Affaires économiques
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Privatisation d’Air France : deuxième lecture
Par Hélène Luc / 1er avril 2003par Hélène Luc
Permettez-moi d’abord de vous livrer les analyses de Mme Terrade. Nous savions que la guerre d’invasion en Irak du Président Bush, qui se poursuit depuis 12 jours maintenant, allait plonger l’économie et plus particulièrement celle du transport aérien, dans une situation désastreuse. Les marchés sont dans l’attente, le cours du baril du pétrole comme boussole de la conjoncture, donne l’orientation de l’économie mondiale. « La France sait qu’elle a devant elle 90 jours de réserves de pétrole » ; cette information dramatise le lien entre la conjoncture française à celle de la guerre en Irak.
À peine remis des conséquences de la première guerre du Golfe et du 11 septembre, les transports aériens font, depuis l’objet de plan de réductions drastiques de leurs activités et de leurs budgets. Le 26 mars, le conseil d’administration d’Air France décidait, suite au déclenchement de la guerre, un plan d’adaptation hebdomadaire, la réduction de 7 % de ses capacités de vol, pour s’adapter à l’offre, la limitation des investissements 2003-2004 et la suspension provisoire des embauches afin de faire des économies.
Avec la guerre en Irak, nous sommes au cœur de la logique libérale du gouvernement français, de l’Europe, des États-Unis. C’est une guerre pour le pétrole, pour s’assurer le contrôle de cette région. La France, heureusement, par la voix de son Président, par son gouvernement, par son ministre des Affaires étrangères, a dit non à la guerre, ce que les Français approuvent à 78 %. Voilà le monde mis sous pression pour des intérêts financiers et non pour des raisons de civilisation. Nous craignons que cette guerre ne serve d’autres intérêts que ceux de l’émancipation humaine, que ce ne soit une guerre des civilisations.
Déjà, à la suite du 11 septembre, on nous avait avancé l’argumentaire libéral sur la nécessité de récupérer les manques à gagner sur le dos des salariés. Air France alors n’avait pas licencié mais profité des circonstances pour donner des stages de formation à ses pilotes et à son personnel. C’était une façon de préparer l’avenir. Aujourd’hui, on ne procède pas ainsi : on suspend provisoirement les embauches, on reporte à 2005 la livraison de trois Airbus A320 et de quatre A318.
Derrière cette ligne de conduite, il n’y a aucune considération des salariés, aucune prise en compte de l’outil de travail. Il ne se profile aucune embauche à Air France et les commandes de la construction aérienne sont ralenties ce qui ne va pas favoriser l’emploi dans ce secteur. Pourtant, le personnel d’Air France est depuis plusieurs années, au nom de la rigueur, en sous-effectif. La guerre va-t-elle devenir l’alibi pour appliquer des plans sociaux comme jamais n’en avaient fait MM. Blanc et Spinetta ?
Aujourd’hui, s’appuyant sur le contexte international, les personnalités qualifiées du conseil d’administration, qui sont des patrons, demandent des mesures structurelles. C’est nous annoncer les licenciements du futur. Ce bradage cynique de notre transport aérien illustre le rapport de forces entre le capitalisme et les salariés. Le gouvernement veut placer le transport aérien hors des services publics grâce à la déréglementation engagée par l’Europe. Issue d’une politique de services publics forts, notre compagnie est restée en bonne santé, elle est un atout pour toutes opérations financières de consolidation demandées par les puissances financières qui visent la concentration des compagnies européennes en une seule.
Rappelez-vous l’effet de la concentration financière des entreprises européennes de production d’acier, Usinor en France, Asseralia en Espagne et Arbed au Luxembourg, on a supprimé 70 000 emplois. La valeur travail ne résiste pas à une telle offensive du capitalisme. La privatisation de l’entreprise publique de notre transport aérien, aura pour conséquence la perte de beaucoup d’emplois, la perte d’une qualité de circulation et de transport sur notre territoire. Cela va créer beaucoup de misère et de gâchis humain. Air France devenant une multinationale aura comme but unique de créer de la valeur cotée en bourse pour ses actionnaires.
Je voudrais maintenant parler en mon nom personnel. Air Lib constituait un second pôle du transport aérien français ; vous n’avez pas voulu le sauver, vous et votre Premier ministre.
M. DE ROBIEN, ministre des Transports. - « Notre » Premier ministre. C’est le gouvernement de la France !
Mme LUC. - Nombre de salariés ont voté Chirac contre Le Pen ; ils ne se sentent pas respectés par ce gouvernement.
Dites à la représentation nationale quelles mesures seront prises pour les 15 000 salariés d’Air Lib qui attendent d’être reclassés. Mesurez-vous bien le traumatisme qui restera dans la vie de ces hommes et de ces femmes atteints dans leur dignité de travailleurs. C’était une tâche qu’ils aimaient, dans laquelle ils s’étaient investis.
Easyjet a obtenu une partie des créneaux d’Air Lib. Un espoir a alors pris fin, celui d’une reprise, même partielle d’Air Lib et des emplois associés par Jet Line, C.M.A., C.G.M.
À Choisy, je connais une ancienne chef d’avion d’Air Lib. Elle doit se reconvertir dans le pressing.
M. DE ROBIEN, ministre des Transports. - Il n’y a pas de sots métiers !
Mme LUC. - Sans doute la teinturerie est-elle un travail honorable, mais quel gâchis de compétence !
La commission d’enquête que l’Assemblée nationale a constituée pour vous disculper n’enlèvera rien à votre responsabilité ni à celle du baron Seillière dans ce gâchis. Air Lib avait sa place ; sa liquidation n’était pas prononcée que les compagnies à bas prix se battaient pour ses créneaux ! Là aussi, vous avez fait le choix le plus libéral qui soit.
Je réitère ma question : où en est votre engagement de reclasser les licenciés ? Air France a reçu 2 190 créneaux d’Air Lib, soit 20 %. Que devient la cellule de crise ? Les salariés d’Air Lib n’auraient plus de local pour se réunir si le conseil général du Val-de-Marne ne leur en avait procuré un.
Air France s’est engagée à reprendre 1 000 salariés pour combler 1 000 départs à la retraite. Informez-nous des mesures prises pour faire face à la situation dramatique de ces salariés. Le progrès aurait été, de renforcer l’offre publique de transport aérien, en qualité et en quantité, pour mieux répondre aux nouveaux besoins de transport harmonieux et équilibré sur notre territoire et dans le monde.
La logique du service public est la garantie de l’emploi, la péréquation tarifaire, le respect de l’environnement et la sécurité. Sa vertu cardinale est de placer au cœur du dispositif le salarié, l’usager, le riverain - c’est-à-dire l’homme ! - avant les intérêts financiers.
Quand les peuples du monde entier dénoncent la guerre pour du pétrole, ils expriment bien sûr l’aspiration à la paix, mais aussi à la justice sociale, à l’égalité entre les notions, donc au service public. Ils ne veulent pas faire primer la loi de l’argent ! Nous sommes donc fermement opposés à votre projet de privatisation !