Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réforme portuaire : demande de renvoi en commission

Par / 20 mai 2008

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire d’État,
Mes chers collègues,

Le gouvernement a, une nouvelle fois déclarée l’urgence, sur un projet de loi qui engage une réforme d’ampleur d’un secteur clef pour l’économie et l’emploi national.
Or, cette réforme visant à transformer les sept ports autonomes destinés en grands ports maritimes, menée sans concertation effective des représentants des personnels, risque d’avoir des conséquences économiques et sociales désastreuses pour le secteur, mais également pour les activités économiques et les emplois externes qui en dépendent.
En réalité, le gouvernement entend une nouvelle fois, dans la précipitation, réduire un peut plus les missions de service public de l’Etat et de ses établissements publics, sans laisser au Parlement et à ses commissions permanentes le temps nécessaire à une information exhaustive et éclairée en particulier sur les conséquence de cette nouvelle privatisation.

De plus, la justification de l’urgence que vous avez donnée lors de votre audition par la commission des affaires économiques le 7 mai 2008, Monsieur le ministre, nous semble inappropriée à la mise en œuvre de cette procédure restrictive des droits du Parlement.
En effet, je cite le bulletin des commissions « s’agissant de la procédure d’urgence, le ministre a estimé qu’il convenait que cette réforme soit adoptée rapidement compte tenu du climat social qui l’entourait ».
En d’autres termes le gouvernement souhaite qu’il soit légiféré dans de brefs délais non pas au nom de la mise en œuvre rapide d’une réforme jugée utile pour nos ports, mais pour faire passer en force une réforme pensée en dépit du bon sens et étouffer les justes revendications des personnels inquiets.
La précipitation au service des intérêts privés, au détriment de l’intérêt général !
Cela en dit long sur la conception du gouvernement du rôle du débat parlementaire et de la concertation des partenaires sociaux !

En ce qui concerne la consultation des partenaires sociaux, je réitère ici l’opposition des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à préjuger d’un dispositif qui serait négocié avec eux après l’adoption du texte par le Parlement. Cette démarche les mettrait de fait dans un rapport de force moins favorable ce qui est déjà en soin inacceptable.
En raison de l’absence de justification valable de l’urgence, nous considérons qu’il est urgent de procéder à un travail plus approfondi, au sein du Sénat, sur le texte qui nous est proposé afin notamment d’alerter l’ensemble des sénateurs sur les dangers qu’il présente. Et ce pour plusieurs raisons :
Premier point : de trop nombreuses dispositions renvoient, de façon floue, à des décrets d’application. Il est très louable de votre part de vous être engagé en commission à nous faire parvenir lors du débat en séance les projets de décrets.

Cependant, même si on cautionnait ce recours de plus en plus large aux textes réglementaires on vous ferez au moins la remarque que ces décrets qui restent des projets peuvent changer et que leur consultation arrive un peu tard.
Mais, comme nous sommes farouchement opposés, au nom du respect des prérogatives du parlement et de l’article 34 de la Constitution, à ces renvois de plus en plus fréquents au pouvoir réglementaire, nous nous contenterons de faire remarquer que sur un certain nombre d’articles, en l’état actuel du texte, il est impossible de dire que le Parlement sait précisément ce qu’il vote.
Deuxième point : Le Président de la République a prétendu faire de l’évaluation des politiques publiques une de ses priorités. Il a même nommé un secrétaire d’État supplémentaire allant à l’encontre de sa volonté de limiter le nombre des ministres.
Aujourd’hui, pourtant, il n’existe aucune évaluation réelle de vos réformes passées notamment de celle de 1992.

Si la commission des affaires économique dans son rapport se contente, je cite, « de constater avec stupéfaction que le Gouvernement n’a pas déposé depuis 2001 le rapport annuel devant le Parlement, relatif aux activités de manutention portuaire », nous considérons que cette carence dans l’information du Parlement justifie, au moins, un renvoi devant la commission des affaires économiques.
Rappelons que le gouvernement aurait du, en vertu de ses obligations légales et plus précisément de l’article L.531-2 du code des ports maritimes, présenter un rapport qui doit porter sur l’application du livre V de ce même code des ports maritimes, sur la répercussion sur l’ensemble des acteurs de la filière portuaire et maritime des gains de productivité tarifaires des activités de manutention et sur l’évolution de l’ensemble de la manutention dans les ports français.
De plus, le projet de loi que vous proposez ne prévoit pas plus d’étude d’impact des dispositions sur l’emploi mais également sur les ressources des grands ports maritimes et aucune évaluation des outillages qu’il est prévu de céder.
Il serait, vous en conviendrez, inadmissible que les biens appartenant au domaine public portuaire devant être cédés au secteur privé fussent cédés à un prix inférieur à leur valeur réelle.

La cession à un tel prix méconnaîtrait fondamentalement le principe d’égalité en procurant aux acquéreurs de ces biens un avantage injustifié au détriment de l’ensemble des citoyens. Or aucune des dispositions du projet de loi n’apporte de garantie contre la cession à des prix insuffisants.
Rappelons que sur une question similaire le Conseil constitutionnel en 1986 a considéré « que la Constitution s’oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d’intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ; que cette règle découle du principe d’égalité ; qu’elle ne trouve pas moins un fondement dans les dispositions de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ; que cette protection ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’État et des autres personnes publiques »
Au regard de cette jurisprudence, il serait peut-être intéressant que la commission des lois soit saisie pour avis !

Ces évaluations des biens concernés seraient intéressantes à bien des égards.
Elles pourraient montrer que les réformes passées se sont révélées inefficaces pour relancer les ports et que sans un fort engagement de l’Etat rien ne pourrait se faire.
Une évaluation des ressources des Grands ports maritimes en raison de la perte des redevances sur les outillages et au regard de l’exercice par ces entités de mission de service public est nécessaire pour s’assurer que les ports auront encore les moyens de remplir leurs missions.
Ensuite, je voudrai aborder la nécessité du renvoi en commission non plus en raison de ce qui n’y a pas dans le texte mais en raison de ce qui est prévu.
Il est totalement aberrant au regard du contenu du projet de loi qu’aucune des commissions permanentes du Sénat n’ait été saisie pour avis.
La Commission des lois devrait être saisie pour avis en raison de la cession des biens mobiliers et immobiliers appartenant au domaine publique.

Il serait utile à la formation du jugement des parlementaires d’avoir des éclaircissements sur les notions d’inaliénabilité du domaine public portuaire mais également sur celle de domaine public maritime ou fluvial naturel et sur les conséquences juridiques attachées à ces qualifications, notamment en matière d’exercice des compétences de police administratives.
Rappelons que le projet de loi prévoit la possibilité, pas l’obligation, pour l’opérateur privé de bénéficier de droits réels sur les outillages de caractère immobilier comme les hangars.
Il peut donc jouir conformément à l’article L.2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, des mêmes prérogatives et obligations que le bénéficiaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public et ce pendant 70 ans.
Ces questions sont complexes et nécessitent un avis éclairé au regard de leur importance.
Il est également nécessaire de recueillir l’avis de la commission des finances sur les conséquences de la réforme sur les ressources des ports par exemple, mais aussi sur l’article 3.

Les ports autonomes sont exonérés de la taxe professionnelle. Les entreprises privées y sont soumises. Cette taxe s’applique notamment sur la valeur des matériels figurant dans les actifs, elle est perçue par les collectivités locales qui en fixent le montant.
Or, en cas d’exonération même temporaire, comme cela est prévu, on risque d’entraîner des demandes d’exonérations de la part d’autres entreprises, de la chaîne logistique, d’entreprises voisines comme celle de maintenance ou à l’autre bout de la chaîne. Ces demandes seraient peut-être légitimes au regard du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt. De plus quelle répercussion risque-t-on d’avoir en terme de pression fiscale sur les citoyens ?
Le fait que la privatisation des outillages entraîne en principe leur assujettissement à la taxe professionnelle alors que ce n’est pas le cas dans d’autres ports européens comme en Belgique, en Espagne aux Pays-bas ou au royaume uni risque d’aboutir à une répercussion par les opérateurs de cette taxe et donc à une augmentation des coûts de passage.
Les modifications fiscales proposées vont créer de graves distorsions entre les établissements portuaires, mais également entre les entreprises de manutention ou opérateurs selon qu’ils sont dans un port autonome ou un port décentralisé.
Une analyse de la commission de finances sur les solutions fiscales proposées au regard du code général des impôts et des règles de concurrence serait grandement utile aux parlementaires.

Enfin, le projet de loi aura de graves conséquences sur l’emploi direct ou induit, sur le statut des personnels restant dans l’établissement public, celui de ses filiales et celui des personnels transférés.
Nous avons déjà déploré l’absence d’étude d’impact et de bilan en la matière. Cette question n’est pas anodine car la cession d’un bien appartenant au domaine public ne doit pas se faire en dessous de la valeur réelle du bien.
Cependant, il est admis que les contreparties de la cession ne soient pas uniquement financières.

La jurisprudence a admis la cession d’un terrain public à une entreprise privée pour une somme modique à condition que cette entreprise crée un nombre d’emploi déterminé dans un temps déterminé. Ici, il semblerait que ces contreparties ne soient pas possibles puisque la réforme risque au contraire d’aboutir à la suppression d’emplois.
Les articles 8, 9, 10 et 11 du projet de loi intéressent exclusivement le droit du travail. Sur le dispositif prévu notamment à l’article 10 il ne serait pas inutile de recueillir l’avis de la commission des affaires sociales.
Cet article prévoir que dans la limite de cinq années suivant le transfert du personnel du port autonome vers l’opérateur privé en cas de licenciement économique le contrat de travail peut se poursuivre avec le Grand Port Maritime.
Dans ce cas l’employeur lui verse l’équivalent de ce qu’il aurait versé pour licenciement économique.

Cet article pose des sérieuses questions du point de vue de son articulation avec le droit du travail. Il fait comme si les indemnités pour licenciement économique constituaient les seules obligations légales de l’employeur. Quid des obligations de reclassement.
Cette solution n’est pas satisfaisante pour le salarié : la limite à cinq ans tend à réduire sa protection. De plus, il ne nous semble pas admissible que cette disposition exonère l’employeur de son obligation de reclassement individuelle et le cas échéant des obligations relatives à l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi. Encore une fois on se dirige vers une individualisation des droits des salariés démarche qui les place dans un rapport de force déséquilibré et défavorable.
Enfin, on se demande dans quelle mesure le port sera en mesure de proposer un travail à ces professionnels de la manutention alors qu’il n’aura lui que des activités résiduelles de manutention.
Ce texte sous couvert de relancer l’activité économique des ports constitue une nouvelle atteinte au service public et à la défense de l’intérêt général, il met en œuvre des solutions qui ont montré leurs limites et leurs effets néfastes, et confirme le désengagement de l’Etat.

Pour toutes ces raisons et au nom de la défense des droits du Parlement qui sont trop souvent négligés et méconnus par le Gouvernement, le groupe communiste républicain et citoyen demande le renvoi de ce projet de loi devant la commission des affaires économiques et du plan.

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