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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une telle disposition ne résoudra en rien la crise du logement

Majoration des droits à construire -

Par / 29 février 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques jours avant la fin de la session parlementaire, nous débattons de la nouvelle marotte du Président de la République : l’augmentation de 30 % des droits à construire.

Vous aviez donné le ton, monsieur le ministre, en déclarant lors de l’examen des crédits budgétaires que l’« on ne doit plus financer le logement par le budget public ».

C’est maintenant chose faite, et vous souhaitez, à deux mois de l’élection présidentielle, aller plus loin en tentant de faire la démonstration que l’on peut promouvoir une politique du logement sans pour autant faire appel à des investissements publics.

Nous verrons que cette posture se révèle n’être que de pur affichage et qu’un tel projet de loi ne sera en rien susceptible de répondre à la crise du logement. Au contraire, il risque de l’aggraver encore. Comment ne pas voir, en outre, qu’il s’agit d’une annonce à bon compte pour le Gouvernement, puisqu’elle vous permet de faire croire que le manque de construction relève non pas de votre responsabilité, mais de celle des élus locaux ?

Aussi, de prime abord, nous souhaiterions revenir sur la méthode employée.

Il y a un mois, jour pour jour, le Président de la République annonçait au journal de 20 heures son projet pour le logement. Ce texte est ainsi débattu à la hussarde : il était examiné la semaine dernière à l’Assemblée nationale, hier en commission, aujourd’hui en séance, et il reviendra la semaine prochaine pour une ultime lecture.

Les délais sont bien trop courts pour permettre aux parlementaires de remplir leur mission, c’est-à-dire d’accomplir leur travail législatif. En agissant ainsi, vous considérez nos assemblées comme de simples chambres d’enregistrement. Nous estimons qu’il s’agit là d’une grave dérive de nos institutions vers une présidentialisation que nous jugeons très négativement, puisqu’elle s’apparente au fait du prince.

Aussi, avant d’en venir au cœur des dispositions du présent texte, il est utile de faire une mise au point.

En effet, loin du grand satisfecit que vous vous attribuez en permanence en la matière, la situation du logement en France est dramatique, comme le soulignait encore très récemment la Fondation Abbé Pierre.

Ainsi, depuis 2002, la politique du Gouvernement s’est incarnée dans une réduction des crédits, les aides à la pierre ne représentant plus aujourd’hui que 320 millions d’euros, en baisse d’un milliard d’euros en cinq ans. À l’inverse, les exonérations fiscales représentent près de 13 milliards d’euros.

On voit donc bien la logique à l’œuvre : favoriser la marchandisation du logement. Ce faisant, vous êtes responsable de la création d’une bulle immobilière, entretenant le logement cher.

M. Benoist Apparu, ministre. Rien que ça !

M. Gérard Le Cam. Oui, monsieur le ministre. Ceux qui paient leur loyer chaque fin de mois le savent.

En complément, vous menez une charge sans précédent contre le logement public, prônant une France des propriétaires qui se trouve être un mirage.

Je me souviens que, lors de la dernière élection présidentielle, le candidat qui devait être élu vantait l’intérêt des prêts hypothécaires pratiqués outre-Atlantique, présentés comme le nec plus ultra de la politique du logement. C’est dire la pertinence de l’analyse de Nicolas Sarkozy en la matière…

Ainsi, c’est bien votre politique de désengagement et de marchandisation qui a favorisé la spéculation. Toute votre action est tendue vers la valorisation du foncier, notamment dans le cadre de projets récents comme celui du Grand Paris.

Cette politique s’incarne également dans l’asphyxie de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, dans le dépeçage du 1 % logement, et dans la paralysie des offices HLM, lourdement taxés et si peu aidés.

Les conséquences pour nos concitoyens sont particulièrement lourdes et se conjuguent avec leur précarisation au travail et la baisse de leur pouvoir d’achat.

Le logement, comme le dénonce la Fondation Abbé Pierre, est devenu une machine à exclusion, puisque, loin de constituer un droit, l’accès au logement relève aujourd’hui du parcours du combattant. En témoignent les chiffres : 700 000 personnes sont privées de logement personnel, plus de 3 millions de Français sont en situation de mal-logement et 1,4 million de nos compatriotes sont toujours dans l’attente d’un logement social.

Pour ceux qui ont la chance d’être logés, la charge de l’habitation dans le budget s’est largement accrue ces dernières années. Ainsi, le prix des logements dans l’ancien a crû de 107 %, le loyer moyen du parc privé de 47 %, les loyers HLM de 29 % et le prix à la consommation de 19 % selon l’INSEE entre 2000 et 2010, alors même que le revenu médian n’augmentait, lui, que de 13 %. Quant aux prix des terrains, ils ont bondi de 31 % entre 2006 et 2010.

Le résultat de tout cela est que, entre 2002 et 2006, le nombre d’impayés de loyers a progressé de 83 % dans le secteur privé. Le nombre de décisions d’expulsion a également dépassé les 100 000 sur une année, en hausse de près de 43 % en dix ans.

Toutefois, rien n’y fait, vous êtes contents de vous ! Après la maison à 15 euros par jour, nous voilà donc prêts à examiner un nouveau dispositif permettant la majoration des droits à construire de 30 %. Cette mesure concerne ainsi les règles de gabarit, de hauteur, d’emprise au sol ou encore de COS, c’est-à-dire de coefficient d’occupation des sols, pour les communes couvertes par un plan d’occupation des sols ou un plan local d’urbanisme.

Selon vous, une telle mesure serait à même de favoriser la construction de logements, en permettant de relancer l’offre de logements par une meilleure rentabilité de l’investissement consenti par les investisseurs immobiliers.

Je ne m’attarderai pas ici sur les conséquences d’une telle disposition pour les logements déjà bâtis. Une telle mesure est en effet inapplicable pour le logement collectif, tandis que, pour les habitations individuelles, elle s’apparente simplement à un effet d’aubaine, sans permettre la création de logements supplémentaires.

Plus grave, elle sous-tend l’idée que tout un chacun peut « valoriser » son propre bien, y compris au détriment du droit au logement et à la ville.

Une telle conception nous semble particulièrement contestable et en rupture avec la notion même de la qualité architecturale et patrimoniale, qui doit pourtant être au cœur de toute politique d’aménagement.

Vous déployez l’argument selon lequel une telle mesure favoriserait la densité, tout en oubliant que, si la densification doit être un objectif permettant de lutter contre l’étalement urbain, une telle politique ne peut être uniforme et n’est qu’un levier parmi tant d’autres, bien plus efficaces.

Tous ceux qui sont engagés dans l’élaboration des plans d’occupation des sols savent bien que les politiques d’aménagement relèvent d’un travail fin et minutieux, respectant les spécificités de chaque territoire.

Aussi, sur le fond, à qui bénéficiera cette mesure ?

Concernant le logement public, une telle disposition ne résoudra rien ; pis encore, elle accroîtra les difficultés des maires bâtisseurs et des offices HLM dans l’acquisition de terrains, dont l’augmentation des droits de constructibilité renchérira le prix.

Concernant le logement privé, nous doutons également de la pertinence d’un tel dispositif.

Ainsi, vous affirmez que les promoteurs amortiront la majoration du prix des terrains par la construction de davantage de logements. Cet argument est contestable dans la mesure où, à l’heure actuelle, la plupart des promoteurs n’utilisent pas l’ensemble des droits à construire.

Une telle logique néglige également un élément déterminant : vous n’influez nullement sur les prix finaux, alors que nombre de nos concitoyens ne peuvent déjà plus se loger dans le parc privé.

Il s’agit ainsi avant tout d’une règle économique dont la mise en œuvre entraînera une augmentation des prix des terrains et de la construction, ce que vous ne niez pas. Dès lors, cette dernière sera encore un peu plus étroitement soumise à la loi du marché, à la concurrence, à la spéculation. Les seuls gagnants seront les spéculateurs, les promoteurs immobiliers, les banques. (M. le ministre manifeste son désaccord.)

Plus grave encore, ce projet de loi constitue une nouvelle manifestation de défiance à l’égard des élus locaux. Je rappelle à ce titre qu’en vertu de la loi, ce sont les communes qui sont compétentes en matière de droit des sols, et non l’État.

De plus, nombre de communes n’ont pas de COS et, lorsqu’il en existe un, il s’agit avant tout d’un simple indicateur, d’un plafond qui, dans la plupart des cas, n’est pas atteint, tant il est vrai qu’assurer la qualité urbaine, l’équilibre de développement de la ville et le vivre-ensemble ne peut se réduire à appliquer une règle arithmétique.

Il existe d’ores et déjà des possibilités de renforcement des droits à construire, notamment pour la réalisation de logements sociaux, avec l’article L. 127-1 du code l’urbanisme, et pour les constructions répondant aux normes de confort thermique « bâtiment basse consommation », avec les articles L. 128-1 et L. 128-2 du code précité. Force est de constater que ces possibilités n’ont été que peu utilisées par les collectivités. De surcroît, les SCOT imposent à nos PLU une véritable densification de la construction.

En outre, la consultation du public que vous proposez d’instituer, tout en restant particulièrement flou sur ce point, ne constitue pas un gage de transparence. Je rappelle que, lors de l’élaboration des PLU, cette consultation s’engage dans le cadre d’une enquête publique autrement plus contraignante et que c’est bien sur l’objectif de la politique d’aménagement que les habitants doivent pouvoir s’exprimer.

Par ailleurs, aucune indication n’est fournie quant au financement de cette consultation. Nous en déduisons que, selon toute vraisemblance, il reviendra là encore aux collectivités d’assumer cette nouvelle charge, alors même que vos politiques fiscales les asphyxient chaque jour davantage.

Pis, en instaurant le principe d’une majoration des droits à construire, l’exception étant permise par une délibération du conseil municipal, vous contrevenez au principe de libre administration des collectivités locales : nous nous élevons contre cette ingérence gouvernementale.

Vous l’aurez compris, nous sommes totalement opposés à ce projet de loi.

M. Benoist Apparu, ministre. On l’avait compris, en effet !

M. Gérard Le Cam. Nous avons besoin non pas d’une nouvelle règle pour favoriser la densification et le renouvellement urbain, mais de subventions de l’État, d’une aide à la pierre renforcée et de prêts bancaires à taux très bas, voire à taux zéro, pour les constructeurs publics.

Nous avons besoin d’outils administratifs, juridiques, fiscaux et économiques pour bloquer la spéculation foncière et la flambée des prix de la construction et de l’immobilier.

Nous avons besoin que l’on fasse réellement confiance aux élus locaux dans le cadre de l’élaboration des PLU, afin que ces derniers ne soient plus pris en otage par les chambres d’agriculture, en particulier. Nous sommes suffisamment responsables pour ne pas gaspiller les terres agricoles !

Nous le savons tous, le principal obstacle à la construction de logements réside aujourd’hui dans le coût du foncier. En effet, la bulle spéculative entretenue par vos politiques fiscales a conduit à une flambée du prix des terrains, pesant lourdement sur les opérations des bailleurs.

Il est donc également impératif, par exemple, de repenser le rôle des établissements fonciers, porteurs de projets pour les collectivités, en permettant un renforcement tant de leurs missions que de leurs moyens, afin de réaffirmer la nécessité d’accroître la maîtrise publique sur le foncier.

Cette maîtrise publique ne passe pas uniquement par la mise à disposition des collectivités des terrains de l’État ; elle suppose également une utilisation des sols socialement utile, que permettrait la mise en application du dispositif de l’article récrit par la commission, en n’autorisant la décote de 100 % que pour les programmes de logements sociaux.

À ce titre, la réécriture de l’article unique du présent projet de loi nous paraît pertinente.

Sur le fond, tout nous conduit à considérer qu’il faut sortir le logement de la sphère marchande. L’urgence est bien d’assurer un financement public du logement public. À cet égard, nous avions formulé des propositions qui avaient été adoptées par le Sénat lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2012, mais supprimées à l’Assemblée nationale par le biais du vote d’un amendement du rapporteur.

En effet, nous avions proposé d’ouvrir aux organismes d’HLM la faculté de souscrire à des emprunts à taux zéro : voilà une mesure qui aurait réellement desserré l’étau qui entrave l’action des offices et permis par conséquent la construction de davantage de logements publics.

Vous l’aurez compris, les sénateurs du groupe CRC préconisent une autre politique du logement. Celle-ci passe par l’affirmation de certaines priorités, en particulier le respect de la loi SRU, voire le renforcement de son dispositif. Au contraire, vous n’avez eu de cesse de tenter de contourner, sinon d’abroger, cette loi précieuse.

Nous préconisons également l’abrogation de la loi Boutin, qui a enfermé le logement social dans une logique financière.

Toutes les aides fiscales favorisant la spéculation dans le domaine du logement privé doivent être supprimées et les moyens correspondants réaffectés à l’aide à la pierre, afin de permettre la construction de 200 000 logements par an pendant cinq ans, un tel programme comprenant un volet spécifique dédié au logement des étudiants et des jeunes.

Nous préconisons en outre l’encadrement des loyers dans le privé comme dans le public, par le plafonnement des prix à la vente et à la location, en fonction du degré de tension constaté sur le marché dans les différents territoires.

Pour garantir l’égalité d’accès pour tous à un logement de qualité, assurer la mixité sociale de l’habitat et permettre la baisse des loyers pour le plus grand nombre, nous souhaitons fixer pour objectif que la part du loyer et des charges dans le budget des familles n’excède pas 20 %.

Nous voulons que tout soit mis en œuvre afin de permettre la réquisition des logements vacants.

Enfin, nous exigeons la fin de la pratique barbare des expulsions locatives des personnes n’ayant pas les moyens de se maintenir dans leur logement.

Telle est, monsieur le ministre, la politique du logement qui nous permettrait d’endiguer réellement la crise que nous connaissons et d’affirmer un véritable droit au logement : elle se situe aux antipodes de vos politiques de marchandisation !

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Bio Express

Gérard Le Cam

Ancien sénateur des Côtes-d'Armor
Membre de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire
Elu le 27 septembre 1998
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