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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Projet de loi d’orientation sur l’énergie : question préalable

Par / 9 juin 2004

par Marie-France Beaufils

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Parce qu’elle fixe des grandes lignes directrices, parce qu’elle porte en elle une vision à long terme où se mêlent incitations, projets et projections dans l’avenir, autrement dit, parce qu’elle est révélatrice de choix politiques qui engagent l’avenir, une loi d’orientation est toujours importante.

Celle dont nous discutons aujourd’hui le projet l’est d’autant plus qu’elle concerne l’énergie, domaine géostratégique par nature, traversé actuellement par de réels enjeux, économiques, sociaux et environnementaux, autrement dit, par des enjeux de société qui s’inscrivent d’emblée dans le cadre international.
Une politique d’orientation sur l’énergie doit évidemment partir d’un tel cadre d’analyse.

Des pays développés comme le nôtre ne peuvent définir leur politique énergétique sans tenir compte de ses conséquences sur les pays en voie de développement. Les questions d’environnement, de réchauffement de la planète impliquent que nos choix soient respectueux des exigences que nous avons approuvées avec les accords de Kyoto, mais aussi attentifs à permettre aux pays en voie de développement de se construire. Et nos choix énergétiques auront des conséquences lourdes pour eux.
Ma collègue Odette TERRADE en a précisé les éléments tout à l’heure.

Après le livre vert alarmant de la Commission européenne sur la dépendance énergétique de l’Union Européenne qui importe 70% de son énergie, la question de l’indépendance énergétique devient une question prioritaire sur le plan européen.
Elle est aussi une question nationale, dans le contexte actuel de repli de la construction européenne sur le marché, qui se traduit par l’abandon d’une régulation assurée par les entreprises publiques et son remplacement par une régulation purement marchande assumée par des autorités dites indépendantes.
De plus la réalisation d’un marché intérieur européen de l’énergie réellement unifié constitue un véritable leurre ! Le colloque sur l’énergie, organisé par le sénat en juin 2002 en était tout à fait révélateur puisqu’il consacrait sa seconde partie à, je cite le titre : « marché européen de l’énergie : comment sortir de l’impasse » ?
Un chroniqueur d’un journal économique faisait remarquer que les échanges énergétiques sur le marché européen demeuraient encore très limités et n’étaient guère amenés à se développer.

D’autre part, dans les pays où le marché a triomphé, l’on doit bien constater l’échec de la nouvelle régulation marchande. La grande crise énergétique traversée par la Californie en 2001 avec l’écroulement de l’échafaudage ENRON sur fond de malversations financières et comptables à la clé, la faillite de British Energy, les coupures d’électricité en Espagne, en Suède, en Italie sont autant d’éléments en porte à faux avec les prétendues vertus de la libre concurrence. C’est le libéralisme qui est, de manière flagrante, pris en défaut par les faits.

Malgré les doutes quant à la possibilité de réaliser un marché européen unifié de l’énergie ; malgré les exemples concrets des dégâts causés et des pertes en efficacité socio-économique, la poursuite du mouvement de libéralisation et l’accélération du processus européen d’ouverture à la concurrence prôné au sommet de Lisbonne, me laisse des plus perplexes.
Enfin, comment faire abstraction du rôle de l’OMC qui définit le champ des services publics qui sera soumis aux exigences du marché et ce en court-circuitant de fait l’élaboration d’une politique nationale ou européenne plus soucieuse de préserver l’intérêt général, j’entends par là les missions de service public et les choix de la nation en matière de politique énergétique.

Ce sont ces mêmes institutions internationales qui nous contraignent depuis des années à des plans d’ajustements structurels nationaux.
C’est un réel projet constructif avec la volonté de développer et de moderniser nos services publics à travers de grands pôles publics énergétiques capables de jouer sur les synergies entre les différentes sources d’énergie dont nous avons besoin. Or, que constate-t-on ? Vous nous proposez une loi d’orientation, mais il y a plus de déclarations d’intention que de moyens pour le mettre en œuvre.

Nous avons besoin d’une loi d’orientation ambitieuse, capable d’estimer sur le long terme les besoins à venir pour y répondre de manière la plus satisfaisante possible. Le vieillissement de l’outil industriel actuel est tel que le renouvellement du parc des centrales nucléaires paraît incontournable. Q’en est-il de la programmation des investissements en ce domaine ? Constatons nous un réel effort, avec des engagements financiers à la clé, en ce qui concerne les énergies renouvelables ? Le souci de développer les éoliennes s’appuie sur une véritable ponction sur EDF, sur l’institution d’une véritable « rente », qui est in fine répercutée sur l’usager final. C’est la conception même du service public qui est dévoyée alors que l’on sait pertinemment, les experts énergétiques le reconnaissent, que ce type d’énergie ne peut servir que d’appoint conjoncturel à la demande énergétique.

Quant au gaz, notre dépendance est quasi totale ! Doit-on encore ajouter que depuis la transposition de la directive gaz en 2003, la fin du monopole d’importation de Gaz de France soumet nos importations de gaz à une multiplicité d’opérateurs privés risquant ainsi de nous faire perdre le contrôle de nos flux d’importations et compromettant notre sécurité d’approvisionnement.
La directive, nous y obligeait, nous dit-on. Mais le monopole d’importation existe depuis plus de cinquante ans, et il a toujours été contraire au Traité de Rome !
L’on a donc de bonnes raisons de penser que certaines prescriptions européennes relèvent plus de l’idéologie et du dogme libéraux que de la recherche d’une meilleure efficacité économique. Au-delà, c’est une véritable transformation de notre société que vous nous préparez !

Fin du monopole d’importation donc et mise en place d’une autorité de régulation chargée de gérer instantanément les flux de gaz avec tous les aléas liés aux multiples approvisionnements, dont certaines sources sont très éloignées de la France. Jusqu’à maintenant, c’était une entreprise publique qui assurait le dispatching sur toute la France. Ce rôle est désormais dévolu à un organisme dont l’étroitesse hexagonale jette des doutes quant à sa capacité à réguler des flux en provenance de l’extérieur, domaine qui relève naturellement de la politique extérieure de la France.

A cela s’ajoute le fait que les grandes firmes, les « majors » du pétrole cherchent à s’accaparer ce type d’énergie pouvant apparaître comme une énergie complémentaire voire à terme substitut du pétrole. L’arrimage du prix du gaz sur celui du pétrole en est révélateur, et ô combien dès lors de notre véritable dépendance face à ce type d’énergie.
Bref, si l’on ne fait pas preuve d’un réel volontarisme politique avec une programmation des investissements nécessaires, nous devrons faire face dans les 15 années à venir à une insuffisance énergétique !!!

En effet, ce texte de loi propose en fait plus la gestion de la pénurie que le développement de notre outil industriel appuyé sur le développement des différentes sources d’énergie ; sur leur complémentarité sur le long terme.
Pour autant, votre loi d’orientation énergétique s’inscrit dans une problématique tout à fait malthusienne déconnectée des réels besoins de la population dans le moyen terme. Même si le texte a évolué avant d’arriver devant les parlementaires, la première version de votre projet de loi était tout à fait explicite sur ce point puisqu’elle prévoyait précisément la gestion des ruptures en fourniture d’énergie.
Il s’agit donc de prendre acte qu’à moyen terme la France risque, comme son voisin italien, de connaître des ruptures d’alimentation en énergie !!!
L’idéologie libérale trop prégnante a tendance à nous faire oublier un certain nombre de faits qu’il est bon de rappeler.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, la France était fortement dépendante en matière énergétique. Comment ne pas souligner que les progrès réalisés en ce domaine, nous les devons à l’ambition des forces politiques constitutives du Comité National de la Résistance, conscientes de la faillite des économies de marché des années 20 et 30, constatant l’impossible régulation par le marché et animées par une véritable volonté de progrès social et économique pour notre pays pour ses habitants.
Maîtriser l’avenir, et pour cela élaborer des projets de long terme c’était mettre un terme au laissez faire et à une régulation par le marché, nécessairement à court terme.

Cette organisation unique, capable de garantir aux industriels un horizon d’anticipation long dégagé des contraintes de rentabilité à court terme, ce « réducteur d’incertitudes » selon la judicieuse expression de Pierre Massé, nécessitait que le secteur de l’énergie occupe une place particulière. La notion de service public y joua un rôle primordial que ce soit en matière d’aménagement du territoire, d’électrification des zones rurales et d’obligation de desserte, de péréquation tarifaire, d’indépendance énergétique, ou encore d’emploi. Les énormes besoins de financement liés au développement des infrastructures en matière hydroélectrique puis nucléaire furent satisfaits grâce à la volonté nationale, accompagnée par le secteur bancaire.
Autant dire aussi que dans cette vision des choses le développement de l’outil industriel était prioritaire, il figurait peut-on dire au rang des obligations mêmes de service public, les fins se mêlaient aux moyens….

EDF, monopole public aura permis à la France son indépendance énergétique. Les résultats furent performants et à la hauteur des ambitions que ce soit du point de vue de la sécurité à long terme et de l’efficacité technique, encore en termes tarifaires.
Au regard de ce bref rappel historique des principales conditions qui ont permis le développement de notre industrie énergétique, le redressement de notre pays et le contexte actuel de déréglementation à tout crin ne semble guère compatible avec les besoins nouveaux qui se font jour.

Vouloir gérer la pénurie c’est précisément prendre le contre pied de ce qu’EDF a développé et qui permet une grande souplesse de fonctionnement afin de conserver des réserves de puissance disponibles à tout moment ! Cette capacité de surproduction électrique constitue un véritable réservoir, mobilisable à tout moment pour faire face aux aléas divers, climatiques ou autres, assure la régulation de l’offre et de la demande pour une production d’électricité qui n’est pas stockable.

Vouloir gérer la pénurie, c’est refuser de programmer les investissements sur le très long terme nécessaires pour assurer la continuité des missions de service public.
C’est précisément le statut d’EPIC (établissement Public Industriel et Commercial) qui aura permis à une entreprise comme Electricité De France ou Gaz De France de se donner les capacités de satisfaire les besoins collectifs des usagers, de la nation.
L’outil industriel, et le statut des entreprises étaient à la hauteur des ambitions fixées en matière de développement du secteur énergétique et d’exigences de service public.
Avec à la clé, un coût de l’électricité des plus faibles et des plus compétitifs !
L’on a pu constater combien au contraire la libéralisation du secteur énergétique avait fait flamber les prix !

Pour les grands industriels français, gros consommateurs, les clients dits éligibles, les évolutions des prix de l’électricité sont très inquiétantes et risquent de s’inscrire dans la durée du fait d’un alignement sur les cours européens. Ainsi, les industriels français achèteront en 2004 le kwh à au moins 0, 033 euros qu’alors qu’EDF commercialisait en juin 2003 le kwh pour 2004 à 0,024 euros.
C’est évidemment extrêmement pénalisant pour les industries grosses consommatrices d’électricité comme celles du papier, de la chimie, de la sidérurgie ou de l’aluminium, mais aussi pour une entreprise de transport comme la SNCF.
A partir de ce constat, on peut facilement imaginer les conséquences.

- Les coûts de l’électricité pour ce type d’industrie devenant prohibitifs : n’est-ce pas un nouveau prétexte à la délocalisation de l’outil industriel qui peut ainsi s’engager ?
- L’augmentation des prix sera compensée par répercussion proportionnelle sur la clientèle
- L’augmentation de ces coûts se traduira dans une rationalisation des coûts et des recherches d’économies par le biais par exemple du développement de la sous-traitance, de l’externalisation, de diminution des coûts de main-d’œuvre.

Cela est tout à fait révélateur d’une absence de vision et de stratégie à long terme. D’autant que sont exclus du cadre de réflexion des secteurs entiers de notre économie, polluent et contribuent au réchauffement climatique.
Finalement c’est une loi d’orientation, a minima.
Ce n’est pas pour nous surprendre. Engagé dans l’abandon au marché de ce secteur économique stratégique, le gouvernement ne se donne pas les moyens de sa mise en œuvre.

C’est d’ailleurs ce qu’exprime clairement le projet de loi qui va être discuté à l’Assemblée Nationale la semaine prochaine. En ouvrant le capital de nos deux entreprises publiques, essentielles dans ce domaine, vous perdez de fait une part importante des moyens que l’Etat doit avoir à sa disposition pour imposer ses choix.

Vos déclarations d’intention, sur la « non privatisation » d’EDF ne peuvent nous satisfaire, compte tenu de l’expérience. Je pourrais prendre l’exemple de la Compagnie Nationale du Rhône dont le capital détenu par les collectivités territoriales a été rachetée par Electrobel. Je pourrais aussi citer Air France qui, suite à son accord avec KLM, se retrouve avec un capital public inférieur aux 50%.
Nous sommes, pour notre part, favorables à la création d’un grand pôle public de l’énergie. Il pourrait se constituer à partir de la fusion des EPIC Electricité de France et Gaz de France. C’est la condition pour que l’énergie ne devienne pas une marchandise comme les autres et demeure un véritable bien public, propriété de la nation, de la collectivité. Ce faisant, elle participerait évidemment à la cohésion sociale.

Un groupe intégré permettrait de démultiplier les synergies tout en donnant une taille importante si ce n’est critique à EDF-GDF. Il n’existe guère d’éléments juridiques, que ce soit au regard du droit national ou européen, contre cette fusion. Elle aboutirait sans doute à des gains d’efficacité économique !
N’est-ce pas dans cette conception que Rhur Gas et EON se sont regroupés en Allemagne ?

Précisément, de ce point de vue, le coût des infrastructures est tellement élevé dans ce domaine, que des réseaux alternatifs à celui d’EDF, voire de GDF, ne peuvent être mis en place par des concurrents, comme ce fut le cas dans le secteur des télécommunications, avec le gâchis que l’on sait !

Il s’agit bien, Monsieur le Ministre, d’une situation de monopole naturel ! Et c’est aussi pour cette raison fondamentale que ces entreprises doivent demeurer propriété de la collectivité. Nous ne pouvons donc qu’être doublement inquiet : d’un côté un bien aussi particulier que l’énergie, bien essentiel à la vie, justifie la propriété publique, de l’autre les taux de rentabilité actuellement exigés par le marché compromettent la réalisation par le privé des investissements en infrastructures nécessaires pour maintenir notre capacité énergétique, assurer la continuité de la fourniture de notre territoire en énergie et nous projeter dans l’avenir avec suffisamment de sécurité tout en respectant les engagements que nous avons pris à Kyoto.

Quel est par ailleurs l’avenir de GDF coupé aujourd’hui de ses activités de transport de gaz et demain de celles de distribution ?
Beaucoup d’éléments militent en faveur d’un tel choix politique.
Ce n’est pas la voie que vous avez choisie, et votre second projet de loi est tout à fait significatif de ce point de vue !

Parce que votre loi d’orientation s’inscrit dans le cadre de la déréglementation du secteur énergétique et anticipe la privatisation de l’outil industriel, nous avons déposé cette question préalable qui rend compte de notre refus de débattre de ce projet de loi dans un tel contexte que vous approuvez.

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