Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une loi inconstitutionnelle au regard de la Charte de l’environnement

Modernisation de l’agriculture et de la pêche : exception d’irrecevabilité -

Par / 18 mai 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres de notre groupe estiment que le présent projet de loi est en contradiction avec la Constitution, parce qu’il ne respecte pas la Charte de l’environnement.

Si besoin est, rappelons que, en inscrivant dans le préambule de la Constitution une référence « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 » et en plaçant ainsi ce texte sur le même plan que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 a conféré une valeur constitutionnelle à la Charte.

Ce texte, en son article 6, dispose : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Or nous estimons que la forêt constitue un véritable patrimoine écologique et social. Pourtant, l’article 15 du présent projet de loi entend « renforcer la compétitivité de la filière de production, de récolte, de transformation et de valorisation des produits forestiers ».

Alors qu’il faudrait soustraire ce patrimoine forestier à la vision de court terme et de rentabilité dictée par le marché, le Gouvernement propose une véritable marchandisation de la forêt, en contradiction avec le développement durable de celle-ci.

En effet, l’exploitation des forêts doit être réalisée dans le sens de l’intérêt général. Or le texte organise une privatisation des missions exercées par l’ONF, l’Office national des forêts, qui s’inscrit directement dans la logique du démantèlement de cet établissement public.

De plus, force est de le constater, le Gouvernement tient en piètre estime le Parlement, puisqu’il multiplie, dans ce projet de loi, sur des sujets variés, les dispositions lui permettant de légiférer par ordonnance, c’est-à-dire sans le débat ni l’aval de la représentation nationale : c’est le cas aux articles 2, 15 bis, 17 et 24.

Avant son examen en commission, le texte proposé par le Gouvernement en contenait d’ailleurs davantage, alors qu’aucune urgence ne peut justifier ce recours excessif aux ordonnances. Il s’agit là d’une nouvelle preuve, s’il en fallait, des dérives monarchistes de la Ve République. Qu’il est loin l’objectif affiché par Nicolas Sarkozy de rendre du pouvoir au Parlement !

Toutefois, en étudiant le présent texte, on comprend fort bien pourquoi le Gouvernement souhaite limiter le plus possible le débat parlementaire.

Pour nous, cette loi de modernisation aurait dû être l’occasion de réorienter rapidement et massivement l’agriculture vers des systèmes de production écologiquement responsables et permettant aux paysans de vivre décemment. Néanmoins, le Gouvernement ne semble pas souscrire à ces objectifs, si ce n’est, parfois, dans les discours du Président de la République, qui se voudraient rassurants pour les agriculteurs !

En effet, le but premier du Gouvernement est purement électoral : récupérer des votes qui lui échappent de plus en plus, comme on l’a vu lors du dernier scrutin régional. Monsieur le ministre, les agriculteurs ne sont pas dupes de votre opération politicienne, qui ne règle rien à leurs problèmes !

Pis, le présent projet de loi prévoit une véritable restructuration globale de l’agriculture française, au nom de la culture de l’entreprise et de la compétitivité. L’élimination des petits paysans devrait en être encore accélérée.

Nous nous félicitons que certains points très dangereux aient été supprimés par la commission, en particulier l’article 11, le plus emblématique de la conception du Gouvernement, qui introduisait le statut d’agriculteur-entrepreneur. Cette disposition visait clairement à faire le tri entre les agriculteurs et à favoriser un type d’agriculture écologiquement dangereux et socialement injuste. Toutefois, il subsiste dans ce projet de loi de nombreux outils qui, soit ne régleront rien aux problèmes des agriculteurs, soit les aggraveront.

Monsieur le ministre, vous glorifiez la contractualisation qui, selon vous, permettra d’assurer une rémunération à tous les agriculteurs. Vous voulez nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Au moment où la production agricole a besoin de régulation et de maîtrise des volumes, la contractualisation ne nous apparaît pas comme une solution aux crises actuelles : elle est incapable de remplacer une politique agricole, la somme des contrats ne pouvant aboutir à la maîtrise des volumes et des prix, comme nous allons vous le démontrer.

En effet, les industriels auront tendance à ne pas contractualiser tous les volumes, afin de conserver un minimum de souplesse. Ce seront alors les volumes non contractualisés qui joueront le rôle de variable d’ajustement, ce qui conduira à une inévitable baisse des prix moyens payés aux paysans.

Par ailleurs, comme on l’a vu récemment pour le lait, si l’un des acteurs le souhaite, le contrat n’a plus de valeur, et les pouvoirs publics doivent alors intervenir pour rétablir la situation.

En effet, un contrat reste un rapport de forces qui, en l’occurrence, sera forcément défavorable au producteur, confronté à de puissants industriels. Seule la loi, porteuse de l’intérêt général, pourrait garantir un droit au revenu pour les paysans, en interdisant la vente à perte par exemple, et en fixant des prix minimums rémunérateurs. Or un prix contractualisé n’entre pas forcément dans cette catégorie !

Le Gouvernement met également en avant un autre outil : le système assurantiel de l’article 9.

Tout d’abord – faut-il le rappeler ? –, un mécanisme d’assurance ne crée pas de richesses nouvelles, mais répartit celles qui existent déjà. Jamais donc il ne pourra remplacer une politique publique, ni remédier à l’instabilité des prix agricoles !

Surtout, le système qui est proposé aujourd’hui peut se résumer à cette formule : « Beaucoup d’argent public au profit des compagnies d’assurance, au bénéfice d’une minorité d’agriculteurs ». Nous sommes dans la même logique d’élimination : il y aura ceux qui pourront se payer de bonnes couvertures et ceux qui en seront incapables et qui, en cas de problème, devront cesser leur activité. Contre ce système, notre groupe propose un mécanisme mutualisé de garantie contre les aléas.

De plus, nous regrettons que la commission ait supprimé le principe de l’institution d’une taxe pour freiner l’artificialisation des terres. Aujourd’hui, la situation est dramatique : 50 000 à 80 000 hectares de terres agricoles changent de destination chaque année. Au rythme de consommation actuelle, une mesure d’urgence de type moratoire aurait dû être envisagée.

Pour le long terme, le Gouvernement, en reprenant une proposition de la Confédération paysanne, avait eu raison d’instaurer une « taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement ».

La commission a supprimé l’article 13 au motif qu’une telle taxe existait au profit des communes. Mais il s’agit d’un dispositif optionnel. Moins de 5 000 communes l’ont institué, et il ne permet donc pas de lutter contre l’artificialisation des terres.

Nous pensons donc que la loi doit rendre obligatoire une telle taxe. Au demeurant, si le principe qui avait été posé par le Gouvernement constituait une avancée, force est de constater que le taux prévu, de 5 % à 10 %, était totalement inadéquat. Certaines terres se vendent jusqu’à 200 fois plus cher après classement. Ainsi, cette taxe n’aurait rien résolu. Nous vous demandons d’instituer une taxe plus efficace, autour de 50 %. À titre de comparaison, je mentionnerai qu’elle existe au Danemark, où elle est fixée à 80 %, afin de lutter contre l’artificialisation des terres agricoles. C’est en ce sens que nous avons déposé nos amendements.

Tels sont les outils mis en place par cette loi qui ne permettent pas de répondre aux enjeux posés par l’agriculture, quand ils ne les aggravent pas.

Cela dit, le projet de loi brille aussi par ses lacunes. Ainsi, alors que la majorité des paysans, qui se tuent à la tâche, ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment, ce projet de loi ne comporte aucun volet social.

Le Figaro, journal que l’on ne peut accuser de bolchévisme (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) titrait le 27 avril : « Un paysan français se suicide chaque jour. » Parce que les agriculteurs sont de plus en plus précarisés, ils se suicident plus que les membres des autres professions. Le taux de suicide des agriculteurs exploitants est le plus élevé parmi les différentes catégories socioprofessionnelles. Il s’élève à 32 pour 100 000, contre 28 chez les ouvriers et 8 pour les professions intellectuelles supérieures. Et que nous propose le Gouvernement ? Rien.

Le législateur aurait été inspiré d’instituer la règle de prix rémunérateurs, afin de garantir à tous les agriculteurs un droit au revenu.

Ce projet de loi aurait dû être aussi l’occasion de s’attaquer au problème de l’accès au métier et au statut de l’exploitant.

L’accès au métier de paysan est conditionné par l’accès au statut social de chef d’exploitation. Celui-ci confère une reconnaissance de l’activité agricole de la personne, et donne accès aux droits spécifiques des paysans. Le problème réside dans le fait que l’accès au statut est conditionné par la direction d’une ferme, dont l’importance doit être au minimum d’une demie SMI, ou surface minimum d’installation.

Cette référence pose de nombreux problèmes : elle ne permet pas les installations progressives dans une période où la pression foncière s’est fortement accentuée. Elle diffère fortement d’un département à l’autre, provoquant de fortes inégalités sur les territoires. Elle revient à nier l’existence des pluriactifs pour lesquels l’activité agricole est secondaire, et elle ne permet pas de prendre en compte les projets à haute valeur ajoutée à l’hectare, car intégrant la valorisation, la transformation ou la commercialisation des produits de l’exploitation.

Nous proposons donc de faire dépendre l’octroi du statut, non plus à une taille minimum d’exploitation, mais à une déclaration d’heures de travail, comme cela existe déjà pour certaines activités.

Nous dénonçons par ailleurs le statut de cotisant solidaire, qui n’ouvre aucun droit professionnel à des paysans en activité. Les cotisants solidaires non retraités exerçant une activité agricole sont environ 100 000 en France. Les pouvoirs publics ont reconnu implicitement la réalité de leur activité en leur accordant en 2008 des droits pour les accidents du travail, les maladies professionnelles, et prochainement pour la formation professionnelle. Il est désormais nécessaire d’aller plus loin en ouvrant l’accès au statut de chef d’exploitation à ces cotisants solidaires. Voilà ce qui serait une décision de justice sociale !

Il est consternant de constater que cette loi ne mentionne nullement l’inscription du modèle agricole français au sein d’un environnement international, particulièrement européen, surtout dans la perspective de l’échéance de 2013 pour la politique agricole commune.

Deux crises additionnent aujourd’hui leurs effets : la crise écologique, qui disqualifie notre modèle de développement économique basé sur le productivisme ; la crise économique causée par le néolibéralisme mondialisé, qui a partout dérégulé les échanges.

L’agriculture se trouve au confluent de ces deux crises, et il devient urgent d’y porter remède. Le modèle productiviste d’agriculture intensive doit laisser la place à une agriculture soucieuse de l’environnement, avec des productions relocalisées. Les crises successives que l’agriculture a connues ces dernières années, je pense à la crise du lait, montrent que les politiques de dérégulation, initiées par l’Organisation mondiale du commerce et soutenues par l’Union européenne, doivent prendre fin.

La France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de toutes les mesures permettant de garantir des prix rémunérateurs aux producteurs, à savoir la mise en place d’un prix minimum indicatif européen pour chaque production, l’activation de dispositions visant à appliquer le principe de préférence communautaire, une politique douanière européenne garantissant que les produits importés sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales acceptables, et sont payés à un juste prix aux producteurs.

De même, la France doit promouvoir au niveau communautaire la mise en œuvre de mécanismes de régulation, notamment le maintien ou la création de mécanismes de production pour certaines productions, et l’activation, en cas de crise exceptionnelle, d’outils de stockage public de productions agricoles et alimentaires.

Enfin, nous devons mettre en place les outils permettant une véritable planification de la transition écologique de l’agriculture. Nous devons tendre vers une agriculture beaucoup plus diversifiée, réintégrant activité agricole et élevage, rapprochant les cycles du carbone et de l’azote. Nous devons tendre vers une agriculture relocalisée, autonome, valorisant la richesse potentielle des écosystèmes cultivés, en lieu et place de systèmes basés sur l’usage intensif d’engrais chimiques et de pesticides, et sur la motorisation à outrance.

Cette agriculture que nous devons promouvoir nous permettra donc de contribuer à la lutte contre le changement climatique, de diminuer l’utilisation de carbone fossile et des autres ressources non renouvelables, de produire des aliments de meilleure qualité, de protéger l’environnement des contaminations diverses, et de restaurer la biodiversité.

Mais cela implique une agriculture plus intensive en temps de travail et en emplois et donc, à la fois, des prix rémunérateurs pour que le travail agricole soit payé à son juste prix, et une véritable politique foncière volontariste permettant de stopper la course à l’agrandissement des exploitations, voire, dans certaines régions, d’inverser ce phénomène en facilitant l’installation d’agriculteurs.

Une loi qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des aspects que je viens d’évoquer ne répondrait pas aux enjeux lancés par l’agriculture du XXIe siècle.

Loin d’améliorer la situation, elle ne ferait que retarder la date ou il nous faudra prendre des décisions drastiques pour réparer les dégâts sociaux et environnementaux du libéralisme, et du modèle d’agriculture productiviste qui lui est lié.

Une disposition législative adéquate pourrait encadrer efficacement les plans régionaux de développement de l’agriculture durable, et l’action des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, de telle sorte qu’ils soient dans l’obligation de répondre à certains de ces objectifs, notamment en matière de politique foncière et de transition écologique de l’agriculture.

Malheureusement, le Gouvernement est trop soucieux d’enjeux électoraux à court terme. Il est pris en tenaille par ses dogmes libéraux de dérégulation entière de l’économie, qui nous ont pourtant menés au bord du gouffre. Nombreux sont les parlementaires, y compris au sein de la majorité, qui savent que cette loi ne résoudra rien. Mais c’est parce qu’en outre nous la jugeons anticonstitutionnelle au regard de la Charte de l’environnement que nous vous appelons, mes chers collègues, à voter la motion d’irrecevabilité que nous avons déposée.

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