d’accord sur les objectifs de restauration de la qualité des eaux, nous sommes dubitatifs sur tous les points que j’ai indiqués.

C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat comme ses collègues de l’Assemblée Nationale, s’abstiendra sur ce texte.

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Bio Express

Évelyne Didier

Ancienne sénatrice de Meurthe-et-Moselle
Membre de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire
Elue le 23 septembre 2001
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